LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 26 septembre 2024
Rejet
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 843 F-D
Pourvoi n° R 22-18.939
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 SEPTEMBRE 2024
La société [3], dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 22-18.939 contre l'arrêt rendu le 13 mai 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 12), dans le litige l'opposant à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de Provence-Alpes-Côte d'Azur, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Leblanc, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de la société [3], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF de Provence-Alpes-Côte d'Azur, et l'avis de Mme Pieri-Gauthier, avocat général, après débats en l'audience publique du 2 juillet 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Leblanc, conseiller rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 mai 2022), ayant acquitté le montant de la contribution sociale de solidarité des sociétés due au titre de l'année 2011 sur la base de son chiffre d'affaires total, au lieu de faire application des dispositions de l'article L. 651-5, alinéa 2, du code de la sécurité sociale prévoyant une assiette minorée en faveur des commissionnaires, la société [3] (la société) a demandé à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales de Provence-Alpes-Côte d'Azur (l'URSSAF), de lui rembourser les sommes indûment versées.
2. Sa demande de remboursement ayant été rejetée, la société a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La société fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de remboursement, alors :
« 1° / que l'intermédiaire qui réalise des opérations d'entremise doit agir en vertu d'un mandat préalable pour bénéficier de la diminution d'assiette de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) ; qu'une reddition de comptes, qui n'est soumise à aucune forme particulière, suffit à démontrer l'existence d'un contrat de mandat ; qu'en exigeant que les redditions de comptes, dont elle a constaté la production par la [3], comportent des mentions spécifiques, à savoir que les opérations comptabilisées avaient été réalisées au nom de la [3] ou au nom de son mandant, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L. 651-5 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable en 2011, et l'article 273 octies du code général des impôts auquel ce texte renvoie, ensemble les articles 1993 du code civil, L. 132-1 du code de commerce et 256 V du code général des impôts.
2°/ que l'absence de toute marge permet d'exclure le bien concerné de l'assiette de la C3S ; que la [3] soutenait que chaque achat qu'elle réalisait était effectué pour le compte d'un adhérent, dans les conditions financières de sa précommande, et sans aucune marge, preuves à l'appui, car les redditions de compte indiquaient que « l'achat a été réalisé pour votre compte dans les conditions financières qui ont servi de support à votre précommande » (pièce n° 10) et aucune marge n'était comptabilisée (pièce n° 22 bis) ; qu'en ne se prononçant pas sur ce moyen des écritures d'appel de la [3], la cour d'appel a entaché son arrêt d'un défaut de réponse à conclusions et donc méconnu les exigences posées par l'article 455 du code de procédure civile.
3°/ que l'intermédiaire qui réalise des opérations d'entremise ne doit jamais devenir propriétaire des biens pour bénéficier de la diminution d'assiette de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) ; qu'en retenant de façon lapidaire que les redditions de comptes et attestations auraient été insuffisantes à établir, « au regard des termes employés », que la [3] n'avait été à aucun moment propriétaire des marchandises facturées aux hypermarchés adhérents, donc en se limitant aux termes employés dans les pièces soumises aux débats, sans procéder à une appréciation globale, au regard de l'ensemble des mentions des productions, y compris notamment celles chiffrées, permettant de reconstituer et de comprendre les mécanismes financiers dans leur ensemble, leurs justifications et leurs contreparties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-5 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable en 2011, et l'article 273 octies du code général des impôts auquel ce texte renvoie.
4°/ que l'opération d'entremise doit être rémunérée exclusivement par une commission dont le taux est fixé au préalable d'après le prix, la quantité ou la nature des biens ou des services, pour que l'intermédiaire puisse bénéficier de la diminution d'assiette de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) ; que toutefois le bénéfice de cette diminution n'est pas subordonné à la perception d'une rémunération par l'intermédiaire en nom propre ; qu'en se prononçant par le motif inopérant pris de ce que, dès lors la cotisation perçue par la [3] des hypermarchés adhérents n'indemniserait que les frais induits par les opérations d'entremise et non ceux liés à son autre activité de grossiste, la [3] ne justifierait « donc pas » que son activité d'entremise ne serait pas rémunérée et que les conditions relatives à la rémunération (au regard de charges ne constituant ni un prix, ni une quantité) seraient respectées pour pouvoir prétendre à l'assiette réduite de calcul, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-5 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable en 2011, et l'article 273 octies du code général des impôts auquel ce texte renvoie.
5°/ que l'article L. 651-5, alinéa 2, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable en la cause, et l'article 273 octies du code général des impôts auquel ce texte renvoie, aboutissent à une différence de traitement entre les commissionnaires en fonction des modalités de détermination de leur rémunération qui ne poursuit aucun but légitime et, d'autre part, ont pour effet d'assujettir les commissionnaires qui ne répondent pas aux conditions posées par cet article à une imposition dont l'assiette inclut des revenus dont ils ne disposent pas ; qu'en excluant néanmoins la [3] du bénéfice de la réduction d'assiette prévue à l'article L. 651-5 du code de la sécurité sociale au motif qu'elle ne justifiait pas que les conditions relatives à la rémunération (au regard de charges ne constituant ni un prix, ni une quantité) prévues par l'article 273 octies seraient respectées pour pouvoir prétendre à l'assiette réduite de calcul, la cour d'appel a violé les articles 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 14 de cette convention.
6°/ que l'URSSAF qui, après des années de maintien de sa position, change de doctrine relativement à l'assiette de calcul de la contribution C3S durant l'année qui précède son année d'exigibilité, c'est-à-dire durant l'année prise en compte pour le calcul de cette assiette, porte une atteinte excessive à la situation acquise du cotisant en agissant ainsi avec des effets rétroactifs, et viole le principe de sécurité juridique ; qu'ayant retenu que la décision de l'organisme de revenir sur le bénéfice de l'assiette de la contribution sociale de solidarité réservée aux commissionnaires depuis 1996, notifiée à la [3] en avril 2010, avait été mise en oeuvre par l'URSSAF au titre de l'exercice 2011 de la C3S, générée le 1er janvier 2011, exigible le 1er avril 2011, la cour d'appel qui a retenu que l'URSSAF avait respecté les conditions d'un changement de doctrine en notifiant régulièrement et de façon non rétroactive à la [3] son changement de position s'agissant du bénéfice de l'assiette du commissionnaire au titre de la C3S 2011, « peu important que l'assiette de la contribution 2011 était fondée sur le chiffre d'affaires réalisé en 2010 », n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé le principe de sécurité juridique notamment garanti par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 651-5 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable en 2011, et l'article 273 octies du code général des impôts auquel ce texte renvoie.
7°/ que la C3S présente un caractère discriminatoire à l'égard des commissionnaires, qui ne sont que des intermédiaires n'ayant aucun chiffre d'affaires et qui ne sauraient être passibles de cette contribution que sur la base de leur rémunération, quelles que soient les modalités selon lesquelles celle-ci est déterminée ; qu'un commissionnaire ne saurait être passible de la contribution sociale de solidarité sur un chiffre d'affaires autre que sa rémunération, quelles que soient les modalités selon lesquelles celle-ci est déterminée ; qu'une distinction selon le mode de détermination de la commission ne constitue pas un élément objectif pouvant fonder une discrimination ; qu'en retenant que « les dispositions critiquées par la société ont pour objet légitime de rétablir, entre les différentes catégories de redevables, l'équilibre des règles d'assiette de la contribution sociale de solidarité des sociétés, et de faire contribuer l'ensemble des sociétés opérant dans le secteur concurrentiel à l'équilibre de divers régimes de protection sociale obligatoire. L'assiette de la C3S est en conséquence constituée par principe par le chiffre d'affaires déclaré par chaque assujetti, avec une exception applicable aux intermédiaires opaques placés dans une situation objective distincte. La société ne caractérise aucune violation de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, les différences de traitement entre les commissionnaires instaurées par les textes contestés reposant sur une différence objective de situation résultant des conditions de l'activité et de la rémunération perçue ; la seule différence de modalités de calcul de la cotisation contestée en fonction de la nature de l'activité ne permet pas de caractériser une discrimination, pas plus qu'une rupture d'égalité devant les charges publiques », la cour d'appel a encore violé les articles 1er du protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'homme et 14 de cette convention.
8°/ que l'imposition fiscale constitue en principe une atteinte au droit au respect des biens, à moins d'être proportionnée aux facultés contributives de la personne concernée ; que sont prohibées les impositions présentant un caractère confiscatoire ; que la [3] soutenait que l'élargissement de l'assiette de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) était insoutenable, donc confiscatoire, pour une société coopérative comme elle qui ne réalisait aucun bénéfice, puisqu'elle refacturait, à prix coûtant, ses adhérents ; qu'elle rappelait qu'il n'était pas contesté qu'elle ne réalisait aucun profit ; qu'en ne constatant pas le contraire, la cour d'appel qui a écarté tout caractère confiscatoire de la C3S, a violé l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
4. Il résulte de l'article L. 651-5, alinéa 2, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige à la date d'exigibilité des contributions litigieuses, et de l'article 273 octies du code général des impôts auquel renvoie ce texte, que seules les opérations d'entremise rémunérées exclusivement par une commission dont le taux est fixé au préalable d'après le prix, la quantité ou la nature des biens ou des services, ouvrent droit au bénéfice de la diminution d'assiette de la contribution prévue par le premier de ces textes. Le bénéfice de la minoration d'assiette est en outre subordonné au fait que l'intermédiaire qui réalise ces opérations agisse en vertu d'un mandat préalable et ne devienne jamais propriétaire des biens.
5. L'arrêt relève que les redditions de compte produites ne permettent pas d'établir que la marchandise « précommandée » avec « bon de livraison », expédiée et facturée par la société aux hypermarchés adhérents l'a été dans le cadre d'un contrat de commission tacite préalable intervenu entre eux, étant observé qu'il n'est pas précisé si les opérations ont été réalisées au nom de la société ou au nom de mandants. Il constate que les productions sont insuffisantes à établir, au regard des termes employés, que la société n'a été à aucun moment propriétaire des marchandises. Il retient aussi que la société n'établit pas que les cotisations versées par les hypermarchés adhérents correspondent uniquement aux frais induits par les opérations d'entremise et non à ceux liés à son activité de grossiste. Il ajoute qu'elle ne démontre pas que l'activité d'entremise n'est pas rémunérée ni que les conditions relatives à la rémunération prévues par l'article 273 octies ont été respectées.
6. L'arrêt énonce encore que l'institution d'une assiette large, mais à un taux modéré, ne porte pas atteinte en elle-même au droit aux biens, ne présente pas de caractère confiscatoire et ressort du pouvoir d'appréciation laissé aux Etats membres. Il indique que les différences de traitement entre les commissionnaires reposent sur des différences objectives de situation résultant des conditions d'exercice de leur activité et de la rémunération perçue.
7. L'arrêt précise enfin que l'URSSAF a respecté les conditions d'un changement de doctrine en notifiant à la société, par lettre du 26 avril 2010, sa décision de revenir sur l'interprétation de la règle d'assiette qui lui avait auparavant permis de bénéficier de la minoration réservée aux commissionnaires et en n'appliquant ce changement, de manière non rétroactive, qu'au titre de l'exercice 2011, exigible le 1er avril 2011.
8. De ces énonciations et constatations, procédant de l'appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve débattus devant elle, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a exactement déduit, sans méconnaître le droit au respect des biens garanti par l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni l'article 14 de la Convention, ni le principe de sécurité juridique, que la société ne pouvait pas bénéficier de la diminution d'assiette prévue à l'article L. 651-5, alinéa 2, du code de la sécurité sociale.
9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société [3] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [3] et la condamne à payer à l'URSSAF de Provence-Alpes-Côte d'Azur la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six septembre deux mille vingt-quatre.