LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 25 septembre 2024
Cassation partielle sans renvoi
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 936 F-D
Pourvoi n° K 23-19.375
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 25 SEPTEMBRE 2024
1°/ L'AGS (association), dont le siège est [Adresse 2],
2°/ l'Unédic dont le siège est [Adresse 2], association déclarée, agissant en qualité de gestionnaire de l'AGS, élisant domicile au centre de gestion et d'études AGS CGEA de [Localité 4], [Adresse 5],
ont formé le pourvoi n° K 23-19.375 contre l'arrêt rendu le 7 juin 2023 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre sociale, section A), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [H] [O] [F] [V] [J], domicilié [Adresse 1],
2°/ à la société Firma, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], anciennement société Laurent Mayon, en qualité de mandataire liquidateur de la société Pereira bâtiment,
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pietton, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de l'AGS, de l'Unédic, après débats en l'audience publique du 9 juillet 2024 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Pietton, conseiller rapporteur, M. Seguy, conseiller, et Mme Thuillier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 7 juin 2023), M. [F] [V] [J] a été engagé en qualité de manoeuvre à compter du 2 septembre 2013 par la société Pereira Bâtiment (la société).
2. Par jugement du tribunal de commerce du 14 septembre 2016, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard de la société, convertie en liquidation judiciaire par jugement du 26 octobre 2016, la société Laurent Mayon étant désignée en qualité de liquidateur.
3. En l'absence de notification d'un licenciement par le liquidateur, le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et en fixation au passif de la société de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. L'AGS et l'Unédic, délégation AGS - CGEA de [Localité 4] font grief à l'arrêt de dire que la résiliation judiciaire du contrat de travail du salarié, prononcée aux torts de la société, produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse à la date du 10 novembre 2016, de fixer les créances du salarié au passif de la liquidation judiciaire de la société à diverses sommes au titre des indemnités liées à la rupture du contrat de travail, de déclarer l'arrêt opposable à l'Unédic, délégation AGS - CGEA de [Localité 4] et dire qu'elle devra garantir les créances fixées au passif de la société dans les limites légales et réglementaires de sa garantie et du plafond applicable, alors :
« 1°/ que la garantie de l'AGS couvre les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant dans les quinze jours suivant le jugement de liquidation ; que ni le prononcé d'une liquidation judiciaire, ni la cessation d'activité en découlant n'emportent rupture du contrat de travail; que la rupture s'entend d'une rupture prononcée que par le mandataire liquidateur; que la cour d'appel a constaté que M. [F] [V] [J] n'avait pas fait l'objet d'un licenciement par la SELARL Laurent Mayon, à la suite du prononcé de la liquidation judiciaire de la société Pereira bâtiment, et qu'il n'était pas contestable que le jugement qui prononce la liquidation judiciaire n'a pas pour effet d'entraîner la rupture du contrat de travail ; qu'en disant néanmoins que l'AGS devait garantir les créances fixées au passif de la société Pereira bâtiment dans les limites légales et réglementaires de sa garantie et du plafond applicable, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé les article L. 1231-1 et L. 3253-8 du code du travail ;
2°/ qu'en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la date d'effet de la résiliation est fixée à la date de la décision judiciaire la prononçant, dès lors qu'à cette date le contrat n'a pas été rompu et que le salarié est toujours au service de l'employeur, ou à la date à laquelle le salarié est entré au service d'un nouvel employeur et ne se trouve plus à la disposition du précédent employeur ; que la garantie de l'AGS couvre les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant dans les quinze jours suivant le jugement de liquidation ; que ni le prononcé d'une liquidation judiciaire, ni la cessation d'activité en découlant n'emportent rupture du contrat de travail, laquelle ne peut être prononcée que par le mandataire liquidateur ; qu'en énonçant que la conversion de la procédure de redressement judiciaire initialement ouverte en liquidation judiciaire avait entraîné la cessation totale de l'activité de la société Pereira bâtiment et une impossibilité d'une poursuite de la relation de travail au service de ladite société, pour dire que la résiliation judiciaire du contrat avait pris effet au plus tard le 10 novembre 2016, soit dans le délai de 15 jours à compter du prononcé de la liquidation judiciaire par jugement rendu le 26 octobre 2016 par le tribunal de commerce de Bordeaux, et retenir la garantie de l'AGS au titre des créances fixées au passif de la liquidation judiciaire de la société Pereira bâtiment, la cour d'appel a violé les articles L. 3253-8 du code du travail et 1227 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1227 du code civil et L. 3253-8, 2° du code du travail :
4. Il résulte du premier de ces textes qu'en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la date d'effet de la résiliation ne peut être fixée qu'au jour de la décision qui la prononce dès lors que le contrat n'a pas été rompu avant cette date et que le salarié est toujours au service de l'employeur.
5. Il ressort du second que l'assurance des salariés contre le risque de non-paiement, en cas de liquidation judiciaire, des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail couvre les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant dans les quinze jours suivant le jugement de liquidation et pendant le maintien provisoire de l'activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire.
6. Pour fixer la date de la résiliation judiciaire du contrat de travail au 10 novembre 2016, soit à l'issue du délai de quinze jours suivant le prononcé de la liquidation judiciaire et dire que la garantie de l'AGS est due sur les créances fixées au passif de la société, l'arrêt retient que la relation de travail entre le salarié et la société n'a pas pu se poursuivre au-delà du prononcé de la liquidation judiciaire de celle-ci et que la résiliation judiciaire du contrat de travail a pris effet au plus tard le 10 novembre 2016, soit dans le délai de quinze jours à compter du prononcé de la liquidation judiciaire par jugement rendu le 26 octobre 2016 par le tribunal de commerce.
7. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que le contrat de travail du salarié n'avait pas été rompu dans le délai de quinze jours suivant le jugement de liquidation judiciaire, en sorte que la garantie de l'AGS n'était pas due pour les indemnités de rupture allouées, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
8. Tel que suggéré par l'AGS et l'Unédic, délégation AGS - CGEA de [Localité 4], il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
9. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
10. Il y a lieu de fixer la date d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail au 3 juin 2020, date du jugement du conseil de prud'hommes et de dire que les créances du salarié au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, de l'indemnité de congés payés afférents, de l'indemnité de licenciement et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ne sont pas couvertes par la garantie de l'AGS.
11. La cassation des chefs de dispositif fixant la date d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail au 10 novembre 2016, disant que la décision est opposable à l'Unédic, délégation AGS - CGEA de [Localité 4] et écartant sa garantie pour les créances résultant de la rupture du contrat de travail n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt prononçant la résiliation judiciaire du contrat de travail du salarié aux torts exclusifs de l'employeur et fixant au passif de la liquidation judiciaire de la société les créances du salarié au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, de l'indemnité légale de licenciement et d'indemnité pour licenciement abusif.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il fixe au 10 novembre 2016 la date d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [F] [V] [J] produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, déclare la décision opposable à l'association Unédic, Délégation AGS-CGEA de Bordeaux et qu'elle devra garantir les créances de M. [F] [V] [J] fixées au passif de la liquidation judiciaire de la société Pereira Bâtiment aux sommes de 3 380,32 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 338,03 euros brut pour les congés payés afférents, 1 134,19 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement et 1 500 euros à titre de l'indemnité pour licenciement abusif, l'arrêt rendu le 7 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
FIXE la date d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail au 3 juin 2020, date du jugement du conseil de prud'hommes de Bordeaux, et dit que les créances du salarié au titre de l'indemnité compensatrice de préavis de l'indemnité de congés payés afférents, de l'indemnité de licenciement et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ne sont pas couvertes par la garantie de l'AGS.
Condamne M. [F] [V] [J] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, prononcé par Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, en son audience publique du vingt-cinq septembre deux mille vingt-quatre, signé par elle, et en remplacement du conseiller rapporteur empêché, et par le greffier de chambre, conformément aux dispositions des articles 452 et 1021 du code de procédure civile.