LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Q 23-83.457 F-D
N° 01040
RB5
24 SEPTEMBRE 2024
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 24 SEPTEMBRE 2024
M. [P] [B] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Pau, chambre correctionnelle, en date du 27 avril 2023, qui, pour diffamation non publique envers un fonctionnaire public, l'a condamné à 38 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Briard, avocat de M. [P] [B], les observations de la SCP Gouz-Fitoussi, avocat de M. [I] [J], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 25 juin 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 26 avril 2019, M. [I] [J], major de police occupant le poste de chef de la section d'intervention départementale (SID) au commissariat de police de [Localité 1], a porté plainte et s'est constitué partie civile du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public notamment à l'encontre de M. [P] [B], secrétaire départemental du syndicat [4], en raison de l'affichage d'un tract syndical dans les locaux du commissariat de [Localité 1] et de sa diffusion par courriel interne aux adhérents du syndicat, les 29 et 30 janvier 2019, intitulé « [3] : chasser le naturel il revient au bureau », rédigé en ces termes « inadmissible, surréaliste... le 18 janvier 2019, alors que l'ensemble des collègues de la section d'intervention sont une nouvelle fois décalés de 13 h à 21h pour un service de maintien de l'ordre leur excellentissime major décide de rester en horaire de journée au chaud dans son bureau. Rien ne change... il est vrai que cette unité peut se le permettre étant en sureffectif... il ose tout... lui c'est même à ça qu'on le reconnaît. Unité [2] demandera une fois de plus des explications à ses supérieurs concernant cette attitude ».
3. Une information a été ouverte le 1er juin 2019 du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public. M. [B] a été mis en examen de ce chef.
4. Le 21 janvier 2020, M. [B] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs de diffamation publique pour l'affichage du tract au sein du commissariat, dans les espaces recevant du public, et diffamation non publique, pour la diffusion du tract par courriel interne et son affichage dans les locaux du commissariat non accessibles au public.
5. Le 26 octobre 2021, le tribunal correctionnel a relaxé M. [B] du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public, l'a déclaré coupable du chef de diffamation non publique et l'a condamné à 38 euros d'amende.
6. M. [B] puis le ministère public et la partie civile ont relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
7. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [B] coupable du chef de diffamation non publique, alors :
« 3°/ que les juges du fond se doivent, lorsque le prévenu se prévaut du fait justificatif de la bonne foi, de rechercher si les propos litigieux reposent sur une base factuelle suffisante et s'inscrivent dans un débat d'intérêt général afin, s'ils constatent la réunion de ces deux conditions, d'apprécier moins strictement les quatre critères du fait justificatif de la bonne foi, à savoir la poursuite d'un but légitime, l'absence d'animosité personnelle, une enquête sérieuse et la prudence et la mesure dans l'expression ; qu'en se bornant au cas présent, pour exclure le fait justificatif de la bonne foi, d'énoncer que les propos litigieux ne poursuivaient pas un but légitime, sans avoir rechercher, ainsi que cela lui était d'ailleurs demandé, si un débat d'intérêt général et une base factuelle suffisante n'étaient pas réunis, circonstances qui l'aurait conduite à apprécier différemment le critère de légitimité du but poursuivi, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
9. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
10. Pour refuser au prévenu le bénéfice de la bonne foi et confirmer le jugement, l'arrêt attaqué, après avoir énoncé, à juste titre, que les propos poursuivis présentent un caractère diffamatoire, retient qu'il ne ressort pas des éléments du dossier que les imputations diffamatoires aient poursuivi un but légitime tel que l'égalité de traitement entre les personnels de police, ni qu'elles aient exprimé une critique dans la répartition du travail entre les membres de la SID de [Localité 1].
11. Les juges relèvent que les propos litigieux constituent uniquement une attaque visant le chef de la section d'intervention, dans son statut de chef, sur le terrain de son éthique professionnelle, en ce que les imputations concernent les qualités personnelles et professionnelles de la partie civile, et non l'organisation du service dont il avait la charge.
12. Ils en concluent que les quatre conditions légales de la bonne foi, qui doivent être cumulées, ne sont pas réunies.
13. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
14. En effet, le tract litigieux, qui s'inscrit dans une action syndicale de protestation relative aux difficultés de travail au sein d'une section d'intervention, à l'occasion d'une opération de maintien de l'ordre, dans le cadre d'un conflit social, contribue à un débat d'intérêt général.
15. Il appartient alors aux juges du fond, en application de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, de rechercher si les propos reposent sur une base factuelle suffisante, notion qui recouvre celle d'enquête sérieuse, puis, lorsque cette deuxième condition est également réunie, de déterminer si l'auteur des propos a conservé prudence et mesure dans l'expression et était dénué d'animosité personnelle, ces deux derniers critères devant être alors appréciés moins strictement.
16. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Pau, en date du 27 avril 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bordeaux, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Pau et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre septembre deux mille vingt-quatre.