LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° J 23-83.475 F-D
N° 01033
RB5
24 SEPTEMBRE 2024
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 24 SEPTEMBRE 2024
M. [Z] [O] a formé un pourvoi contre l'arrêt n° 201 de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 11 mai 2023, qui, pour complicité de diffamation publique envers un particulier, l'a condamné à 500 euros d'amende avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de M. Dary, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [Z] [O], les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de l'association [4], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, les avocats ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 25 juin 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Dary, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Par acte d'huissier du 26 mai 2021, l'association [4] ([4]) a fait citer M. [Z] [O] devant le tribunal correctionnel, du chef susvisé, pour avoir, le 26 février 2021, en sa qualité d'auteur, tenu les propos suivants dans une vidéo intitulée « L'INVITE DU JOURNAL Maître [Z] [O] » accessible sur le site Youtube : propos n° 1 : (1'14") « c'est même pas un Jugement par défaut parce qu'ils ont été convenablement cités, les tribunaux, les juges ici ont veillé à ce que la procédure soit contradictoire, et non seulement ils ont été convenablement cités, mais nous avons nous même pris la précaution de les faire citer au siège de [4] à Paris, puisque l'objet social du [4] est de défendre les lanceurs d'alerte dont ils siphonnent allègrement les informations. Donc ils ont eu l'information, le [4] a écrit quand même aux avocats congolais de la banque pour dire qu'ils ne connaissaient pas ces gens, pour dire qu'ils ne les défendraient pas. » (1'46") (...) ; (1'47") « Le [4] s'est dédit par écrit, en disant qu'il ne les connaissait pas, qu'il ne les défendrait pas. Voilà" (1'56") (...) ; (8') « Parce que c'est une bataille qu'ils mènent depuis des années, donc ils sont cohérents avec eux-mêmes, simplement là, ils ont trouvé face à eux un certain nombre de personnes qui ont décidé de batailler et qui ont décidé de ne pas aller devant le tribunal médiatique mais d'aller devant les juges, d'aller chercher des arbitrages, de confronter des éléments, et lorsqu'on le propose, lorsqu'on le fait, lorsqu'on leur signifie à leur siège social à Paris, ces gens-là ne daignent pas venir, ces gens-là ne dépêchent même pas d'avocat et vont même jusqu'à dire "je ne les connais pas, je ne les défends pas", ces soi-disant lanceurs d'alerte. » (8'30) ; propos n° 2 : (1'56") « Et donc, contrairement à ses statuts en réalité, et aujourd'hui, ces gens ont été condamnés dans la mesure où, et nous nous n'avons jamais demandé la peine de mort ein, jamais, le Procureur non plus d'ailleurs, le Procureur avait demandé 15 ans, voilà 15 années, mais le magistrat a les mains liées à ce moment-là, il est obligé de mettre la peine la plus élevée puisqu'elles viennent toutes en concours. Si ces gens, s'étaient déplacés, si ces gens avaient dépêché un avocat, si le [4] avait dépêché un avocat pour les défendre, JAMAIS le juge n'aurait prononcé une peine comme celle-là, donc si vous voulez la hauteur de la peine est liée à l'inaction absolue et au déni absolu d'avoir à s'expliquer devant les juridictions congolaises. » (2'35) ; propos n° 3 : (2'38") « La banque, c'était au mois de septembre dernier, a estimé qu'elle avait obtenu réparation, puisque le tribunal a retenu ces infractions-là, a retenu la participation des deux ONG dans la falsification, dans la fabrication des preuves, donc à partir de là, la banque s'estimait satisfaite. » (2'57") ; propos n° 4 : (10'13") « Ce qui fait qu'aujourd'hui ils se retrouvent débiteurs de ces deux organisations, et enfermés dans une logique du mensonge. Donc de toute façon ils ne feront rien d'autre que débiter et redébiter ce qu'on leur demande de dire. » (10'24").
3. La citation visait également le prévenu, du même chef, pour avoir, le 27 février 2021, en qualité d'auteur, tenus les propos suivants dans une vidéo intitulée « [F] [T] et [K] [E] condamnés à la peine capitale en RDC ! Des précisions de Mt [Z] [O] » accessible sur le site Youtube : propos n°1: (3') « Alors, vous vous trompez parce que effectivement ce n'est pas une condamnation par contumace car ces gens-là ont été cités, ils ont été régulièrement cités, et le tribunal a bien vérifié qu'ils avaient eu connaissance de la citation c'est donc leur choix de ne pas être venu et de ne pas avoir comparu, et nous avions même sécurisé le parcours de l'information de la citation puisque nous avions fait délivrer la citation à comparaître à [Localité 3] chez [4] à Paris, au cabinet de son président qui est aussi avocat au barreau de Paris, et nous avons donc un document, une dénonciation de la citation pour les deux personnes que ces ONG déclaraient de toute façon et assument aujourd'hui comme étant sous leur protection. Donc ils ont été éminemment prévenus. Ils ont donc choisi de ne pas comparaître, mais non seulement ils ont choisi de ne pas comparaître mais ils ont choisi de ne pas être défendus parce qu'ils auraient pu envoyer des avocats et je dirais même plus, les avocats eux-mêmes ont choisi de ne pas les défendre, puisque nous avons dans notre dossier un courrier de l'avocat de [4] qui, à réception de la citation devant le tribunal de Kinshasa a déclaré ne pas les connaître, et ne pas les représenter. » (4'10") ; propos n° 2 : (4'10") « Et donc, cette absence de défense a participé à la peine, puisque le magistrat, j'insiste sur le fait que ni la banque ne demandait la peine de mort, ni le Procureur de la République, c'est simplement qu'elle est prévue dans le Code sur cette infraction d'association de malfaiteurs, que c'est l'infraction la plus élevée, que les peines viennent en concours et que donc c'est celle là qui doit être prononcée. Et elle n'est prononcée en plus que pieds et poings liés pour le magistrat puisqu'il aurait suffit à ces personnes d'être représentées par un avocat pour que la peine de mort ne s'applique pas. Mais à partir du moment où elles ne sont pas venues et elles ont choisi de ne pas comparaître, le juge n'avait pas d'autre solution que de prononcer le quantum maximum fixé par le Code, y'avait pas de pouvoir d'appréciation, c'est mécanique. Mais c'est quand même leur choix si vous voulez. » (5").
4. Les juges du premier degré ont relaxé le prévenu à raison des propos n° 2 tenus le 27 février 2021, l'ont déclaré coupable pour le surplus, l'ont condamné à 500 euros d'amende avec sursis pour le surplus et ont prononcé sur les intérêts civils.
5. M. [O] a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [O] coupable de complicité de diffamation publique envers un particulier, alors « que la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où elles constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme ; que la défense d'un client peut se poursuivre dans les médias ; qu'en déclarant M. [O] coupable de diffamation à raison de propos qu'il a tenus dans des médias congolais qui laisseraient entendre que la [4], d'une part, se serait abstenue de défendre deux ex-salariés de la banque [1] à l'occasion du procès que cette dernière avait engagé à leur encontre devant le tribunal correctionnel de Kinshasa notamment pour falsification de documents et, d'autre part, aurait été impliquée dans la falsification de ces documents sur lesquels elle avait fondé son rapport qui mettait notamment en cause la banque, tout en constatant, premièrement, que les propos poursuivis s'inscrivent dans un débat d'intérêt général relatif à une procédure judiciaire ayant abouti à la condamnation à mort de personnes revendiquant la qualité de lanceurs d'alerte et aux rôle et méthode d'organisations non gouvernementales ayant participé à un rapport relatif à des faits de corruption et de blanchiment impliquant la banque [1], dont M. [O] est l'avocat, deuxièmement, que dans la lettre qu'il avait adressée à l'huissier ayant délivré les citations destinées aux ex-salariés de la banque au siège de la [4], l'avocat de cette association indiquait que celle-ci n'était pas le conseil des deux personnes citées, qui n'avaient pas élu domicile à son siège, et que l'exemplaire du jugement du tribunal correctionnel de Kinshasa produit par M. [O] juge établie la prévention de faux en écriture et précise que « les contenus du rapport « des sanctions mine de rien » publié par [2] et l'ONG [4] de la 22ème à la 26ème pages contiennent des mentions fausses », troisièmement, que M. [O] s'était exprimé à la demande de sa cliente dans un but légitime afin de relativiser la portée du rapport et discréditer par avance les nouvelles révélations attendues que pourraient faire les deux ex-salariés de la banque et, quatrièmement, que si M. [O] avait manqué de prudence dans ses propos, la [4] n'établissait pas pour autant d'animosité personnelle à son encontre, la cour d'appel a porté une atteinte excessive à la liberté d'expression de M. [O] et a ainsi méconnu les articles 10 de la convention européenne des droits de l'homme, 9 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
7. Pour confirmer le jugement et déclarer M. [O] coupable de complicité de diffamation publique envers un particulier, l'arrêt attaqué retient, en substance, par motifs adoptés, tout d'abord, qu'à l'exception du passage n° 4 extrait de la vidéo du 26 février 2021, les propos poursuivis présentent un caractère diffamatoire en ce qu'ils imputent à l'association [4], d'une part, d'avoir participé à la falsification et la fabrication de preuves, utilisées dans un rapport impliquant, entre autres, la filiale congolaise de la banque [1], d'autre part, d'avoir trahi sa mission consistant à assurer la protection notamment juridique des lanceurs d'alerte en s'abstenant délibérément, dans une procédure judiciaire contradictoire, de défendre deux d'entre eux, indiquant ne pas même les connaître, et d'être ainsi responsable de leur condamnation à mort.
8. Pour rejeter l'exception de bonne foi, les juges relèvent, toujours par motifs adoptés, qu'en dépit de l'intérêt légitime qui s'attache aux propos litigieux, les pièces produites par le prévenu ne constituent pas une base factuelle suffisante.
9. Ils observent, en effet, que M. [O], avocat au barreau de Paris, ne pouvait, d'une part, se méprendre sur les termes du jugement effectivement rendu le 23 septembre 2020, cinq mois auparavant, lequel ne fait aucune mention d'une participation de l'association [4] à des falsifications ou fabrications de preuves et indique expressément qu'il a été rendu par défaut et acquitte MM. [E] [M] et [T] [X] des chefs de faux en écritures et usage contrairement à ce que mentionne l'exemplaire produit par le prévenu, d'autre part, ignorer que l'objet social de ladite association ne valait pas mandat de représentation pour les deux lanceurs d'alerte et qu'une citation directe délivrée à son siège, où ils n'avaient pas élu domicile, ne pouvait s'assimiler à une citation à leur personne, ce dont il résulte qu'il a volontairement tenu des propos inexacts et trompeurs en affirmant que la partie civile était à l'origine d'une condamnation à mort présentée comme automatique alors qu'il pouvait effectuer des vérifications élémentaires auprès de ses correspondants congolais pour s'en assurer.
10. Il en concluent que lesdits propos dépassent les limites admissibles de la liberté d'expression.
11. En se déterminant ainsi la cour d'appel a justifié sa décision.
12. En effet, elle a exactement relevé, à partir des pièces produites qu'elle a analysées à la lumière de celles versées à la procédure par la partie civile, que, si les propos litigieux se sont inscrits dans un débat d'intérêt général, ils ne reposaient pas sur une base factuelle suffisante et excédaient ainsi les limites admissibles de la liberté d'expression, et notamment dès lors qu'il résulte de ses constatations que le jugement de condamnation sur lequel se fonde le prévenu n'a pas été rendu à la suite de l'audience au cours de laquelle est intervenu l'avocat mandaté par la partie civile mais à la suite d'une audience distincte dont il n'est pas établi qu'elle ait eu connaissance.
13. Il s'ensuit que le moyen doit être écarté.
PAR CES MOTIFS, la Cour,
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme que M. [Z] [O] devra payer à l'association [4], en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre septembre deux mille vingt-quatre.