LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
SA9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 18 septembre 2024
Rejet
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 477 F-D
Pourvoi n° A 21-20.140
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 18 SEPTEMBRE 2024
La société Green Network SPA, société anonyme, société de droit italien, dont le siège est [Adresse 2] (Italie) ou encore [Adresse 3] (Italie), a formé le pourvoi n° A 21-20.140 contre l'arrêt rendu le 4 mai 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 16), dans le litige l'opposant à la société Alpiq, société anonyme, société de droit suisse, dont le siège est [Adresse 1] (Suisse), défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Tréard, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Green Network SPA, de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Alpiq, après débats en l'audience publique du 18 juin 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, Mme Tréard, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 mai 2021), à la suite d'un contrat de fourniture d'électricité conclu entre la société Green Network, société de droit italien, et la société Alpiq, société de droit suisse, un tribunal arbitral a rendu une sentence, sous l'égide de la Cour internationale d'arbitrage de la chambre de commerce internationale.
2. La société Green Network a formé un recours en annulation de cette sentence.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a délibéré sur ce moyen, sur l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats à l'audience publique du 28 novembre 2023 où étaient présents Mme Martinel, présidente, Mme Durin-Karsenty, conseillère doyen, Mme Bonnet, conseillère référendaire rapporteur, Mme Thomas, greffier de chambre.
Enoncé du moyen
3. La société Green Network fait grief à l'arrêt d'écarter des débats les pièces qu'elle a produites à l'exception des pièces 11, 21, 23 et de la sentence arbitrale, puis de rejeter le recours en annulation contre la sentence CCI n°18995/MHM/EMT/GT rendu le 6 avril 2018, alors « que toutes les productions antérieures à l'ordonnance de clôture sont par principe recevables ; que, par suite, le juge ne peut écarter des débats des pièces produites avant la clôture sans préciser les circonstances particulières s'opposant au respect du principe de la contradiction ; qu'en se bornant à relever, pour écarter des débats les pièces n° 17, 18, 19, 20 et 22 que « les autres pièces dont la traduction partielle n'est intervenue que le 2 février, près de 3 ans et 3 mois après ses premières conclusions et alors que la clôture devait être prononcée à cette date seront écartées des débats comme tardives » sans préciser en quoi la productions de ces pièces trois semaines avant la clôture de l'instruction finalement intervenue le 23 février 2021 s'opposait au respect du principe de la contradiction, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 15, 16, 802 et 907 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
4. Après avoir relevé que, parmi les pièces traduites, la sentence arbitrale, l'ordonnance de procédure, et l'opinion dissidente, bien que traduites tardivement n'avaient pas à être écartées des débats, s'agissant de pièces issues de la procédure d'arbitrage, la cour d'appel, pour écarter des débats comme tardives les pièces produites, à l'exception des pièces 11, 21 et 23 et de la sentence arbitrale, a retenu que malgré la demande de la société Alpiq de les faire écarter des débats, la société Green Network n'a finalement produit la traduction de ces pièces que le 2 février 2021, près de trois ans et trois mois après ses premières conclusions et alors que la clôture de la procédure devait être prononcée à cette date.
5. De ces constatations et énonciations relevant de l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, la cour d'appel en a déduit que ces pièces n'avaient pas été déposées en temps utile.
6. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
7.La société Green Network fait grief à l'arrêt de rejeter le recours en annulation dirigé contre la sentence rendue le 6 avril 2018, alors « que la reconnaissance d'une sentence rendue en violation des droits de la défense est contraire à l'ordre public international ; que, dans ses conclusions d'appel, la société GREEN NETWORK a montré que le tribunal arbitral avait méconnu les droits de la défense en décidant, aux termes de l'ordonnance n° 4, de rejeter sans motivation sa demande visant à la production de pièces et de prononcer simultanément la clôture de l'instruction, dès lors qu'en procédant de la sorte, le tribunal arbitral l'avait non seulement privé, sans se justifier, de pièces essentielles à la démonstration du bien-fondé de ses prétention mais également l'avait empêché de réagir utilement à ce rejet ; qu'en écartant ce moyen, aux motifs inopérants que la seule faculté offerte au tribunal de refuser la production de document ne peut suffire à caractériser une violation des droits de la défense et qu'il n'appartient pas au juge de l'annulation de se prononcer sur le bien-fondé de la décision du tribunal refusant la production de document, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1520, 5° du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
8. Il résulte de l'article 1520, 5°, du code de procédure civile que le juge de l'annulation est juge de la sentence pour admettre ou refuser son insertion dans l'ordre juridique français. Il lui incombe à ce titre de rechercher si la reconnaissance ou l'exécution de la sentence est compatible avec l'ordre public international, son contrôle portant, en droit et en fait, sur tous les éléments susceptibles de caractériser la contrariété à l'ordre public international de l'insertion de la sentence dans l'ordre juridique français.
9. N'étant pas juge de l'affaire pour laquelle les parties ont conclu une convention d'arbitrage, son contrôle n'est pas un réexamen au fond du litige contractuel soumis aux arbitres.
10. L'arrêt rappelle qu'il n'appartient pas au juge de l'annulation de porter une appréciation sur le bien-fondé ou non de la décision du tribunal arbitral qui a considéré que la production des documents réclamés n'était pas utile aux débats, renvoyant implicitement aux motifs de ses paragraphes 42 et suivants par lesquels il avait déjà constaté que le tribunal arbitral avait précisé les motifs de son refus aux paragraphes 227 à 229 de la sentence finale.
11. Il relève que le seul exercice de la faculté offerte au tribunal arbitral d'acquiescer ou de refuser la production de documents sollicitée par une partie ne peut suffire à caractériser une violation des droits de la défense.
12. Il constate que la société Green Network ne pouvait prétendre avoir été surprise du rejet de sa demande de production de pièces par l'ordonnance de procédure n°4 du 5 octobre 2017, dès lors que le tribunal avait, à cette occasion, plus précisément refusé de revenir sur une précédente décision, portant sur la même demande qui avait déjà fait l'objet d'un refus par une ordonnance du 3 novembre 2016.
13. Il en déduit que rien dans ce qui était soutenu par cette partie n'était de nature à refuser l'insertion de la sentence dans l'ordre juridique français, aucune des allégations de la société Green Network n'étant de nature à caractériser une violation de l'ordre public international.
14. En l'état de ces constatations et appréciations, établissant, d'une part, que la sentence comportait une motivation fondée sur l'inutilité de la demande de production de pièces présentée par la société Green Network, d'autre part, que cette dernière avait été mise en mesure de discuter le bien fondé de ce rejet, et ce bien avant que n'intervienne la clôture des débats prononcée le 5 octobre 2017, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.
15. Le moyen n'est donc pas fondé
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Green Network aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Green Network et la condamne à payer à la société Alpiq la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit septembre deux mille vingt-quatre.