LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 septembre 2024
Cassation partielle
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 846 F-D
Pourvoi n° D 22-18.629
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 SEPTEMBRE 2024
Mme [B] [K], épouse [W], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° D 22-18.629 contre l'arrêt rendu le 30 mars 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 4), dans le litige l'opposant à la société Hybrigenics services, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Carillon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [W], de la SCP Françoise Fabiani - François Pinatel, avocat de la société Hybrigenics services, après débats en l'audience publique du 25 juin 2024 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Carillon, conseiller référendaire rapporteur, M. Seguy, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 mars 2022), Mme [W] a été engagée en qualité d'administratrice de bases de données le 18 mai 2009 par la société Hybrigenics. Son contrat a été transféré à la société Hybrigenics services (la société) le 12 juillet 2010.
2. Une réunion d'information et de consultation des délégués du personnel a été fixée au 3 novembre 2017 sur le projet de licenciement économique de trois salariés.
3. Le 21 novembre 2017, la salariée a été convoquée à un entretien préalable en vue d'une mesure pouvant aller jusqu'au licenciement.
4. Le contrat a pris fin le 22 décembre 2017 après que la salariée a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle qui lui avait été proposé.
5. La salariée a saisi la juridiction prud'homale pour contester le bien-fondé de la rupture de son contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. La salariée fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande nouvelle en reconnaissance d'un harcèlement moral et en paiement des dommages-intérêts afférents et de la débouter de l'ensemble de ses autres demandes, alors « que les prétentions présentées pour la première fois en cause d'appel, quand bien même elles sont assorties d'une demande pécuniaire spécifique, ne sont pas irrecevables dès lors soit qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent, soit qu'elles sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des prétentions soumises au premier juge ; qu'en jugeant que la demande présentée par Mme [W] pour la première fois devant la cour d'appel au titre du harcèlement moral ne tend pas aux mêmes fins que celles soumises aux premiers juges et n'en constitue ni l'accessoire, ni la conséquence ou le complément nécessaire" aux motifs que la salariée formule une demande de dommages-intérêts à hauteur de 25 000 euros nouvelle et distincte des autres", la cour d'appel qui s'en est tenue au seul constat d'une demande pécuniaire nouvelle sans avoir recherché si l'objet de la demande de Mme [W] en reconnaissance d'un harcèlement moral dont elle soutenait qu'il démontrait le caractère factice du motif économique de son licenciement, n'aurait pas ainsi poursuivi la même fin ou constitué l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire de sa demande en reconnaissance du caractère injustifié du licenciement, soumise aux premiers juges, a privé sa décision de base légale au regard des article 564 et 566 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. Aux termes de l'article 565 du code de procédure civile, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
8. Aux termes de l'article 566 du même code, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
9. La cour d'appel, qui a constaté que les demandes formées par la salariée devant les premiers juges étaient limitées au paiement de diverses sommes au titre du licenciement qu'elle estimait injustifié, en a exactement déduit que la demande de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral formulée pour la première fois en appel ne tendait pas aux mêmes fins que la demande soumise aux premiers juges, n'était pas l'accessoire, la conséquence, ou le complément nécessaire des prétentions initiales et qu'elle était irrecevable.
10. Le moyen n'est donc pas fondé
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
11. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de l'ensemble de ses demandes, alors « que la rupture du contrat de travail résultant de l'acceptation par le salarié d'un contrat de sécurisation professionnelle doit avoir une cause économique réelle et sérieuse ; que l'employeur est en conséquence tenu d'énoncer la cause économique de la rupture du contrat et son impact sur les emplois, dont celui du salarié concerné, dans un écrit qui lui est remis ou adressé au cours de la procédure de licenciement et au plus tard au moment de l'acceptation du contrat de sécurisation professionnelle, afin qu'il soit informé des raisons de la rupture lors de son acceptation ; qu'en jugeant que Mme [W] avait été informée du motif économique de la rupture de son contrat de travail avant l'acceptation du contrat de sécurisation professionnelle par le compte rendu de la réunion des délégués du personnel du 1er décembre 2017, dont elle a été destinataire, par courriel en date du 7 décembre 2017", sans avoir constaté, ce qui était contesté par la salariée, que le document en cause aurait comporté une information suffisamment précise, d'une part, sur la cause économique de la rupture et, d'autre part, sur son impact sur les emplois dans l'entreprise, dont celui de Mme [W], la cour d'appel qui a statué par des motifs impropres à justifier sa décision, a violé les articles L. 1233-3, L. 1233-16 et L. 1233-67 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1233-3, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, L. 1233-16, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, et L. 1233-67, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, du code du travail :
12. Il résulte de ces textes que le document écrit par lequel l'employeur informe le salarié du motif économique de la rupture de son contrat doit énoncer à la fois la raison économique qui fonde la décision et sa conséquence précise sur l'emploi ou le contrat de travail du salarié. A défaut, la rupture est dépourvue de cause réelle et sérieuse.
13. Pour dire que l'employeur avait satisfait à son obligation d'informer la salariée du motif économique de la rupture, l'arrêt retient que ce motif a été porté à la connaissance de la salariée tant lors de l'entretien préalable que par le compte-rendu de la réunion des délégués du personnel du 1er décembre 2017 dont elle a été destinataire, par courriel du 7 décembre 2017.
14. En statuant ainsi, alors que le courrier électronique du 7 décembre 2017, comportant en pièce attachée le compte-rendu de la réunion avec les délégués du personnel du 1er décembre 2017 relative au licenciement pour motif économique envisagé, n'énonçait pas l'incidence des difficultés économiques invoquées sur l'emploi de la salariée, ce dont il résulte que l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation d'informer la salariée, avant son acceptation du contrat de sécurisation professionnelle, du motif économique de la rupture, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevable la demande de Mme [W] au titre du harcèlement moral, l'arrêt rendu le 30 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Hybrigenics services aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Hybrigenics services et la condamne à payer à Mme [W] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze septembre deux mille vingt-quatre.