LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° S 23-83.666 F-D
N° 00935
ODVS
10 SEPTEMBRE 2024
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 10 SEPTEMBRE 2024
M. [Y] [D], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 6e chambre, en date du 30 mai 2023, qui l'a débouté de ses demandes après relaxe de M. [R] [C] du chef d'injure publique envers un citoyen chargé d'un mandat public.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense..
Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, les observations de la SCP Le Griel, avocat de M. [Y] [D], les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [R] [C], et les conclusions de Mme Caby, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 juin 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 29 juillet 2020, M. [Y] [D], maire, a porté plainte et s'est constitué partie civile du chef d'injure publique envers un citoyen chargé d'un mandat public à l'encontre de M. [R] [C], qui avait publié sur son compte [1], le 11 mars 2020, un texte intitulé « [R] [C], militant PCF syndicaliste enseignant du Pas de Calais », qui commentait un article de presse relatant le retrait de la médiathèque, par M. [D], du journal Libération qui avait publié un article concernant la crise du personnel municipal, M. [C] comparant cette pratique au comportement autoritaire d'un ancien maire, et qui comprenait la phrase suivante : « A douze ans d'intervaIle, ce sont les mêmes méthodes. Les héninois ont échangé un autocrate corrompu pour un autocrate raciste au comportement de patron-voyou harceleur avec Ies agents. »
3. Par jugement du 5 juillet 2022, le tribunal correctionnel a déclaré M. [C] coupable d'injures publiques envers un citoyen chargé d'un mandat public et l'a condamné à 500 euros d'amende.
4. M. [C], puis le ministère public, ont relevé appel du jugement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté M. [D] de ses demandes indemnitaires formées à l'encontre de M. [C] dans le cadre des poursuites intentées contre ce dernier du chef d'injure publique envers un citoyen chargé d'un mandat public pour l'avoir qualifié de « raciste », alors « qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne referme l'imputation d'aucun fait est une injure ; qu'en l'espèce, pour relaxer M. [C] du chef d'injure publique envers un citoyen chargé d'un mandat public malgré le caractère injurieux du qualificatif « raciste » attribué à M. [D], maire de la ville d'[Localité 2], la cour d'appel a considéré, au visa de l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme, que l'emploi de ce qualificatif n'excédait pas les limites admissibles de la liberté d'expression aux motifs, d'une part, qu'il s'inscrivait « dans un contexte de campagne électorale municipale » et, d'autre part, qu'« il est commun dans le débat public, médiatique et politique » de qualifier ainsi le parti politique [5] auquel appartient M. [D] ; que, cependant, rien dans le contexte de l'injure proférée, si ce n'est sa date, ne permet de l'inscrire dans le cadre de la campagne électorale municipale alors en cours, ceci d'autant plus que M. [C] n'était pas candidat ; que, par ailleurs, n'est nullement établi le caractère habituel et courant de cette injure à l'endroit du [5], ce que M. [C] n'a d'ailleurs aucunement invoqué pour sa défense ; qu'en tout état de cause, ni la circonstance qu'une injure ait été proférée dans un contexte électoral ni celle qu'elle soit communément adressée au parti politique auquel appartient le citoyen chargé d'un mandat public visé ne sauraient en modifier le caractère répréhensible ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a donc méconnu le sens et la portée du terme incriminé et violé les articles 29, 33 de la loi du 29 juillet 1881 et 10 de la convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
6. Pour relaxer le prévenu du chef d'injure publique envers un citoyen chargé d'un mandat public pour avoir qualifié la partie civile de « raciste », l'arrêt attaqué énonce que ce terme, péjoratif et méprisant, renvoie à une image négative d'une personne qui n'aime pas les étrangers, les rejette, les dénigre et les exclut et qu'il peut ainsi être considéré comme constitutif d'une insulte.
7. Les juges relèvent néanmoins qu'il découle de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme que la liberté d'expression doit être appréciée de manière plus souple dès lors que les propos incriminés s'inscrivent dans un débat public d'intérêt général et qu'il doit être tenu compte du contexte dans lequel ils ont été prononcés.
8. Ils observent en l'espèce qu'il ressort tant du corps du texte que de l'intitulé de la page [1] du prévenu, qui le désigne comme militant du parti communiste et syndicaliste, que ces termes s'inscrivent dans un contexte de campagne électorale municipale entre un militant dudit parti opposant au maire de la commune, adhérent du [5].
9. Ils en concluent que, dans un tel contexte politique, il convient de préserver la liberté d'expression.
10. En l'état de ces seules énonciations, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
11. En effet, les propos poursuivis, certes outrageants à l'égard de la partie civile, exprimaient l'opinion critique d'un opposant politique, dans le contexte d'une campagne électorale, peu important que ce dernier ne soit pas lui-même candidat auxdites élections, sur un sujet d'intérêt général relatif au comportement du maire vis-à-vis des agents de la municipalité dans le cadre de l'exercice de son mandat, de sorte qu'ils n'ont pas dépassé les limites admissibles de la liberté d'expression au sens de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.
12. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté M. [D] de ses demandes indemnitaires formées à l'encontre de M. [C] dans le cadre des poursuites intentées contre ce dernier du chef d'injure publique envers un citoyen chargé d'un mandat public pour l'avoir qualifié de « patron-voyou harceleur avec les agents », alors « qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure ; que ce n'est que lorsque l'expression injurieuse est indivisible d'une imputation diffamatoire, que le délit d'injure est absorbé par celui de diffamation ; qu'en l'espèce l'expression incriminée figure à la fin d'un texte publié sur le compte [1] de M. [C] dans lequel celui-ci rapporte que « le journal suisse [3] raconte aujourd'hui : " Libération a publié un article sur la crise du personnel municipal, aussitôt prélevé par le maire à la Médiathèque [E] Delsaux " », fait ensuite un rapprochement avec l'ancien maire socialiste [E] [V] qui aurait procédé de la même manière en décembre 2008 avec un numéro du journal [4] contenant un article sur la perquisition de la Brigade financière à la mairie et conclut ainsi : « À douze ans d'intervalle, ce sont les mêmes méthodes. Les Héninois ont échangé un autocrate corrompu pour un autocrate raciste au comportement de patron-voyou harceleur avec les agents »; que cependant cette dernière expression (patron-voyou harceleur avec les agents) n'impute aucun fait précis à l'encontre de M. [D] et constitue dès lors une injure ; qu'en considérant néanmoins que l'expression injurieuse incriminée se référait à un fait précis consistant pour M. [D] à avoir des pratiques autoritaires avec les agents municipaux et constituant une diffamation et que cette expression injurieuse était indivisible de cette imputation diffamatoire, pour en déduire que le délit d'injure était absorbé par celui de diffamation et ne pouvait donc être relevé seul, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des propos en cause et violé les articles 29, 31 et 33 de la loi du 29 juillet 1881. »
Réponse de la Cour
14. C'est à tort que l'arrêt attaqué énonce que l'expression injurieuse « patron voyou harceleur » est indivisible de l'imputation diffamatoire évoquant les pratiques autoritaires menées par le maire au sein de la municipalité sur les agents municipaux, de sorte que le délit d'injure est absorbé par celui de diffamation et ne peut être relevé seul.
15. En effet, si les juges ont pu, dans le cadre de leur appréciation souveraine des éléments extrinsèques, considérer que les termes retenus par la partie civile se réfèrent aux pratiques autoritaires du maire menées sur les agents municipaux, similaires à celles de l'ancien maire, une telle imputation ne comporte pas en elle-même l'allégation ou l'imputation d'un fait suffisamment précis pour faire l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire, de nature à caractériser une diffamation.
16. Pour autant, l'arrêt n'encourt pas la censure dès lors que la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que les propos poursuivis, certes outrageants à l'égard de la partie civile, expriment l'opinion critique d'un opposant politique et syndicaliste, dans un contexte de campagne électorale, s'exprimant sur un sujet d'intérêt général relatif au comportement d'un élu dans l'exercice de son mandat public, de sorte qu'ils n'ont pas dépassé les limites admissibles de la liberté d'expression au sens de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.
17. Ainsi, le moyen doit être écarté.
18. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
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PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme que M. [D] devra payer à M. [R] [C] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix septembre deux mille vingt-quatre.