LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 4 septembre 2024
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 444 F-D
Pourvoi n° W 23-14.923
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 4 SEPTEMBRE 2024
1°/ La société Gymness-801, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ M. [D] [W], domicilié [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° W 23-14.923 contre l'arrêt rendu le 1er février 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 3), dans le litige les opposant à la société Fitness Park Development, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bessaud, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Gymness-801 et M. [W], de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Fitness Park Development, après débats en l'audience publique du 4 juin 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bessaud, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er février 2023), par contrat du 3 juin 2015, la société Mov'In, devenue Fitness Park Development, a consenti à la société Gymness et à M. [W] une licence de la marque et du concept « Fitness Park » et une affiliation au réseau Fitness Park pour une durée de sept ans, à effet du 1er septembre 2015, se terminant le 31 août 2022, portant sur l'exploitation d'un club situé à [Localité 4].
2. Par contrat du 2 août 2018, elle a consenti à la société Gymness-801 et à M. [W] une licence de la marque Fitness Park et une affiliation au réseau Fitness Park pour une durée de sept ans, à effet du 1er août 2018, se terminant le 31 juillet 2025, portant sur l'exploitation d'un club situé à [Localité 3].
3. Par lettre reçue le 27 juillet 2022, à effet du 27 août 2022, la société Gymness-801 et M. [W] ont notifié à la société Fitness Park Development la résiliation unilatérale du contrat portant sur l'établissement situé à [Localité 3] en invoquant le refus abusif de renouvellement du contrat de licence concernant le club de [Localité 4], le comportement déloyal de la société Fitness Park Development tenant à l'existence d'un logiciel permettant un accès illimité sans autorisation aux activités des clubs d'[Localité 3] et de [Localité 4] et l'absence d'assistance pour l'installation du club à [Localité 3] et de proposition alors que ce club accumulait les pertes.
4. Soutenant que cette résiliation était abusive, la société Fitness Park Development les a assignés en référé aux fins de voir ordonner la suspension des effets de la lettre de résiliation.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche
6. M. [W] et la société Gymness-801 font grief à l'arrêt de suspendre les effets de la lettre de résiliation reçue le 27 juillet 2022 et de leur enjoindre de poursuivre l'exécution du contrat de licence portant sur l'exploitation d'un club Fitness Park situé Centre commercial nord - [Adresse 5] à [Localité 3] (80), alors « que si la résiliation unilatérale du contrat doit normalement être précédée d'une mise en demeure, il en va autrement en cas d'urgence ; qu'en jugeant que la résiliation unilatérale par la société Gymness-801 et M. [W] du contrat de licence et d'affiliation au réseau Fitness Park à effet du 1er août 2018 constituait une violation grossière de l'article 1226 du code civil, en l'absence d'urgence et de mise en demeure préalable, tout en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si l'urgence, dispensant de toute mise en demeure préalable, n'était pas caractérisée non seulement par l'impossibilité, en raison d'une clause de non-concurrence stipulée dans le contrat de licence portant sur l'exploitation du club Fitness Park situé à Amiens, d'exploiter le centre sportif de Levallois qui générait une très grosse activité ainsi que de nombreux emplois, mais également par le caractère déficitaire du club d'[Localité 3], nécessitant de mettre fin immédiatement au contrat, la cour d'appel, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1226 du code civil, ensemble l'article 873, alinéa 1, du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1224 et 1226 du code civil et 873, alinéa 1, du code de procédure civile :
7. Aux termes du premier de ces textes, la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice.
8. Selon le deuxième de ces textes, le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable. Une telle mise en demeure n'a cependant pas à être délivrée, lorsqu'il résulte des circonstances qu'elle est vaine.
9. Selon le dernier, le président du tribunal de commerce peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
10. Après avoir énoncé que le trouble manifestement illicite prévu à l'article 873, alinéa 1, du code de commerce résulte de tout fait qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit, l'arrêt constate que le contrat portant sur l'établissement situé à [Localité 4] avait été conclu avec la société Gymness et M. [W] tandis que celui portant sur l'établissement situé à [Localité 3] était conclu avec la société Gymness-801 et M. [W], puis retient que l'urgence n'est pas constituée par le fait que, selon la société Gymness-801 et M. [W], la fin du contrat concernant le club d'[Localité 3] devait être calquée sur celle du contrat de [Localité 4], puisque l'article 2-6 du contrat concernant le club d'[Localité 3], qui est le dernier contrat conclu, prévoit un alignement des dates de fin de contrat en cas de pluralité de contrats en stipulant, par une disposition claire et précise, que « la date de référence retenue sera celle de l'échéance finale du dernier contrat de licence conclu ».
11. En se déterminant ainsi, sans rechercher si, alors qu'elle y était invitée, l'urgence n'était pas caractérisée par l'impossibilité d'exploiter l'établissement de Levallois-Perret sous une autre enseigne en raison d'une clause de non-concurrence stipulée dans le contrat relatif à l'établissement du club d'[Localité 3], pendant toute la durée de ce contrat, ainsi que par le caractère déficitaire du club d'[Localité 3], nécessitant de mettre fin immédiatement au contrat, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le moyen, pris en sa quatrième branche
12. M. [W] et la société Gymness-801 font le même grief à l'arrêt, alors « que les contrats liant les parties contenaient une clause de concomitance des ruptures, ainsi rédigée : les dates de fins de chaque contrat, y compris pour les contrats conclus antérieurement, devront obligatoirement être concomitantes. Pour ce faire, la date de référence retenue sera celle de l'échéance finale du dernier contrat de licence conclu. Les prolongations seront matérialisées par voie d'avenant. Les conditions applicables pour les périodes de prolongation seront celles en vigueur au moment de la conclusion des avenants" ; que pour juger que l'urgence n'était pas caractérisée, la cour d'appel a jugé qu'il ressortait clairement du contrat de licence concernant le club de [Localité 4] que celui-ci devait expirer le 31 juillet 2025, en même temps que celui concernant le club d'[Localité 3], et non pas l'inverse avec une expiration des deux contrats au 31 août 2022 ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme cela lui était demandé, si, en l'absence d'avenant de prolongation, la clause précitée n'imposait pas de fixer la date de résiliation du contrat concernant le club d'[Localité 3] à la date de rupture, d'ores et déjà effective, du contrat concernant le club de [Localité 4], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1103 du code civil, ensemble de l'article 873, alinéa 1, du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
13. Vu les articles 1103 du code civil et 873, alinéa 1, du code de procédure civile :
14. Selon le premier de ces textes, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
15. Pour retenir l'existence d'un trouble manifestement illicite du fait de la résiliation unilatérale notifiée par la société Gymness-801 et M. [W], l'arrêt écarte toute urgence justifiant une résiliation sans mise en demeure préalable. Il retient que si les dates de fin des deux contrats portant sur les établissements de [Localité 4] et [Localité 3] étaient liées en vertu de l'article 2-6 du contrat d'[Localité 3], cet alignement devait se faire sur l'échéance finale du dernier contrat de licence conclu. Il déduit de ces stipulations claires et précises que le contrat de licence du club de [Localité 4] devait expirer le 31 juillet 2025, en même temps que celui d'[Localité 3] et retient par conséquent qu'aucune urgence n'est constituée par le fait que la fin du contrat d'[Localité 3] devrait être calquée sur celle du contrat de [Localité 4].
16. En se déterminant ainsi, sans rechercher si, en l'absence d'avenant de prolongation, tel que prévu au même article, le contrat concernant l'établissement de Levallois-Perret n'avait pas été rompu à son terme initial, soit le 31 août 2022, ce que soutenaient la société Gymness-801 et M. [W] sans que la société Fitness Park Development ne le conteste, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er février 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Fitness Park Development aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Fitness Park Development et la condamne à payer à la société Gymness-801 et M. [W] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatre septembre deux mille vingt-quatre.