LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° J 24-83.249 F-B
N° 01110
ODVS
7 AOÛT 2024
REJET
M. DE LAROSIÈRE DE CHAMPFEU conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 AOÛT 2024
La société [2], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 3 mai 2024, qui, dans l'information suivie des chefs d'escroquerie en bande organisée, importation, offre et détention de moyens de captation frauduleuse de programmes télédiffusés réservés à un public d'abonnés, a déclaré irrecevable son appel de l'ordonnance de non-lieu partiel et de renvoi devant le tribunal correctionnel rendue par le juge d'instruction.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Chaline-Bellamy, conseiller, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société [2], et les conclusions de M. Crocq, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 août 2024 où étaient présents M. de Larosière de Champfeu, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Chaline-Bellamy, conseiller rapporteur, M. Wyon, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 17 mai 2017, une information a été ouverte des chefs susmentionnés, notamment au préjudice de la société [2].
3. Ladite société, partie civile, a désigné M. Richard Willemant comme avocat.
4. Par ordonnance du 28 septembre 2022, le juge d'instruction a prononcé un non-lieu partiel des chefs d'escroquerie en bande organisée, de blanchiment, de fabrication d'un équipement, matériel, dispositif ou instrument conçu en tout ou partie pour capter frauduleusement des programmes télédiffusés et d'organisation, en fraude des droits de l'exploitant du service, de la réception par des tiers de programmes et le renvoi devant le tribunal correctionnel des personnes mises en examen pour le surplus.
5. Un avocat, M. [I] [N], a relevé appel de cette décision pour la partie civile.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable l'appel de la société [2], prise en la personne de son représentant légal [Adresse 1], alors :
« 1°/ d'une part que la déclaration d'appel des ordonnances du juge d'instruction doit être signée par le greffier et par l'appelant lui-même, ou par un avocat, ou par un fondé de pouvoir spécial ; dans ce dernier cas, le pouvoir est annexé à l'acte dressé par le greffier et que les exigences de l'article 115 du code de procédure pénale ne s'appliquent plus après l'ordonnance de non-lieu provoquant le dessaisissement du juge d'instruction dont l'unique finalité est d'assurer la sécurité juridique de la seule procédure d'instruction, de sorte que doit être abandonnée l'interprétation combinée des articles 115 et 502 faite par la chambre criminelle depuis un arrêt rendu le 9 janvier 2007 (n° 06-84.738, Bull. crim., n° 3) selon laquelle l'avocat qui fait une déclaration d'appel, ne peut exercer ce recours, au stade de l'instruction, que si la partie concernée a préalablement fait choix de cet avocat et en a régulièrement informé la juridiction d'instruction, si bien qu'en se déterminant en conformité avec ladite interprétation, la cour d'appel a violé lesdits textes, ensemble l'article 186 du code de procédure pénale ;
2°/ d'autre part que le principe du libre choix par le client de son avocat participe du droit d'accès au juge et ne saurait être entravé par un formalisme excessif ; que l'ordonnance de non-lieu emporte le dessaisissement du juge d'instruction, ce dont il résulte que la partie civile peut interjeter appel par l'intermédiaire de l'avocat de son choix ; qu'en retenant que si le « conseil de la partie appelante n'est pas tenu de produire un pouvoir spécial... il ne peut exercer ce recours au stade de l'information qu'à la condition que la partie concernée ait fait préalablement le choix de cet avocat et en ait informé la juridiction dans les formes prévues par la loi... ; qu'il s'agit d'une formalité substantielle des conditions de saisine d'une juridiction notamment garantie des droits d'accès au dossier d'information par les parties, qui ne porte pas d'atteinte disproportionnée aux droits de la partie civile d'être entendue en appel puisqu'elle avait désigné un autre conseil qui est régulièrement intervenu dans la procédure d'instruction puis devant la cour d'appel par voie de mémoire et lors de l'audience et qui pouvait former appel de l'ordonnance en cause dans le respect des dispositions légales », la cour d'appel, en imposant ce formalisme, prive la partie civile du libre choix de son avocat pour interjeter appel, puisque cette exigence lui impose de recourir à l'avocat ayant fait l'objet d'une déclaration préalable au greffier du juge d'instruction, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
7. Pour dire l'appel irrecevable, l'arrêt attaqué énonce que si, en application des articles 502 et 115 du code de procédure pénale, l'avocat de la partie appelante n'est pas tenu de produire un pouvoir spécial, il ne peut exercer ce recours au stade de l'information qu'à la condition que la partie concernée ait fait préalablement le choix de cet avocat et en ait informé la juridiction d'instruction dans les formes prévues par la loi.
8. Les juges ajoutent que M. [N], dont le nom n'apparaît pas au dossier de l'information, n'a pas été destinataire, au cours de l'instruction, d'une quelconque notification en qualité d'avocat de la partie civile. Ils soulignent que la seule mention du nom et de la signature de cet avocat sur l'acte d'appel, en l'absence de désignation antérieure ou de pouvoir spécial, ne peut s'analyser comme une constitution régulière.
9. Ils indiquent encore que la circonstance que cet avocat ait déposé devant la chambre de l'instruction un mémoire en réponse en déclarant se constituer avocat pour la partie civile, ne saurait, de manière rétroactive, valider sa déclaration d'appel.
10. Ils relèvent enfin que les dispositions combinées des articles 115 et 502 du code de procédure pénale, qui déterminent les modalités de saisine de la juridiction d'appel, n'ont pas méconnu les droits de la partie civile, dès lors que celle-ci avait désigné un autre avocat, qui est intervenu au cours de l'information, puis devant la chambre de l'instruction, et pouvait relever appel de l'ordonnance dans les conditions prévues par la loi.
11. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.
12. En premier lieu, il ne résulte d'aucune disposition conventionnelle ou légale qu'un avocat qui n'a pas été personnellement désigné dans les formes prévues par l'article 115 du code de procédure pénale serait recevable à relever appel d'une ordonnance du juge d'instruction.
13. En second lieu, l'exigence d'une désignation préalable par déclaration auprès du greffe du juge d'instruction dans les conditions prescrites par l'article 115 précité pour désigner l'avocat d'une partie à l'information, destinée à garantir le secret et la sécurité de la procédure, ne relève pas, par principe, d'un formalisme excessif et ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit d'accès au tribunal qui reste ouvert par les autres modalités d'appel prévues par l'article 502 du même code.
14. Dès lors, le moyen doit être écarté.
15. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du sept août deux mille vingt-quatre.