LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC. / ELECT
JL10
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 10 juillet 2024
Cassation partielle
sans renvoi
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 793 F-D
Pourvoi n° E 23-13.551
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 10 JUILLET 2024
La société Les Cinq Sens, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° E 23-13.551 contre le jugement rendu le 9 mars 2023 par le tribunal judiciaire de Nîmes (contentieux des élections professionnelles), dans le litige l'opposant à Mme [U] [D], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Arsac, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Les Cinq Sens, de la SCP Boullez, avocat de Mme [D], après débats en l'audience publique du 12 juin 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Arsac, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Nîmes, 9 mars 2023), la société Les Cinq Sens (la société) a conclu le 17 octobre 2022 un protocole d'accord préélectoral avec les organisations syndicales CFDT, FO et CGT en vue des élections du comité social et économique devant se tenir les 16 novembre pour le premier tour et 30 novembre 2022 pour le second tour.
2. Par lettre recommandée avec avis de réception du 22 novembre 2022, reçue le 23 novembre 2022, Mme [D] a informé la société qu'elle se portait candidate pour le second tour des élections. Elle n'a pas été élue.
3. La salariée, qui avait été convoquée à un entretien préalable le 16 novembre 2022, a été licenciée le 3 décembre suivant pour faute.
4. La société a saisi le tribunal judiciaire le 22 décembre 2022 aux fins d'annulation de la candidature de la salariée, soutenant qu'elle aurait été déposée tardivement, serait irrégulière en la forme et présenterait un caractère frauduleux.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
5. La société fait grief au jugement de dire mal fondée sa requête portant sur la demande d'annulation de la candidature de la salariée aux fonctions de délégué du personnel du comité social et économique qui aurait été irrégulière en sa forme et déposée hors délai, ainsi que sur son caractère frauduleux, et de la débouter de cette demande, alors :
« 1°/ que les modalités d'organisation du scrutin, fixées par un protocole d'accord préélectoral dont la validité n'est pas contestée, s'imposent à l'employeur comme aux organisations syndicales et à tous les candidats participant aux élections ; qu'après avoir relevé que le protocole d'accord préélectoral du 17 octobre 2022, signé au sein de la société par l'ensemble des organisations syndicales ayant participé à sa négociation et dont la régularité n'était pas contestée, précisait en son article 4 que la date limite de dépôt des candidatures était fixée pour le second tour de scrutin au mardi 22 novembre 2022 à 12 heures", le tribunal a constaté que le dépôt de la candidature de la salariée au second tour de scrutin était intervenu à 12h09, soit neuf minutes après l'expiration du délai prévu par le protocole d'accord préélectoral ; qu'en décidant pourtant qu'il n'y avait pas lieu de juger irrégulière pour avoir été déposée hors délai la candidature de la salariée, eu égard à l'extrême brièveté du retard qui n'avait pas perturbé le déroulement du scrutin, le tribunal judiciaire a violé les articles L. 2314-6, L. 2314-28 et L. 2314-29 du code du travail ;
2°/ que les modalités d'organisation du scrutin, fixées par un protocole d'accord préélectoral dont la validité n'est pas contestée, s'imposent à l'employeur comme aux organisations syndicales et à tous les candidats participant aux élections ; qu'après avoir relevé que le protocole d'accord préélectoral du 17 octobre 2022, signé au sein de la société par l'ensemble des organisations syndicales ayant participé à sa négociation et dont la régularité n'était pas contestée, précisait en son article 4 que les listes de candidats pour l'élection du comité social et économique adressées à l'employeur devaient être établies en distinguant titulaires et suppléants et en précisant le collège", le tribunal a constaté qu'il ressort de la lettre de candidature de la salariée pour le second tour des élections des délégués du personnel" que la salariée n'a pas précisé le collège ni le scrutin concerné ; qu'en considérant néanmoins comme régulière la candidature litigieuse aux motifs inopérants que la salariée ne pouvait être éligible que dans le collège concerné par le vote, qu'elle pouvait porter sa candidature comme titulaire et suppléante et que l'employeur n'avait pas été induit en erreur puisqu'il avait bien intégré la candidature de la salariée au sein du collège employés titulaires, le tribunal judiciaire a violé les articles L. 2314-6, L. 2314-11, L. 2314-26, alinéa 3, L. 2314-28 et L. 2314-29 du code du travail ;
3°/ que par principe, l'employeur ne peut se faire juge de la régularité des candidatures présentées et décider de sa seule initiative de refuser de recevoir une candidature qu'il estime entachée de fraude ; que s'il est en droit, par exception, d'écarter de sa propre initiative une candidature ne respectant pas les formes et délais imposées par le protocole d'accord électoral, il conserve toujours la faculté de contester sa régularité devant le juge judiciaire ; que pour refuser de constater l'irrégularité de la candidature de la salariée, le tribunal judiciaire a retenu que la directrice avait adressé à la salariée, le 23 novembre 2022, le matériel de vote par correspondance sur lequel était mentionnée sa candidature et n'avait fait valoir sa contestation de ladite candidature que par courrier du 28 novembre 2022 ; qu'en statuant par de tels motifs quand il ne pouvait être déduit de ce que la société n'avait pas écarté d'office la candidature tardive et irrégulière en la forme de la salariée, la contestant dans un premier temps par courrier avant de porter cette constatation devant le juge, en raison notamment du contexte disciplinaire dans lequel elle était intervenue, que l'employeur en reconnaissait la validité, le tribunal judiciaire a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2314-11, L. 2314-26, alinéa 3, L. 2314-28 et L. 2314-29 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 2314-6, L. 2314-11, et L. 2314-28 du code du travail :
6. Il résulte de ces textes que les modalités d'organisation du scrutin, fixées par un protocole d'accord préélectoral conclu à la condition de double majorité prévue par l'article L. 2314-6 du code du travail, dont la régularité n'est pas contestée, s'imposent à tous.
7. Pour rejeter la demande d'annulation de la candidature de la salariée, le jugement retient que l'extrême brièveté du retard dans la candidature (neuf minutes) n'a pas perturbé le déroulement du scrutin, qu'il ne pouvait être contesté que la salariée ne pouvait être éligible que dans le collège concerné par le vote, qu'elle pouvait porter sa candidature comme titulaire et suppléante et que la directrice d'établissement, qui lui a envoyé par courrier du 23 novembre 2022 le matériel de vote par correspondance pour le deuxième tour des élections du comité social et économique du 30 novembre 2022, n'a fait valoir sa contestation à la candidature pour dépôt tardif que par courrier en date du 28 novembre 2022.
8. En statuant ainsi, alors qu'il avait constaté, d'une part, que le protocole d'accord préélectoral, dont il n'était pas contesté qu'il était valide au sens de l'article L. 2314-6 du code du travail et dont la régularité n'était pas remise en cause, avait fixé la date limite de dépôt des candidatures pour le second tour au mardi 22 novembre 2022 à 12h00 et que les listes des candidats devaient distinguer titulaires et suppléants et en préciser le collège, et, d'autre part, que la salariée avait déposé sa candidature le 22 novembre 2022 à 12h09 sans préciser le collège et le scrutin concernés, ce dont il résultait que cette candidature était irrégulière, peu important qu'elle n'ait pas été écartée par l'employeur, le tribunal, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
10. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit recevable la requête de la société Les Cinq Sens, le jugement rendu le 9 mars 2023, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Nîmes ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Annule la candidature de Mme [D] au second tour du scrutin du 30 novembre 2022 du comité social et économique de la société Les Cinq Sens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes tant devant le juge du fond que devant la Cour de cassation ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix juillet deux mille vingt-quatre.