LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 10 juillet 2024
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 792 F-D
Pourvoi n° R 23-11.606
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 10 JUILLET 2024
1°/ La société Heliconia Luxembourg, société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 1] (Luxembourg),
2°/ la société J-P. [Z] & [J] [D], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 4], prise en la personne de Mme [J] [D], en qualité de liquidateur de la société Heliconia France,
3°/ la société Hosi Malta Limited, société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 5] (Malte),
ont formé le pourvoi n° R 23-11.606 contre l'arrêt rendu le 15 décembre 2022 par la cour d'appel de Pau (chambre sociale), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [B] [I], domicilié [Adresse 2],
2°/ au Pôle emploi, direction régionale Nouvelle Aquitaine, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, Ã l'appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Arsac, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat des sociétés Heliconia Luxembourg, J-P. [Z] & [J] [D], ès qualités, et Hosi Malta Limited, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [I], après débats en l'audience publique du 12 juin 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Arsac, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 15 décembre 2022), M. [I] a été engagé en qualité de directeur industriel par la société Heliconia Luxembourg par contrat à durée indéterminée du 30 janvier 2016.
2. Il a été rémunéré par la société Hosi Malta Limited à partir du 1er septembre 2017.
3. Après l'avoir convoqué à un entretien préalable, la société Heliconia Luxembourg l'a licencié le 30 juin 2018.
4. Le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Pau le 22 mars 2019 aux fins de condamnation des sociétés Heliconia Luxembourg, Hosi Malta Limited (les sociétés) et Heliconia France à lui payer certaines sommes au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Recevabilité du pourvoi en tant que formé par la société J.-P. [Z] & [J] [D], en qualité de liquidateur de la société Heliconia France, examinée d'office
Vu l'article 609 du code de procédure civile :
5. Après avis donné aux parties conformément à l'article 16 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 609 du même code.
6. Le pourvoi en cassation n'est recevable que si le demandeur a intérêt à agir.
7. La société J.-P. [Z] & [J] [D], en qualité de liquidateur de la société Heliconia France, s'est pourvue en cassation contre une décision qui l'a mise hors de cause.
8. Elle ne justifie dès lors d'aucun intérêt à agir.
9. En conséquence, le pourvoi en tant que formé par la société J.-P. [Z] & [J] [D], en qualité de liquidateur de la société Heliconia France, n'est pas recevable.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen
10. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
11. Les sociétés font grief à l'arrêt de dire que le conseil de prud'hommes de Pau est territorialement compétent pour juger du présent litige et d'évoquer le fond de l'affaire, de dire que la loi applicable au présent litige est la loi française, dire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, fixer la moyenne de la rémunération du salarié à la somme de 13 180, 80 euros, les condamner in solidum à payer au salarié diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de rappel de salaire sur heures supplémentaires et congés payés afférents, de contrepartie obligatoire en repos et congés payés afférents, ainsi qu'à verser aux organismes de sécurité sociale français les cotisations sociales sur les salaires du salarié versés du 1er septembre 2017 au 30 juin 2018 sur la base d'un brut recalculé à partir du net, en intégrant les parts salariés et employeurs des cotisations, ainsi qu'à rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage versées au salarié, dans la limite de six mois d'indemnités, et de les débouter de leur demande de paiement de la somme de 52 570 euros, alors :
« 1°/ que l'article 21 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 dispose que l'employeur ayant son domicile sur le territoire d'un État membre peut être attrait b) dans un autre Etat membre, i) devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail; ou ii) lorsque le travailleur n'accomplit pas ou n'a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant la juridiction du lieu où se trouve ou se trouvait l'établissement qui a embauché le travailleur" ; que le lieu de travail habituel est l'endroit où le travailleur accomplit la majeure partie de son temps de travail pour le compte de son employeur en tenant compte de l'intégralité de la période d'activité du travailleur et, en cas de succession de lieux différents, le dernier lieu de travail ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt qu'engagé par la société Heliconia Luxembourg en qualité de directeur industriel chargé du suivi industriel au niveau des différentes sociétés du groupe, et à ce titre de se déplacer fréquemment à l'étranger, le salarié disposait d'un bureau au Maroc au sein duquel il avait travaillé 73 jours entre le 1er mars et le 31 décembre 2016, qu'afin de bénéficier d'un permis de travail au Maroc, un contrat de travail avait été parallèlement conclu au mois de janvier 2017, entre la société Heliconia Holding de droit marocain et le salarié en qualité de directeur technique, et que sa famille qui résidait à [Localité 6] avait projeté de déménager pour le rejoindre au Maroc au mois de décembre 2017 ; que les sociétés exposantes faisaient valoir que le Maroc était devenu progressivement le principal lieu d'exercice des activités du salarié si bien que la délocalisation de son poste de directeur industriel avait été actée à compter du 1er septembre 2017, date à compter de laquelle il avait travaillé et résidé habituellement au Maroc et ne rentrait en France que pour rendre visite à sa famille, ainsi que cela résultait des mentions portées dans son profil Linkedin, de la location d'un appartement au Maroc, de ses factures de téléphone et de location de voiture au Maroc, de son affiliation à la sécurité sociale marocaine, de la perception de salaires marocains et de plusieurs mails versés aux débats ; qu'en se fondant sur le fait que le salarié avait travaillé 73 jours au Maroc sur les 186 jours travaillés en 2016, pour en déduire que son lieu de travail habituel était la France et qu'en conséquence le conseil de prud'hommes de Pau était compétent, sans analyser son lieu de travail habituel sur toute la période ayant couru jusqu'au 30 juin 2018 à la lumière des nombreuses pièces versées aux débats par l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 21 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 ;
2°/ que l'article 21 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 dispose que l'employeur ayant son domicile sur le territoire d'un État membre peut être attrait b) dans un autre Etat membre, i) devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail; ou ii) lorsque le travailleur n'accomplit pas ou n'a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant la juridiction du lieu où se trouve ou se trouvait l'établissement qui a embauché le travailleur" ; qu'en retenant que le salarié, de nationalité française, avait une résidence en France à [Localité 6] au sein de laquelle avait eu lieu la négociation de son contrat de travail, que son contrat de travail ne fixait pas le lieu de travail du salarié et que ses fonctions concernaient l'ensemble du groupe qui comportait une filiale opérationnelle en France, la cour d'appel s'est fondée sur des circonstances impropres justifier la compétence de la juridiction française, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 21 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012. »
Réponse de la Cour
12. Ayant d'abord retenu que la compétence de la juridiction devait être déterminée au regard du contrat signé entre le salarié et son employeur initial, la société Heliconia Luxembourg dont le siège est au Luxembourg, aucun transfert du contrat de travail à la société Hosi Malta Limited n'ayant été officialisé, puis constaté que le salarié, de nationalité française, avait une résidence en France au moment de la conclusion du contrat, que les discussions en vue de la signature de ce contrat s'étaient déroulées à son domicile de Pau, que ses attributions portaient sur l'ensemble des structures du groupe, y compris sa filiale française, qu'aucun lieu de travail n'avait été fixé dans le contrat, qu'au cours de l'année 2016, le salarié avait passé moins de la moitié de son temps au Maroc, que le projet d'installation du salarié avec sa famille dans ce pays ne s'était jamais concrétisé, que les billets d'avion établissaient que le salarié n'exerçait pas ses fonctions exclusivement au Maroc, mais également en France, soit à Paris, soit à Pau, que de janvier 2016 à septembre 2017, les cotisations sociales afférentes à son contrat de travail étaient payées en France, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu en déduire que Pau était le lieu d'accomplissement habituel du travail du salarié, de sorte que le conseil de prud'hommes de Pau était la juridiction compétente en application de l'article 21 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012.
13. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
14. Les sociétés font grief à l'arrêt de les débouter de leur demande de paiement de la somme de 52 570 euros, alors « que les termes du litige sont fixés par les prétentions respectives des parties ; que les sociétés Heliconia Luxembourg et Hosi Malta Limited sollicitaient dans l'hypothèse où elles seraient condamnées au paiement de dommages-intérêts pour licenciement abusif que M. [I] soit condamné à leur rembourser la somme de 52 570 euros qui lui avait été versée à titre d'indemnité de départ dans le cadre de la rupture d'un commun accord de son contrat de travail ; que le salarié reconnaissait avoir perçu cette indemnité tout en faisant valoir qu'elle correspondait à trois mois de préavis augmentée de deux mois supplémentaires au regard des conditions luxembourgeoises" ; qu'en retenant que cette somme figurait sur des documents non signés par les parties concernant une rupture d'un commun accord qui n'a jamais eu lieu et qu'elle n'apparaissait pas sur les bulletins de salaires délivrés au salarié pour débouter les sociétés de leur demande, lorsque le versement de cette somme ne faisait pas débat, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
15. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
16. Pour rejeter la demande des sociétés en remboursement de la somme de 52 570 euros, l'arrêt retient que cette somme figure sur des documents qui ne sont pas signés et que les bulletins de salaire ne font pas référence à son versement.
17. En statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions d'appel, le salarié reconnaissait avoir perçu cette somme en soutenant qu'elle correspondait d'une part au préavis de trois mois et aux congés payés afférents et d'autre part à deux mois supplémentaires au regard « des conditions luxembourgeoises », la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
18. La cassation du chef de dispositif déboutant les sociétés de leur demande en remboursement d'une certaine somme n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt les condamnant aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à leur encontre, non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DÉCLARE IRRECEVABLE le pourvoi en tant que formé par la société J.-P. [Z] & [J] [D], en qualité de liquidateur de la société Heliconia France ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute la société Heliconia Luxembourg et la société Hosi Malta Limited de leur demande de paiement de la somme de 52 570 euros, l'arrêt rendu le 15 décembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Agen ;
Condamne la société Heliconia Luxembourg, la société Hosi Malta Limited et la société J.-P. [Z] & [J] [D], en qualité de liquidateur de la société Heliconia France, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix juillet deux mille vingt-quatre.