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10/07/2024 | FRANCE | N°52400772

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 10 juillet 2024, 52400772


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


SOC.


JL10






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 10 juillet 2024








Cassation




Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président






Arrêt n° 772 F-D


Pourvoi n° Q 23-17.953












R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU P

EUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 10 JUILLET 2024


M. [P] [R], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 23-17.953 contre l'arrêt rendu le 7 mars 2023 par la cour d'appel d...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

JL10

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 10 juillet 2024

Cassation

Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 772 F-D

Pourvoi n° Q 23-17.953

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 10 JUILLET 2024

M. [P] [R], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 23-17.953 contre l'arrêt rendu le 7 mars 2023 par la cour d'appel de Nîmes (chambre civile, 5e chambre sociale PH), dans le litige l'opposant à la société Lutécie, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Carillon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. [R], de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Lutécie, après débats en l'audience publique du 11 juin 2024 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Carillon, conseiller référendaire rapporteur, M. Pietton, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 7 mars 2023), M. [R] a été engagé en qualité de directeur commercial à compter du 22 décembre 1997 par la société Luberon technologie laboratoire. Son contrat de travail a été transféré à la société Lutécie groupe (la société) pour exercer les fonctions de directeur marketing groupe.

2. Licencié pour faute grave le 28 juillet 2018, il a saisi la juridiction prud'homale pour contester cette rupture et obtenir paiement de diverses sommes au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'une rupture du contrat de travail brutale et vexatoire.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Le salarié fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement ayant dit que son licenciement était fondé sur une faute grave et rejeté sa demande en paiement de diverses sommes à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité légale de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents, alors « qu'en raison de l'atteinte qu'il porte à la liberté fondamentale de témoigner, garantie d'une bonne justice, le motif de licenciement tiré du contenu de l'attestation délivrée par un salarié dans le cadre d'une instance judiciaire n'est valable qu'en cas de mauvaise foi de son auteur ; que la cour d'appel de Nîmes a relevé que la lettre de licenciement du 28 juillet 2018 reprochait à M. [R] d'avoir ''établi un témoignage en faveur de [X] [W] dans le cadre d'un litige prud'homal opposant la société à cette dernière portant sur le bienfondé de son licenciement pour motif économique'', d'avoir, ''dans le cadre du témoignage (?) mis en cause les agissements du groupe'' et d'avoir ainsi ''commis un manquement à (ses) obligations contractuelles'' ; qu'en retenant, pour dire que le licenciement était fondé sur une faute grave, que ''la société Lutécie ne reprochait pas à son salarié d'avoir témoigné contre elle à l'occasion d'un litige prud'homal, mais d'avoir, par ce témoignage, manqué à son obligation de confidentialité'', sans relever une quelconque mauvaise foi de la part de M. [R] dans le contenu de cette attestation, inséparable de sa délivrance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 6 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

4. La société conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que le moyen est nouveau, mélangé de fait et de droit et, partant, irrecevable.

5. Cependant, l'arrêt rappelle que le salarié soutenait qu'en vertu des articles 6 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 10 du code civil et de la jurisprudence de la Cour de cassation, il ne pouvait être sanctionné pour avoir témoigné en justice, sauf à prouver que ce témoignage reposerait sur des faits inexacts, ce dont il résulte que le moyen n'est pas nouveau.

6. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

7. En raison de l'atteinte qu'il porte à la liberté fondamentale de témoigner, garantie d'une bonne justice, le licenciement prononcé en raison du contenu d'une attestation délivrée par un salarié dans le cadre d'une instance judiciaire, est atteint de nullité, sauf en cas de mauvaise foi de son auteur.

8. Pour débouter le salarié de ses demandes, l'arrêt retient que la société ne reproche pas à son salarié, contrairement à ce qu'il soutient, d'avoir témoigné en justice contre elle dans le cadre d'un litige prud'homal, mais, alors qu'il était lié par son contrat de travail, d'avoir par ce témoignage manqué à son obligation de confidentialité précisément définie dans son contrat de travail.

9. Il ajoute que, dans son témoignage, le salarié apporte des éléments concernant la commercialisation d'une plante par son employeur, les conditions dans lesquelles il a pu ou non procéder à des recherches et études de marché concernant cette commercialisation et les coûts en recherche et développement préalables à la commercialisation, tout en y ajoutant un jugement de valeur personnel aux fins de discréditer la gestion de l'entreprise.

10. Il relève que l'issue du procès dans lequel le salarié a apporté son témoignage est sans incidence sur le manquement à ses obligations contractuelles qui lui est reproché.

11. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le salarié avait été licencié pour avoir établi un témoignage en faveur d'une autre salariée dans le cadre d'un litige prud'homal opposant la société à cette dernière, par des motifs impropres à caractériser la mauvaise foi du salarié, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

12. Le salarié fait le même grief à l'arrêt, alors « que la liberté d'agir en justice est une liberté fondamentale constitutionnellement garantie dont le juge doit faire application pour trancher le litige qui lui est soumis ; que la cour d'appel a relevé que la lettre de licenciement du 28 juillet 2018 reprochait à M. [R] d'avoir ''confié à un avocat la charge d'entamer une procédure afin [d'évincer les gérants du groupe] de la direction de la société'', ce que ladite lettre qualifiait de ''manquement grave à [l'] obligation de loyauté (?) dénot(ant) une intention de nuire'' ; que la cour d'appel de Nîmes a jugé que le fait, pour le salarié, d'avoir ''pris part à la mise en oeuvre d'une procédure ayant pour finalité d'écarter les gérants du groupe de leur poste'' constituait un ''comportement déloyal'' qui rendait impossible la poursuite du contrat de travail ; qu'en décidant ainsi que le motif invoqué par l'employeur dans la lettre de rupture caractérisait une faute grave constituant la cause valable du licenciement, sans tenir aucun compte du fait que M. [R] agissait ainsi en qualité d'associé de plusieurs sociétés du groupe Lutécie, et que ce motif portait atteinte à la liberté fondamentale, constitutionnellement garantie, d'agir en justice, la cour d'appel a violé l'alinéa premier du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, ensemble l'article 12, alinéa 1er du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

13. La société conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que le moyen est nouveau, mélangé de fait et de droit et, partant, irrecevable.

14. Cependant, le moyen qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, est de pur droit.

15. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

16. Est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale le licenciement intervenu en raison d'une action en justice introduite par le salarié.

17. Pour débouter le salarié de ses demandes au titre du licenciement, l'arrêt, après avoir constaté que la lettre de licenciement reprochait à l'intéressé d'avoir confié à un avocat la charge d'entamer une procédure afin d'évincer les dirigeants de la société et d'avoir sollicité des membres de leur famille pour qu'ils se joignent à la procédure, retient qu'il est incontestable que l'intéressé, certes associé de certaines sociétés du groupe Lutécie, mais surtout salarié du groupe Lutécie, a pris part à la mise en oeuvre d'une procédure ayant pour finalité d'écarter les gérants du groupe de leur poste, qu'un tel comportement marque la défiance du salarié envers les dirigeants de la société qui l'emploie et caractérise un comportement déloyal vis-à-vis de son employeur.

18. En statuant ainsi, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 mars 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

Condamne la société Lutécie aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Lutécie et la condamne à payer à M. [R] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix juillet deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 52400772
Date de la décision : 10/07/2024
Sens de l'arrêt : Cassation

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Nimes, 07 mars 2023


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 10 jui. 2024, pourvoi n°52400772


Composition du Tribunal
Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SARL Cabinet Rousseau et Tapie, SCP Alain Bénabent

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:52400772
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