LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 4 juillet 2024
Cassation
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 664 F-D
Pourvoi n° P 23-23.012
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 4 JUILLET 2024
La société Manar Altawasul Commercial Services Group, société de droit saoudien, dont le siège est [Adresse 2] (Arabie saoudite), a formé le pourvoi n° P 23-23.012 contre l'arrêt rendu le 26 septembre 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 3), dans le litige l'opposant à la société Constructions mécaniques de Normandie, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Waguette, conseiller, les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société Manar Altawasul Commercial Services Group, de la SCP Spinosi, avocat de la société Constructions mécaniques de Normandie, et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 mai 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Waguette, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 septembre 2023), le 7 octobre 2015, la société Constructions mécaniques de Normandie (la société CMN) a conclu avec la société Manar Altawasul Commercial Services Group (la société Manar) un contrat de service et de conseil à fin de bénéficier de l'assistance de celle-ci lors d'une campagne promotionnelle en Arabie saoudite pour la vente de ses navires.
2. La société CMN a vendu en août 2018 trente-neuf navires à la société Zamil en Arabie saoudite et a refusé de payer à la société Manar les honoraires qu'elle lui réclamait.
3. Saisi en référé par la société Manar, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, d'une demande tendant à enjoindre à la société CMN, suspectée de manquements contractuels et défaillante à son obligation de paiement, de communiquer divers documents en vue d'une action future à son encontre, le président d'un tribunal de commerce a rejeté la demande par une ordonnance du 18 février 2022.
4. La société Manar a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième, quatrième, cinquième et septième branches
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en ses première et troisième branches
Enoncé du moyen
6. La société Manar fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de mesure d'instruction in futurum, alors :
« 1°/ que la loi n'exige pas que le demandeur établisse le bien-fondé de l'action en vue de laquelle la mesure d'instruction est sollicitée ; qu'en procédant à une interprétation du contrat de conseil et de service pour retenir qu'il était caduc au jour de la signature du contrat de vente des navires, objet de la mesure d'instruction in futurum, et en déduire que l'exposante ne démontrait pas l'existence d'un litige qui ne soit pas manifestement voué à l'échec, la cour d'appel a statué sur le fond de l'affaire en violation de l'article 145 du code de procédure civile ;
3°/ qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés d'interpréter un contrat dont les clauses seraient équivoques pour apprécier l'existence du motif légitime requis par la loi ; qu'en l'espèce, pour écarter l'existence d'un motif légitime à ordonner la mesure d'instruction sollicitée par l'exposante, l'arrêt attaqué a considéré que le contrat de conseil et service invoqué par le prestataire était caduc au jour de la signature du contrat de vente de 39 vedettes d'interception entre le cocontractant et un tiers après avoir procédé à une interprétation de son article 3 relatif à sa durée ; qu'en se déterminant ainsi, tout en constatant que la version originale du contrat était rédigée en anglais, que les parties étaient en désaccord sur la traduction et le sens de l'article 3 et que cette clause ne fixait pas de terme à la relation contractuelle, la cour d'appel, qui a statué sur le fond, a excédé ses pouvoirs en violation de l'article 145 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 145 du code de procédure civile :
7. Il résulte de ce texte que, pour apprécier l'existence d'un motif légitime, pour une partie, de conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, il n'appartient pas à la juridiction des référés de trancher le débat de fond sur les conditions de mise en oeuvre de l'action que cette partie pourrait ultérieurement engager.
8. Pour confirmer l'ordonnance ayant rejeté la demande de mesure d'instruction, l'arrêt relève qu'il y a lieu de considérer que le contrat qui a été signé le 7 octobre 2015 est un contrat à durée déterminée dont le terme a été fixé par les parties au 30 juin 2016, puis au 31 juillet 2016 et enfin au 31 décembre 2016 et qu'il a donc expiré le 31 décembre 2016.
9. Il retient ensuite que ce contrat de service et de conseil était caduc au jour de la signature du contrat de vente des trente-neuf vedettes entre la société CMN et la société Zamil qui a eu lieu au cours du mois d'août 2018 et en déduit que la société Manar ne démontre pas l'existence d'un litige qui ne soit pas manifestement voué à l'échec puisque son droit à rémunération n'existe que si un contrat de vente est signé et entré en vigueur pendant la durée de validité du contrat litigieux.
10. En statuant ainsi, alors que la caducité du contrat relevait d'un débat de fond sur les conditions de mise en oeuvre de l'action future envisagée qu'elle ne pouvait trancher, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 septembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Constructions mécaniques de Normandie aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Constructions mécaniques de Normandie et la condamne à payer à la société Manar Altawasul Commercial Services Group la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juillet deux mille vingt-quatre.