LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 26 juin 2024
Rejet
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 666 F-D
Pourvois n°
R 23-15.562
S 23-15.563
V 23-15.566
E 23-15.575
W 23-15.590
A 23-15.594
G 23-15.601 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 JUIN 2024
La société Galderma Research & Development, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 8], a formé les pourvois n° R 23-15.562, S 23-15.563, V 23-15.566, E 23-15.575, W 23-15.590, A 23-15.594 et G 23-15.601 contre sept arrêts rendus le 10 mars 2023 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-7), dans les litiges l'opposant respectivement :
1°/ à M. [U] [N], domicilié [Adresse 2], Canada,
2°/ à Mme [H] [T], domiciliée [Adresse 5],
3°/ à Mme [M] [G], domiciliée [Adresse 1],
4°/ à Mme [O] [Y], domiciliée [Adresse 3],
5°/ à Mme [I] [E], domiciliée [Adresse 6],
6°/ à M. [K] [S], domicilié [Adresse 7],
7°/ à M. [J] [C], domicilié [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de ses pourvois, trois moyens communs de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Galderma Research & Development, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [N] et des six autres salariés, les plaidoiries de Me Goulet et de Me Thomas Lyon-Caen, ainsi que l'avis oral de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 mai 2024 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Prieur, conseiller référendaire rapporteur, M. Pietton, conseiller, Mme Grivel, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° R 23-15.562, S 23-15.563, V 23-15.566, E 23-15.575, W 23-15.590, A 23-15.594 et G 23-15.601 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Aix-en-Provence, 10 mars 2023) et les productions, la société Galderma Research & Development (la société GRD), filiale du groupe Nestlé Skin Health (NSH), exerce une activité de recherche et développement en dermatologie sur le site de Sophia Antipolis (Alpes-Maritimes).
3. Le groupe NSH a présenté au comité d'entreprise de la société GRD, le 2 octobre 2017, un document d'information sur le projet de reconversion / fermeture du site de Sophia Antipolis dans le cadre d'une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité.
4. Le 23 mars 2018, la société GRD a soumis à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Provence-Alpes-Côte d'Azur (Direccte Paca) un document unilatéral portant sur le projet de licenciement collectif incluant un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) mixte, lequel a été homologué par décision du 11 avril 2018.
5. M. [N] et six autres salariés cadres de la société GRD ont été licenciés pour motif économique en octobre 2018.
6. Contestant notamment le motif économique de la rupture de leur contrat de travail, les salariés ont saisi la juridiction prud'homale pour obtenir l'indemnisation de divers préjudices.
Examen des moyens
Sur les deuxième et troisième moyens
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
8. L'employeur fait grief aux arrêts de le condamner à payer à chacun des salariés des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :
« 1°/ que le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché ; qu'en l'espèce, la société Galderma R&D soutenait qu'il y avait au sein du groupe trois secteurs d'activité distincts ¿ la dermatologie des médicaments de prescription, la dermatologie esthétique et correctrice et la dermatologie cosmétique grand public pour la santé de la peau ¿ en s'appuyant sur les différences entre les trois secteurs en termes de nature des produits concernés (médicaments délivrés sur prescription, produits injectables destinés à être vendus dans des cliniques et crèmes grand public pour le soin de la peau vendues en droguerie / parapharmacie), de clientèle ciblée (patientèle de médecins, usagers de cliniques, clients de droguerie / parapharmacie), de concurrents, et de réseaux de distribution (pharmacies, cliniques, drogueries / parapharmacies), et qu'elle relevait pour sa part du secteur d'activité de la dermatologie des médicaments de prescription ; qu'en jugeant que le secteur d'activité pertinent était celui du domaine médical et para-médical et / ou cosmétique des soins de la peau et non celui de la dermatologie de prescription, après avoir énoncé que ''si les critères économiques de marché, clientèle, réglementation, environnement concurrentiel, sont des éléments permettant de caractériser le secteur d'activité, le juge reste toutefois investi d'un pouvoir souverain d'appréciation des éléments qui lui sont soumis pour le déterminer'', quand elle se devait de prendre en considération la nature des produits délivrés, la clientèle ciblée, les réseaux et les modes de distribution pour apprécier l'existence de marchés distincts, ce qu'elle n'a pas fait, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail ;
2°/ que le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché ; qu'en l'espèce, pour juger que le secteur d'activité pertinent était celui du domaine médical et para-médical et / ou cosmétique des soins de la peau et non celui de la dermatologie de prescription, la cour d'appel a relevé en premier lieu que ''le groupe est décrit comme un acteur important de la dermatologie, spécialisé dans les pathologies et le soin de la peau'' et qu' ''il développe des solutions innovantes dans les trois grands domaines d'activité précités, au travers de trois unités d'affaires (GBU) complémentaires'', en deuxième lieu, que ''la société GRD relève de la division scientifique, pilotée depuis Lausanne, laquelle regroupe toutes les phases de recherche, d'études précliniques et cliniques des projets de R&D en Prescription, en Esthétique et en Consumer'', en troisième lieu que ''la société Laboratoires Galderma, basée à Alby-sur-Chéran (France) est un site industriel spécialisé dans la production des produits dermatologiques (Prescription et Consumer) pour l'ensemble des pays du monde hors États-Unis'', si bien que ''les produits fabriqués sont issus de façon indifférenciée du même site industriel, pour les segments Prescription et Consumer, et adressés à divers pays de commercialisation, sans qu'il ne soit distingué lors de ces étapes de la production, de marchés correspondant à des secteurs d'activité'', et en quatrième lieu que ''le groupe NSH, postérieurement à sa cession par le groupe Nestlé, continue à se présenter publiquement comme un acteur compétent en dermatologie depuis des décennies à la pointe de l'innovation, en Aesthetics, Consumer et Prescription, opérant dans le monde entier, en localisant stratégiquement les centres de recherche et les sites de fabrication'', si bien que ''le groupe NSH a poursuivi un modèle de recherche et de fabrication des produits, étranger à toute notion de secteurs d'activité pouvant représenter des marchés différenciés'' ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs relatifs, d'une part, à la manière selon laquelle le groupe NSH se présentait, d'autre part, à l'appartenance de la société Galderma R&D à une division scientifique regroupant l'ensemble des activités de recherche et de développement relatives à la prescription, l'esthétique et les produits grand public, et enfin, à la fabrication des produits sur le même site industriel, motifs qui étaient impropres à exclure l'appartenance de la société Galderma R&D à un secteur d'activité spécifique du groupe caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail ;
3°/ que le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché ; qu'en l'espèce, en jugeant qu'il n'était pas démontré par la société Galderma R&D qu'elle était spécialisée dans le groupe en médecine de prescription, sans rechercher si, comme le faisait valoir l'exposante, 95,43 % (543 sur 569 salariés équivalents temps plein) de son personnel se consacrait à la recherche en dermatologie de prescription (acné, rosacée, cancers de la peau et autres affections dermatologiques) et bénéficiait d'une expertise en chimie moléculaire et formulation topique, que l'essentiel des brevets déposés l'avait été dans le secteur de la prescription, et, enfin, que 91,9 % de ses coûts étaient affectés à la recherche et développement en dermatologie de prescription, ce dont il s'évinçait que la société Galderma R&D relevait bien du secteur particulier de la prescription médicale distinct de celui de la dermatologie esthétique et correctrice et des produits grand public pour la santé de la peau, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail ;
4°/ que le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché ; qu'en l'espèce, en retenant qu' ''à supposer que cette société soit spécialisée dans le groupe en médecine de Prescription, ce qui n'est pas démontré par l'intimée, les secteurs d'activité A&C et Consumer sont également communs à la société GRD et aux entreprises du groupe auquel elle appartient'' et que ''la spécialisation invoquée ne suffirait pas à exclure son rattachement à un secteur d'activité plus étendu, les soins de la peau recouvrant les trois domaines d'activité'', quand il était inopérant que la société exposante ait eu parallèlement au secteur de la médecine de prescription des secteurs d'activité A&C et Consumer et que ces secteurs d'activité aient été communs aux entreprises du groupe dès lors que la société Galderma R&D était spécialisée dans la médecine de prescription, de sorte que ses activités dans les deux autres secteurs étaient accessoires, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
9. Selon l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification du contrat de travail consécutives notamment à des difficultés économiques, à des mutations technologiques ou à une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité ou à la cessation d'activité de l'entreprise. Si la réalité de la suppression ou transformation d'emploi ou de la modification du contrat de travail est examinée au niveau de l'entreprise, les difficultés économiques ou la nécessaire sauvegarde de la compétitivité doivent être appréciées au regard du secteur d'activité du groupe auquel appartient l'entreprise concernée.
10. Aux termes de l'avant-dernier alinéa de ce texte, le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.
11. Il en résulte que la spécialisation d'une entreprise dans le groupe ne suffit pas à exclure son rattachement à un secteur d'activité plus étendu, au sein duquel doivent être appréciées les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise.
12. La cour d'appel a d'abord relevé, prenant en considération l'activité des sociétés du groupe NSH et l'activité propre de la société GRD, que les sociétés du groupe, organisé en cinq divisions et spécialisé dans les pathologies et le soin de la peau, concevaient, produisaient ou commercialisaient indistinctement dans le monde entier l'ensemble des produits issus des trois segments d'activité « Prescription », « Esthétique et Cosmétique » (A&C) et « Consumer » grand public.
13. Elle a ensuite retenu que la société GRD, d'une part, relevait de la division scientifique, pilotée depuis Lausanne, regroupant l'ensemble des phases de recherche, d'études précliniques et cliniques des projets en « Prescription », en « Esthétique » et en « Consumer » et, d'autre part, que les secteurs d'activité « A&C » et « Consumer » étaient également communs à la société GRD et aux entreprises du groupe auquel elle appartenait.
14. Elle a encore constaté que les produits fabriqués étaient issus de façon indifférenciée du même site industriel, pour les segments « Prescription » et « Consumer », et adressés à divers pays de commercialisation, sans qu'il ne soit distingué, lors de ces étapes de la production, de marchés correspondant à des secteurs d'activité.
15. Elle a enfin retenu que le groupe NSH continuait à se présenter publiquement comme un acteur compétent en dermatologie depuis des décennies à la pointe de l'innovation, en « Prescription », « Aesthetics » et « Consumer », opérant dans le monde entier, en localisant stratégiquement les centres de recherche et les sites de fabrication, et qu'il avait poursuivi un modèle de recherche et de fabrication des produits, étranger à toute notion de secteurs d'activité pouvant représenter des marchés différenciés.
16. En l'état de ces constatations, la cour d'appel, qui a pris en considération un faisceau d'indices relatifs, notamment, à la nature des produits, à la division scientifique de recherches dont relève la société GRD, au même site industriel de production, à la clientèle des produits dermatologiques à laquelle ils s'adressent et aux conditions de commercialisation sans qu'il ne soit distingué de marchés différenciés, a pu en déduire, par des motifs opérants et sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, que la spécialisation invoquée ne suffisait pas à exclure son rattachement à un secteur d'activité plus étendu et que le périmètre pertinent du secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique de la rupture était celui du domaine médical et para-médical et / ou cosmétique des soins de la peau regroupant les trois segments d'activité.
17. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société Galderma Research & Development aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Galderma Research & Development et la condamne à payer à chaque salarié la somme de 750 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six juin deux mille vingt-quatre.