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25/06/2024 | FRANCE | N°C2400835

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 25 juin 2024, C2400835


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° Y 23-82.798 F-D


N° 00835




SL2
25 JUIN 2024




REJET




M. BONNAL président,
















R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 25 JUIN 2024






La société [2]

a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Bastia, chambre correctionnelle, en date du 25 janvier 2023, qui, pour mise en danger délibérée de la vie d'autrui, l'a condamnée à 50 000 euros d'amende et a ordonné la publicat...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° Y 23-82.798 F-D

N° 00835

SL2
25 JUIN 2024

REJET

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 25 JUIN 2024

La société [2] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Bastia, chambre correctionnelle, en date du 25 janvier 2023, qui, pour mise en danger délibérée de la vie d'autrui, l'a condamnée à 50 000 euros d'amende et a ordonné la publication de la décision.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société [2], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 mai 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Seys, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Courant 2011, la société [3] a entrepris la réalisation d'un chantier de construction immobilière à [Localité 1], sur un site constitué de terres fortement amiantifères.

3. La maîtrise d'oeuvre de conception et d'exécution de ce chantier a été confiée à la société [2].

4. Au cours de l'année 2016, une plainte émanant de particuliers, puis un rapport de l'inspection du travail, ont été adressés au procureur de la République, dénonçant la réalisation de travaux de terrassement et construction sans précaution aucune pour la protection des salariés et des riverains, ainsi exposés aux risques liés à l'amiante.

5. Le procureur de la République a fait citer devant le tribunal correctionnel, pour mise en danger délibérée de la personne et, selon les cas, pour remise de déchets amiantifères à une personne non agréée ou transport illicite desdits déchets, les sociétés concernées par le chantier ou leurs gérants.

6. Par jugement du 4 février 2020, le tribunal correctionnel, pour mise en danger délibérée de la vie d'autrui, a notamment condamné la société [2] à 50 000 euros d'amende et a ordonné la publication de la décision.

7. La société [2], puis le ministère public, ont relevé appel de ce jugement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

8. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [2] coupable des faits de mise en danger d'autrui par personne morale (risque immédiat de mort ou d'infirmité) par violation manifestement délibérée d'une obligation réglementaire de sécurité ou de prudence, et l'a en conséquence condamnée au paiement d'une amende de 50 000 euros, outre la publication du dispositif de la décision, alors :

« 1°/ que le délit de mise en danger d'autrui ne peut être caractérisé qu'en cas de violation manifestement délibérée par la personne poursuivie d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence, lui incombant, prévue par la loi ou le règlement ; qu'à l'appui de sa décision, la cour d'appel s'est bornée à retenir, à l'encontre de la société [2], chargée d'une mission de maîtrise d'oeuvre, le fait de n'avoir pas mis à jour, en fonction de l'évolution du chantier, les résultats de l'évaluation des risques et de n'avoir pas modifié le plan particulier de sécurité de protection de la santé des travailleurs en collaboration avec le coordonnateur SPS ; qu'en statuant par ces seuls motifs, sans caractériser autrement l'existence d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence incombant personnellement à la société [2], la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 223-1 du code pénal. »

Réponse de la Cour

10. En application de l'article 223-1 du code pénal, il incombe au juge de rechercher, au besoin d'office et sans qu'il soit tenu par les mentions ou l'absence de mention de la citation pour mise en danger sur ce point, l'existence d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement dont la violation est susceptible de permettre la caractérisation du délit ; il lui appartient ensuite d'apprécier le caractère immédiat du risque créé, puis de rechercher si le manquement relevé ressort d'une violation manifestement délibérée de l'obligation de sécurité.

11. Pour confirmer le jugement condamnant la société [2], l'arrêt attaqué énonce que les conditions dans lesquelles ont été traités les déblais amiantifères du chantier concerné ont déjà donné lieu à des poursuites contre un transporteur et une société de génie civil, définitivement condamnés.

12. Les juges relèvent que la société [2] a été chargée, par contrat du 23 mars 2011, d'une mission de maîtrise d'oeuvre complète et que son représentant était, en outre, économiquement intéressé au succès de l'opération de promotion immobilière en raison de ses liens capitalistiques avec le maître d'ouvrage.

13. Ils constatent que, d'une part, selon le Bureau de recherches géologiques et minières, le chantier était situé dans une zone de formations géologiques présentant des occurrences d'amiante qualifiées de nombreuses à systématiques, d'autre part, le permis de construire délivré au maître d'ouvrage prescrivait le respect de certaines règles spécifiques aux risques liés à l'amiante, notamment l'interdiction de transporter les déblais et remblais hors du site et l'obligation de respecter strictement le protocole d'intervention défini par l'autorité sanitaire et la direction du travail.

14. Ils rappellent que, d'une part, sur demande de l'inspection du travail, le juge des référés a, par ordonnance du 15 février 2012, interdit le démarrage du chantier, en raison d'une prise en compte insuffisante des contraintes inhérentes à la présence d'amiante dans le sol, d'autre part, la mise en oeuvre des travaux a été autorisée par cette même administration le 18 juillet suivant, avec des réserves dues à l'absence de communication, par les entreprises concernées, des protocoles d'enlèvement des déchets et de mise en place des installations sanitaires.

15. Ils ajoutent qu'en raison d'une sous-estimation, qui est en partie imputable à la société [2], des contraintes liées à l'évacuation de déblais fortement amiantifères, le plan général de coordination a dû être revu.

16. Ils précisent encore que des remblais amiantés ont été évacués sans aucune mesure de sécurité pour être déposés en deux endroits et que d'autres constats de manquement ont été opérés postérieurement à celui susvisé.

17. Ils observent qu'après divers avertissements et mises en demeure adressés par différentes administrations au maître d'ouvrage, l'inspection du travail a constaté, sur place, en présence du représentant de la prévenue, divers manquements aux règles de protection contre les risques liés à l'amiante, et retiennent que de tels constats, dont ils déclinent le détail, ont été réitérés au cours des mois suivants.

18. Après un rappel sommaire des obligations imposées par le code du travail en matière de protection contre les risques liés à l'amiante, déclinées aux articles R. 4412-94 et suivants de ce code, les juges retiennent que sont imputables à la société [2] une série de manquements à ces règles particulières, et notamment le stockage des déchets amiantifères au mépris des prescriptions des articles R. 4412-133 et suivants du code précité, la présence intermittente des bâches couvrant ces déchets et des barrières interdisant l'accès au chantier, l'absence de toute protection collective efficace, l'inefficacité totale du sas de décontamination, l'absence d'actualisation du plan général de coordination pour la sécurité et la santé (absence de mesurage de l'empoussièrement, absence de surveillance météorologique, absence de mise à disposition des moyens nécessaires pour y remédier), toutes omissions générant un risque pour les salariés et les riverains.

19. En l'état de ces seules énonciations, la cour d'appel, qui, à partir des éléments contradictoirement débattus devant elle, a caractérisé l'existence de violations manifestement délibérées d'obligations objectives, immédiatement perceptibles et clairement applicables sans faculté d'appréciation personnelle par la société [2], n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

20. Ainsi, le moyen doit être écarté.

21. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq juin deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2400835
Date de la décision : 25/06/2024
Sens de l'arrêt : Rejet

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Bastia, 25 janvier 2023


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 25 jui. 2024, pourvoi n°C2400835


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal (président)
Avocat(s) : SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:C2400835
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