LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° C 23-81.491 F-B
N° 00833
SL2
25 JUIN 2024
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 25 JUIN 2024
Les sociétés [4], [10] et [7] ont formé des pourvois contre l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de Versailles, en date du 20 septembre 2022, qui a, d'une part, confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence à effectuer des opérations de visite et de saisie en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles, d'autre part, prononcé sur leur demande d'annulation desdites opérations de visite et de saisie.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Michon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat des sociétés [4], [10] et [7], les observations de la SCP Duhamel, avocat de l'Autorité de la concurrence, et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 mai 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Michon, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 29 juin 2021, le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence a saisi le juge des libertés et de la détention d'une requête aux fins de se voir autorisé à procéder à des visites domiciliaires dans les locaux des sociétés [4], [9] et [5], ainsi que de l'organisme professionnel [6], en application de l'article L. 450-4 du code de commerce, au motif que les sociétés susmentionnées avaient pu se livrer à des pratiques illicites afin d'évincer plusieurs de leur concurrents.
3. Une ordonnance autorisant ces opérations a été rendue le 1er juillet 2021.
4. Les opérations de visite et saisie se sont déroulées le 8 juillet suivant.
5. Les sociétés [4], [10] et [7] ont formé des recours contestant tant l'ordonnance d'autorisation que le déroulement des opérations.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche
6. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté la demande d'annulation de l'ordonnance du 1er juillet 2021 rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Nanterre, a ordonné la restitution par l'autorité de la concurrence des seules pièces référencées par les sociétés du groupe [4] dans leur bordereau de communication de pièces sous les numéros de pièces 1.5, 4 (correspondant au scellé n° 7, côte n° 12) et 5 (correspondant au scellé n° 7, côtes n° 23 à 25) et a rejeté l'ensemble des autres demandes formées par les sociétés requérantes, alors :
« 1°/ d'une part, que toute décision de justice doit faire la preuve de sa propre régularité et que, à défaut de viser une délégation dans les fonctions qui sont, en vertu de l'article L. 450-4 du code de commerce, spécialement attribuées au Premier Président pour statuer sur les demandes d'autorisation de visites et de saisies en matière de concurrence, le magistrat qui a rendu l'ordonnance, au visa de délégations inopérantes, a violé le texte susvisé ainsi que, par fausse application, l'article R. 312-2 du code de l'organisation judiciaire ;
2°/ que d'autre part, l'inadéquation de la délégation en vertu de laquelle un juge siège ne se trouvant révélée, au cas présent, que par la seule lecture de la décision rendue, l'incompétence de ce dernier ne saurait exiger une contestation dès l'ouverture de l'audience, sauf à méconnaître l'article 6, § 1, de la CESDH. »
Réponse de la Cour
8. Les sociétés demanderesses, qui étaient représentées par un avocat, avaient nécessairement connaissance de l'ordonnance du premier président, prévue à l'article L. 121-3 du code de l'organisation judiciaire, répartissant les conseillers dans les différents services de la juridiction, de sorte que le moyen est nouveau et, partant, irrecevable en application de l'article 430 du code de procédure civile, applicable devant le premier président dans le cadre du recours prévu à l'article L. 450-4 du code de commerce.
9. Au surplus, il apparaît, selon l'ordonnance de roulement de la cour d'appel de Versailles applicable à compter du 5 septembre 2022 et versée aux débats, que le magistrat signataire, M. Thomas Vasseur, président de chambre, était à cette date compétent notamment pour les « recours relatifs aux visites domiciliaires et aux saisies » sans limitation.
Sur le deuxième moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
10. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté la demande d'annulation de l'ordonnance du 1er juillet 2021 rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Nanterre, a ordonné la restitution par l'autorité de la concurrence des seules pièces référencées par les sociétés du groupe [4] dans leur bordereau de communication de pièces sous les numéros de pièces 1.5, 4 (correspondant au scellé n° 7, côte n° 12) et 5 (correspondant au scellé n° 7, côtes n° 23 à 25) et a jugé que le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Nanterre n'a pas été en mesure dans les conditions factuelles d'analyser le caractère sérieux de la requête pour les opérations de visites et saisies sollicitées par l'autorité de la concurrence ; en conséquence, annuler l'ordonnance du 1er juillet 2021 rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Nanterre et par conséquent les opérations de visites et saisies réalisées par l'autorité de la concurrence le 8 juillet 2021 et celles des 14 et 15 septembre 2021 dans les locaux sis [Adresse 1] à [Localité 3] ; ordonner la restitution de l'intégralité des pièces et documents saisis à savoir : - les pièces informatiques saisies figurant dans le scellé n° 1 ; - les documents saisis figurant dans le scellé n° 2 ; - les documents saisis figurant dans le scellé n° 3 ; les documents saisis figurant dans le scellé n° 4 ; - les documents saisis figurant dans le scellé n° 5 ; - les documents saisis figurant dans le scellé n° 6 ; - les documents saisis figurant dans le scellé n° 7 ; - les documents saisis figurant dans le scellé n° 8 ; - les documents saisis figurant dans le scellé n° 9 ; tout autre document et/ou pièce (quelle qu'en soit la nature, la forme, le support d'origine, l'émetteur, le destinataire) que l'autorité de la concurrence a saisi lors des opérations de visites et saisies du 8 juillet 2021 et celles des 14 et 15 septembre 2021 ; interdire à l'autorité de la concurrence de conserver et/ou d'exploiter ces pièces et documents, et a fortiori de divulguer à tout tiers, notamment [2], Offisante et toutes autres sociétés ou personnes physiques directement ou indirectement impliquées dans les litiges opposant le groupe [4] à des tiers tels que relatés dans les présentes conclusions, alors :
« 1°/ que le juge des libertés et de la détention doit apprécier de façon effective et concrète si la requête qui lui est soumise par l'Autorité aux fins d'être autorisée à pratiquer des visites domiciliaires renferme des indices laissant soupçonner l'existence de pratiques anticoncurrentielles ; qu'en énonçant que « la rapidité du travail accompli » par le Juge des Libertés et de la Détention (la requête, composée avec ses annexes de 900 pages, ayant été déposée le 30 juin 2021 et l'ordonnance du JLD ayant été rendue le lendemain même), ne « caractérisait [pas] une insuffisance du contrôle que le juge doit exercer », quand ce délai était de nature à créer un doute légitime sur l'existence d'une analyse sérieuse et concrète des mérites de la requête de l'Autorité par le JLD, le délégué du Premier Président a violé l'article L.450-4 du code de commerce, ensemble les articles 6, § 1, et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°/ en outre que le fait, pour le juge des libertés et de la détention, de se borner à recopier mot pour mot la requête de l'Autorité, sous réserve de quelques adaptations de style ou de formulations d'usage, est de nature à faire naître un doute légitime sur l'existence d'un contrôle effectif et concret de la requête par le juge ; qu'en se bornant à relever que « la rapidité du travail accompli ne caractérisait aucunement une insuffisance du contrôle que le juge doit exercer », sans rechercher, comme elle y était invitée (conclusions, p. 33s.), s'il y avait pas lieu de soupçonner une absence de contrôle effectif par le JLD, dès lors que son ordonnance reprenait au mot près la requête de l'Autorité et que le JLD n'avait pas même relevé que les annexes qu'il citait étaient incomplètes ou ne comprenaient pas les éléments justificatifs qu'elles étaient supposées contenir, le délégué du Premier Président a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 450-4 du code de commerce, ensemble les articles 6, § 1, et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
11. Pour écarter le moyen de nullité de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant autorisé les opérations de visite et de saisie tiré de l'absence de contrôle effectif exercé par le juge, l'ordonnance attaquée indique notamment qu'il ne saurait être reproché à ce dernier d'avoir statué dans un délai court de deux jours, et que l'autorité de la concurrence n'est pas tenue de produire, à l'appui de sa requête, toutes les pièces en sa possession.
12. En statuant ainsi, et dès lors que les motifs de l'ordonnance autorisant les opérations de visite et saisie sont réputés avoir été établis par le juge qui l'a rendue et signée, le premier président n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
13. Le moyen doit donc être écarté.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
14. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a ordonné la restitution par l'autorité de la concurrence des seules pièces référencées par les sociétés du groupe [4] dans leur bordereau de communication de pièces sous les numéros 1.5, 4 (correspondant au scellé 7, côte n° 12) et 5 (correspondant au scellé n° 7, côtes n° 23 à 25), et a rejeté leurs demandes tendant à voir annuler la saisie par l'autorité de la concurrence des correspondances entre un avocat et son client relatives à l'exercice de ses droits de la défense, sans que le critère d'appartenance à un « dossier de concurrence » n'ait à être pris en compte, à savoir les documents et pièces figurant dans les pièces n° 1.1 à 1.4, n° 3, et n° 4, alors :
« 1°/ que le délégué du Premier Président a l'obligation de rechercher si les pièces qui lui sont précisément désignées par l'entreprise saisie comme étant couvertes par le secret des correspondances avocat-client et/ou la protection des droits de la défense, étaient effectivement protégeables à ce titre et n'ont pas fait l'objet d'une saisie irrégulière par l'Autorité de la concurrence ; qu'en l'espèce, les sociétés [4] sollicitaient l'annulation de la saisie d'un certain nombre de documents dont elles faisaient valoir qu'ils étaient protégés au titre du secret des correspondances avocat-client ; qu'elles avaient regroupé ces pièces par liste, leur pièce 1.1 listant les documents correspondant à « des échanges en interne en vue de la saisie d'un avocat », leur pièce 1.2 listant ceux correspondant à des « courriels envoyés à un avocat dans lesquels un avocat était en copie, compte tenu de son implication directe dans le dossier », leur pièce 1.3 listant ceux correspondant à des « courriels reçus d'un avocat », leur pièce listant 1.4 ceux correspondant à des « courriels d'un avocat transférés en interne », et leur pièce 1.5 listant ceux correspondant à des « courriels de synthèse d'une stratégie de défense d'un avocat » ; que, dans chacune de ces listes, les sociétés [4] avaient désigné de façon précise chacun des documents qu'elle jugeait protégeable en indiquant leur support (mail, téléphone, ordinateur, etc.), le numéro de classement retenu par l'Autorité, la dénomination utilisée dans l'inventaire, le chemin d'accès au dossier dans le disque dur dans lequel le fichier se situait, les expéditeurs et destinataires des échanges concernés, leur date, le nom de l'avocat concerné par cet échange, et avaient en outre fourni un lien hypertexte permettant au juge de consulter directement chacune des pièces par un simple clic ; que les sociétés [4] avaient également désigné, pour chacune des pièces considérées, le contentieux auquel elles se rattachaient ; qu'en refusant de rechercher si les pièces visées par la liste 1.1 des sociétés [4] (« échanges en interne en vue de la saisie d'un avocat ») avaient été irrégulièrement saisies, au motif que les sociétés [4] n'avaient, en sus des informations fournies, pas « spécifié » en quoi les pièces visées se rapporteraient à des échanges internes en vue de la saisie d'un avocat et qu'il ne lui appartenait de procéder à une description que les sociétés [4] s'étaient elles-mêmes gardées de faire (ordonnance, p.7), cependant que le fait que les sociétés [4] n'aient pas spécifié en quoi les documents visés se rapportaient à des échanges en vue de la saisine d'un avocat ne l'empêchait de se prononcer, sur la base des informations délivrées, ni sur l'appartenance des courriers à cette catégorie ni sur le caractère protégeable des documents visés, le délégué du Premier Président, qui a refusé d'exercer son office, a violé l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 66-5 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 ;
2°/ qu'en refusant également d'analyser chacun des documents visés par les sociétés [4] dans la liste sus-évoquée au motif que « moult documents » ne se rapportaient prétendument pas « à des échanges en interne vue de la saisie d'un avocat » (ordonnance, p.8, §4), et « qu'il n'y aurait dès lors pas lieu de faire la description exhaustive des autres pièces » (ordonnance, p.8, §4), cependant que le fait que la preuve du caractère protégeable de certains documents ne soit pas suffisamment rapportée ne dispensait pas le juge de déterminer les pièces dont le caractère protégeable était établi et celles pour lesquelles cette preuve n'était pas rapportée, le délégué du Premier Président a violé l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 66-5 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 ;
3°/ de même qu'en refusant d'examiner le caractère protégeable de chacune des pièces précisément désignées dans les listes 1.2 à 1.4 des sociétés [4] (« courriels envoyés à un avocat dans lesquels un avocat était en copie, compte tenu de son implication directe dans le dossier » ; « courriels reçus d'un avocat » ; « courriels d'un avocat transférés en interne ») au motif que le rattachement de certaines pièces à un courriel reçu d'un avocat, à des échanges dans lesquels un avocat était en copie, ou à un courriel d'avocat transféré en interne, ne serait pas établi, et que les pièces listées seraient de plusieurs centaines, quand ces circonstances ne le dispensaient pas davantage d'analyser chacune des pièces désignées et de rechercher si ces pièces n'avaient pas été irrégulièrement saisies par les services d'instruction, le délégué du premier président a violé l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
4°/ enfin qu'en affirmant, à l'égard également des listes 1.2, 1.3 et 1.4, qu'il ne serait pas possible de corréler les courriers concernés avec l'exercice des droits de la défense (ordonnance, p. 9, § 1 s.), cependant que les sociétés [4] avaient désigné de façon précise chacune des pièces dont elles considéraient qu'elles étaient protégeables au titre du secret professionnels en précisant le contentieux auquel elles se rattachaient, qu'il résultait de la lecture prima facie de nombreuses pièces que ces pièces étaient manifestement couvertes par ledit secret sans qu'il soit besoin d'explications supplémentaires pour s'en convaincre, et qu'il était donc en capacité, sur la base des informations fournies, de lister les pièces dont le caractère protégeable était établi et celles qui ne l'étaient pas, le délégué du Premier Président a, en prétendant ne pas être en mesure de statuer, violé l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971. »
Réponse de la Cour
15. Pour rejeter les demandes de restitution de pièces formées par les sociétés demanderesses, à l'exception de certaines limitativement énumérées, l'ordonnance attaquée relève notamment, s'agissant de la pièce 1.1, qui rassemblerait des « échanges en interne en vue de la saisine d'un avocat », que, à supposer même que cette catégorie recouvre des correspondances protégées, la plupart des quatre-cent-cinq pièces qui y sont listées ne se rapportent en rien à la saisine, même éventuelle, d'un avocat.
16. Le premier président relève également, concernant la pièce 1.2, qui rassemblerait, selon les requérantes, des communications adressées à un avocat, que de nombreuses pièces ne se rapportent en rien à la saisine d'un avocat, ne contiennent qu'un numéro de conférence téléphonique, et, plus généralement, que la plupart des pièces produites ne correspondent pas à l'intitulé sous lequel elles sont rassemblées.
17. Le premier président expose en outre, concernant la pièce 1.3, supposée rassembler les courriels reçus d'un avocat, que celle-ci comprend trois-cent- dix-neuf pièces, parmi lesquelles, par exemple, l'une ne comprend qu'un bandeau publicitaire, une autre ne contient qu'un constat d'huissier sans autre précision, de sorte qu'il n'est pas possible de déterminer si le moyen invoqué est fondé.
18. Il relève par ailleurs que la pièce 1.4, qui devait rassembler les courriels d'un avocat transférés en interne, comprend également de très nombreuses pièces sans aucun lien avec l'exercice des droits de la défense, tel que le procès-verbal d'assemblée générale de la société [8].
19. En statuant ainsi, le premier président n'a méconnu aucun des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.
20. Tout d'abord, et dès lors qu'il appartient à la partie qui invoque la protection des correspondances entre un avocat et son client relevant de l'exercice des droits de la défense d'identifier précisément ces pièces et d'exposer, pour chacune, les raisons pour lesquelles la pièce ne pouvait être saisie, le premier président, après avoir ordonné la restitution d'une partie des pièces, a constaté, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que, pour le surplus, les conclusions des demanderesses ne lui permettaient pas, en raison de leur imprécision et de leur confusion, d'exercer le contrôle auquel il était invité.
21. Au surplus, dès lors que seules les communications entre un avocat et son client qui relèvent de l'exercice des droits de la défense ne peuvent être saisies, des échanges préalables à la saisine d'un avocat sans que celui-ci n'en soit l'émetteur ou le destinataire, tels que ceux qui auraient été regroupés dans la pièce 1.1 visée dans la première branche, ne peuvent relever de cette catégorie.
22. Le moyen doit donc être écarté.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
23. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a ordonné la restitution par l'autorité de la concurrence des seules pièces référencées par les sociétés du groupe [4] dans leur bordereau de communication de pièces sous les numéros de pièces 1.5, 4 (correspondant au scellé 7, côte n°12) et 5 (correspondant au scellé n° 7, côtes n° 23 à 25), et a rejeté leurs demandes tendant à voir annuler la saisie par l'autorité de la concurrence de tous les documents saisis qui n'ont aucun rapport avec l'objet de l'enquête, à savoir les pièces n° 7.1 à 7.5., alors :
« 1°/ que toute entreprise ayant fait l'objet de visites domiciliaires est recevable à solliciter l'annulation des saisies de pièces sans lien avec l'objet de l'enquête et, partant, de l'ordonnance ayant autorisé les opérations de saisie ; que ces saisies causent nécessairement grief au saisi concerné, ne serait-ce qu'en raison de l'atteinte injustifiée qui a été portée au droit de propriété du saisi (Com. 13 oct. 2021, n° 17-13.008) ; qu'en l'espèce, les sociétés [4] avaient fait valoir qu'en procédant à des saisies générales et massives, les services d'instruction avaient appréhendé plusieurs séries de documents n'ayant manifestement aucun lien avec l'objet de l'enquête ; qu'elles avaient à nouveau listé ces documents dans cinq pièces, à savoir leur pièce n° 7.1 listant les « documents dont la date de création est de plus de deux ans antérieurs aux pratiques alléguées par l'Autorité », leur pièce n° 7.2 listant les « documents relatifs à des dossiers sociaux ou comptables sans rapport avec l'objet de l'enquête », leur pièce n° 7.3 listant les « documents administratifs sans rapport avec l'objet de l'enquête », leur pièce n° 7.4 listant les « documents contractuels sans rapport avec l'objet de l'enquête », et leur pièce n° 7.5 listant les « documents commerciaux sans rapport avec l'objet de l'enquête » ; qu'en refusant d'annuler les saisies correspondantes au motif que si des pièces ont pu être saisies sans être en lien avec l'objet de l'enquête, ces saisies, dès lors qu'elles ne portaient sur aucun document en lien avec l'exercice des droits de la défense ou le secret professionnel n'auraient occasionné « aucun grief pour les sociétés requérantes, d'autant que ces documents ne pourront en tout état de cause être utilement exploités pour autant qu'ils ne seront d'aucune utilité, ainsi que le prétendent les sociétés requérantes » (ordonnance, p. 12), le délégué du Premier Président a violé l'article L. 450-4 du code de commerce, ensemble le droit de propriété tel que garanti par l'article 555 du code civil ;
2°/ en outre que ni le caractère global de la saisie informatique ni la circonstance que les saisies aient été pratiquées selon les modalités déterminées par l'ordonnance (consistant en l'espèce dans la détermination des lieux mentionnés par l'ordonnance, dans un renvoi aux dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce, et dans un rappel de l'existence d'un contrôle) n'est de nature à rendre irrecevable le moyen fondé sur la saisie de pièces manifestement sans lien avec l'objet de l'enquête et de l'ordonnance ; qu'en se fondant sur un tel motif pour rejeter le moyen d'annulation des sociétés [4], le délégué du Premier Président a violé de plus fort l'article L. 450-4 du code de commerce, ensemble le droit de propriété tel que garanti par l'article 555 du code civil ;
3°/ en outre que pour faciliter le travail du juge, les sociétés [4] avaient recensé les pièces saisies sans lien avec l'objet de l'enquête en cinq listes réparties par thèmes ; qu'elles avaient également, au sein de ces listes, précisément identifié les pièces dont la restitution était sollicitée en désignant leur support, le nom du fichier dans l'inventaire, le chemin pour atteindre le fichier, le nom originaire du fichier, sa date de création, et son heure de création, et en fournissant au juge un lien hypertexte lui permettant de consulter chacune des pièces considérées par un simple clic ; qu'en rejetant les demandes d'annulation et de restitution des sociétés [4] au motif qu' « aucune liste » des pièces concernées par ce moyen n'était produite, le délégué du Premier Président a dénaturé les pièces 7.1 à 7.5 produites par les sociétés [4] au soutien de leurs dernières conclusions d'appel ainsi que le bordereau de communication de pièces annexé à ces conclusions, en violation de l'article 593 du code de procédure pénale ;
4°/ enfin que le juge ne peut refuser de statuer sur un moyen opérant en se réfugiant derrière la complexité de sa tâche ou l'obscurité de la loi ; qu'il en va d'autant plus ainsi lorsque la complexité de cette tâche trouve son origine dans les propres pratiques de saisies massives mises en oeuvre par l'Autorité de la concurrence ; qu'en refusant d'analyser le moyen soulevé par les sociétés [4] et fondé sur la saisine de documents sans lien avec l'objet de l'enquête, en se référant au nombre de pièces concernées par ce moyen (ordonnance attaquée, p. 12), le délégué du Premier Président a violé l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
24. Pour dire régulières les saisies opérées, l'ordonnance attaquée indique que, s'agissant des documents relevant de la vie privée de certains salariés, ces derniers ne sont pas partie à la procédure.
25. Le premier président indique en outre que, s'agissant des documents dont il est allégué qu'ils n'ont aucun lien avec l'enquête, les éléments fournis, visant plusieurs milliers de pièces, sont inexploitables.
26. Si c'est à tort que le premier président indique qu'aucun grief n'est susceptible de résulter de la saisie de pièces non pertinentes, dès lors que, même si cette saisie n'entraîne pas la nullité des opérations de visite et de saisie, il appartient au juge d'ordonner la restitution des éléments insusceptibles de se rattacher à l'objet de l'enquête, l'ordonnance n'encourt pas la censure pour les motifs qui suivent.
27. En premier lieu, la Cour de cassation juge que le droit au recours impose que les personnes mises en cause se voient notifier le procès-verbal et les ordonnances ayant autorisé les saisies afin de pouvoir exercer le recours prévu à l'article L. 450-4 du code de commerce (Crim., 13 juin 2019, pourvoi n° 17-87.364, Bull. crim 2019, n° 116).
28. Elle juge, de même, que les attributaires d'un bureau dans une société faisant l'objet d'une visite et saisie n'étant pas visés par l'ordonnance autorisant la visite de leur société sont recevables à critiquer les actes d'exécution de cette ordonnance, dès lors qu'ils justifient d'un intérêt distinct de celui de la société dont ils sont les salariés et sont irrecevables à critiquer l'ordonnance elle-même (Com., 4 juin 1991, pourvoi n° 90-10.586, Bull. 1991, IV, n° 200).
29. En outre, le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée de sorte qu'un motif tiré de sa vie personnelle, en l'espèce l'envoi de courriels depuis sa messagerie professionnelle dans le cadre d'échanges privés, ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (Soc., 6 mars 2024, pourvoi n° 22-11.016, publié au Bulletin).
30. Il s'en déduit qu'un salarié considérant que les saisies opérées portent atteinte à sa vie privée a, seul, qualité pour contester ces dernières. Il ne peut toutefois contester l'ordonnance d'autorisation à moins d'être personnellement mis en cause au sens de l'article L. 450-4 du code de commerce.
31. En l'espèce, les salariés dont les messageries professionnelles qui renfermeraient des éléments de nature à porter atteinte à leur vie privée ont été saisies ne sont pas intervenus à la procédure, et les sociétés demanderesses n'ont pas qualité pour demander, à leur place, la restitution des éléments en question.
32. En deuxième lieu, une messagerie électronique, élément indivisible, peut être saisie dans sa totalité dès lors qu'elle comprend des documents pertinents pour l'enquête.
33. En troisième lieu, il appartient à la partie qui soutient que des documents sans lien avec l'enquête ont été saisis de les identifier précisément et d'exposer en quoi lesdits documents ne sont pas susceptibles d'être pertinents pour en obtenir la restitution.
34. Le moyen doit donc être écarté.
35. Par ailleurs, l'ordonnance est régulière en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq juin deux mille vingt-quatre.