LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
SH
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 19 juin 2024
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 367 F-B
Pourvoi n° K 22-19.624
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de M. [T].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation en date du
16 décembre 2022.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 19 JUIN 2024
1°/ M. [W] [H], domicilié [Adresse 4],
2°/ la société [W] [H] investissements, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],
ont formé le pourvoi n° K 22-19.624 contre l'arrêt rendu le 2 juin 2022, rectifié par arrêt du 7 mars 2024, par la cour d'appel de Lyon (3e chambre A), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [I] [C], domicilié [Adresse 2], pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société Aeropilot,
2°/ à M. [Y] [T], domicilié [Adresse 5],
3°/ à M. [F] [D], domicilié [Adresse 1],
4°/ au service des domaines, dont le siège est [Adresse 3], en sa qualité de curateur à la succession vacante de [B] [J], représenté par le directeur général des finances publiques et le directeur de la direction nationale d'interventions domaniales,
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ducloz, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [H] et de la société [W] [H] investissements, de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de M. [D], de la SCP Foussard et Froger, avocat du service des domaines, ès qualités, de Me Guermonprez, avocat de M. [T], après débats en l'audience publique du 7 mai 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Ducloz, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 2 juin 2022 rectifié par un arrêt du 7 mars 2024), la société anonyme à responsabilité limitée Aeropilot a été formée par M. [D] et [B] [J].
2. Le 29 juin 2011, l'assemblée générale extraordinaire de la société Aeropilot a décidé une augmentation de capital par création de parts nouvelles, à laquelle ont souscrit [B] [J], MM. [D], [T] et [H] ainsi que la société [W] [H] investissements (la société DVI).
3. Le 29 décembre 2011, la société Aeropilot a été transformée en société anonyme, [B] [J] étant désigné administrateur et président directeur général et MM. [D], [T] et [H] étant nommés administrateurs et directeurs généraux délégués.
4. Les 17 et 28 septembre 2012, la société Aeropilot a été mise en redressement puis liquidation judiciaires, M. [C] étant désigné en qualité de liquidateur judiciaire.
5. Les 20 mars et 2 avril 2013, soutenant que [B] [J] et MM. [D] et [T] avaient commis des manoeuvres dolosives, la société DVI et M. [H] les ont assignés en nullité de la souscription de la société DVI à l'augmentation de capital de la société Aeropilot, en nullité de la désignation de M. [H] comme administrateur et directeur général délégué de la société Aeropilot, en nullité de la transformation de la société Aeropilot en société anonyme, et en paiement de dommages et intérêts.
6. Le 9 décembre 2013, la société DVI et M. [H] ont assigné en intervention forcée M. [C], ès qualités. Les deux instances ont été jointes.
7. A la suite du décès de [B] [J], le service des domaines, représenté par le directeur général des finances publiques et le directeur de la direction nationale d'interventions domaniales, est intervenu à l'instance en sa qualité de curateur de la succession vacante de [B] [J].
Sur la requête en rectification d'erreur matérielle
8. Cette requête est devenue sans objet à la suite de l'arrêt du 7 mars 2024 de la cour d'appel de Lyon rectifiant l'erreur matérielle affectant son arrêt du 2 juin 2022, objet du présent pourvoi.
9. Il n'y a donc pas lieu de statuer sur cette requête.
Examen des moyens
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
10. M. [H] et la société DVI font grief à l'arrêt de rejeter leur demande d'annulation de l'assemblée générale extraordinaire de la société anonyme à responsabilité limitée Aeropilot ayant opéré transformation de cette société en société anonyme, alors « que la transformation d'une société en société par actions suppose, à peine de nullité, que les associés statuent expressément sur l'évaluation des biens au vu du rapport établi par le commissaire aux comptes inscrit ou par le commissaire à la transformation désigné en l'absence de commissaire aux comptes inscrit ; qu'en retenant, pour juger valide la transformation de la SARL Aeropilot en société anonyme, qu'un rapport avait été établi par le commissaire aux comptes, conformément à l'article L. 223-43, alinéa 3, du code de commerce et que "l'assemblée générale s'est prononcée ensuite à l'unanimité sur l'adoption de la résolution de transformation après avoir entendu ce rapport, ce qui doit s'entendre comme satisfaisant à l'exigence légale posée par l'article L. 223-4 d'une "approbation expresse des associés mentionnée au procès-verbal" et non pas celle d'une "approbation expresse de l'évaluation des biens" comme soutenu par les appelants", cependant que les associés devaient également statuer par une décision distincte de celle relative à la transformation sur l'évaluation des biens, la cour d'appel a violé les articles L. 223-43 et L. 224-3 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 223-43 et L. 224-3 du code de commerce :
11. Il résulte de la combinaison de ces textes que si les associés d'une société à responsabilité limitée peuvent, par une résolution unique, décider la transformation de cette société en société anonyme et approuver le rapport sur la valeur des biens composant l'actif social et sur les avantages particuliers, cette approbation doit être expresse, à peine de nullité de la transformation.
12. Pour rejeter la demande en nullité de l'assemblée générale ayant opéré la transformation de la SARL Aeropilot en société anonyme, l'arrêt retient qu'il résulte du procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 29 décembre 2011 que lecture a été préalablement donnée du rapport du commissaire aux comptes prévu à l'article L. 223-43, alinéa 3, du code de commerce et que l'assemblée générale s'est prononcée ensuite à l'unanimité sur l'adoption de la résolution de transformation après avoir entendu ce rapport, ce qui doit s'entendre comme satisfaisant à l'exigence légale posée par l'article L. 224-3 de ce code d'une « approbation expresse des associés mentionnée au procès-verbal » et non pas celle d'une « approbation expresse de l'évaluation des biens » comme soutenu par M. [H] et la société DVI. L'arrêt ajoute que ces derniers n'établissent pas que le rapport visé dans le procès-verbal ne portait pas aussi sur la valeur des biens composant l'actif social et les avantages particuliers.
13. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le rapport sur l'évaluation des biens et l'octroi des avantages particuliers n'avait pas fait l'objet d'une approbation expresse des associés, ce dont elle aurait dû déduire la nullité de la transformation, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.
Sur le moyen relevé d'office
14. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
15. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
16. Pour dire irrecevables la demande de la société DVI en nullité de sa souscription à l'augmentation de capital de la société Aeropilot et la demande de M. [H] en nullité de sa désignation comme administrateur et directeur général délégué de cette société, à raison des manoeuvres dolosives de trois des associés, l'arrêt retient que la société DVI sollicite, de fait, la nullité du procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire du 29 juin 2011 ayant adopté à l'unanimité l'augmentation du capital social et son acquisition de parts sociales et que ce procès-verbal, qui constitue le support juridique de la délibération de l'ensemble des associés de la société Aeropilot, ne crée pas un rapport d'obligation entre la société DVI et les trois associés MM. [D], [T] et [J]. L'arrêt ajoute que le procès-verbal d'assemblée générale ayant pris acte de la nomination de M. [H] aux fonctions d'administrateur et de directeur général délégué ne crée pas de rapport d'obligation entre M. [H] et les trois associés à qui il reproche des manoeuvres dolosives. L'arrêt en déduit que la société DVI et M. [H] sont irrecevables à exciper d'un dol à l'encontre des associés de la société Aeropilot au soutien de leurs demandes en nullité.
17. En statuant ainsi, alors que, dans leurs conclusions d'appel, la société DVI et M. [H] formaient leurs demandes en nullité également à l'encontre de la société Aeropilot, prise en la personne de son liquidateur, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
18. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt qui disent irrecevable la demande de la société DVI en nullité de sa souscription à l'augmentation de capital de la société Aeropilot entraîne la cassation par voie de conséquence du chef de dispositif rejetant la demande de la société DVI en paiement de dommages et intérêts, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
Mise hors de cause
19. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause M. [T], dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
DIT n'y avoir lieu à rectification d'erreur matérielle ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il dit irrecevable l'action de la société [W] [H] investissements en nullité de la souscription à l'augmentation du capital social de la société Aeropilot en date du 29 juin 2011, dit irrecevable l'action de M. [W] [H] en nullité de sa désignation au 29 décembre 2011 aux fonctions d'administrateur et de directeur général délégué de la société Aeropilot, déboute la société [W] [H] investissements de sa demande en paiement de dommages et intérêts à hauteur de 302 938,29 euros, déboute la société [W] [H] investissements et M. [H] de leur demande d'annulation de l'assemblée générale extraordinaire de la société Aeropilot du 29 décembre 2011 ayant opéré transformation de la SARL Aeropilot en société anonyme, et statue sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 2 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon et rectifié le 7 mars 2024 ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause M. [T] ;
Condamne M. [T], M. [D], M. [C], en sa qualité de liquidateur de la société Aeropilot, et le service des domaines, représenté par le directeur général des finances publiques et le directeur de la direction nationale d'interventions domaniales, en sa qualité de curateur de la succession vacante de [B] [J], aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes de MM. [T] et [D] et condamne MM. [T] et [D], M. [C], en sa qualité de liquidateur de la société Aeropilot, et le service des domaines, représenté par le directeur général des finances publiques et le directeur de la direction nationale d'interventions domaniales, en sa qualité de curateur de la succession vacante de [B] [J], à payer à la société [W] [H] investissements et à M. [H] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la partiellement cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf juin deux mille vingt-quatre.