LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CL6
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 juin 2024
Rejet
M. SOMMER, président
Arrêt n° 623 FS-D
Pourvoi n° A 22-12.416
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 12 JUIN 2024
M. [K] [X], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 22-12.416 contre l'arrêt rendu le 4 janvier 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 11), dans le litige l'opposant à la Caisse nationale de réassurance mutuelle agricole Groupama, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Seguy, conseiller, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de M. [X], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la Caisse nationale de réassurance mutuelle agricole Groupama, et l'avis de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 mai 2024 où étaient présents M. Sommer, président, M. Seguy, conseiller rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, MM. Pietton, Barincou, Mme Brinet, conseillers, Mme Prieur, M. Carillon, Mme Maitral, M. Redon, conseillers référendaires, Mme Grivel, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 janvier 2022), M. [X] a été engagé en qualité de chargé d'études financières, le 1er août 1999, par la société Groupama assurances, devenue la Caisse nationale de réassurance mutuelle agricole Groupama (la société). Dans le dernier état de la relation contractuelle, il occupait les fonctions de responsable validation interne du modèle interne non-vie au sein de la direction du contrôle permanent et conformité de la société.
2. L'employeur lui a notifié un avertissement le 26 juillet 2017.
3. Licencié le 16 novembre 2017, le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en nullité de son licenciement et, subsidiairement, d'une contestation du bien-fondé de la rupture de son contrat de travail. Il a étendu sa contestation à celle de l'avertissement.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de nullité du licenciement pour violation du statut de lanceur d'alerte et de sa demande de nullité de l'avertissement du 26 juillet 2017, alors :
« 1°/ qu'un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale prise sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice grave pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ; qu'il résulte de l'article 241 du règlement délégué 2015/35 de la commission du 10 octobre 2014, complétant la directive 2009/138/CE sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice (Solvabilité II) qu'afin de garantir l'indépendance du processus de validation du modèle interne par rapport à son développement et à sa mise en oeuvre, les personnes ou l'unité organisationnelle qui conduisent ce processus ne doivent pas être soumises à l'influence des personnes responsables du développement et de la mise en oeuvre du modèle interne ; que dès lors, doit bénéficier du statut de lanceur d'alerte le salarié, chargé de la validation d'un modèle interne, révélant à son employeur subir des pressions de la part d'autres salariés qui remettent en cause l'indépendance dont il doit disposer pour l'exercice de ses fonctions ; qu'en retenant que le salarié '' ne présente pas des éléments de fait permettant de présumer qu'il a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi du 9 décembre 2016 '', sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il ressortait du compte-rendu d'entretien et des courriels échangés avec son employeur relativement à l'avertissement dont il avait fait l'objet à la suite de son mail du 12 juillet 2017 que le salarié avait signalé à son employeur que cette sanction et les pressions qu'il subissait de la direction actuariat groupe, service en charge du développement et de la mise en oeuvre du modèle interne, portaient atteinte à l'indépendance dont il devait disposer pour l'exercice de ses fonctions de validation du modèle interne, de sorte que le salarié avait signalé une alerte au sens des articles 6 et 8 de la loi du 9 décembre 2016 et devait bénéficier du statut de lanceur d'alerte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 6 et 8 de la loi du 9 décembre 2016 et 241 du règlement délégué 2015/35 de la commission du 10 octobre 2014, complétant la directive 2009/138/CE sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice (Solvabilité II), ensemble les articles L. 1132-3-3 et L. 1132-4 du code du travail et l'article 10, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que le juge est tenu de ne pas dénaturer les documents qui lui sont soumis ; qu'en affirmant que '' ce courriel [du 12 juillet 2017] n'a pas été adressé au supérieur hiérarchique direct ou indirect ou encore référent de l'employeur '' et qu' '' il a été envoyé, selon l'employeur, à Mme [W] et M. [U], respectivement directrice et responsable au sein de la direction actuariat groupe '', cependant qu'il ressort des termes clairs et précis du courriel litigieux que M. [D] [J], supérieur hiérarchique direct du salarié, était destinataire en copie de ce courriel, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du courriel du 12 juillet 2017 et violé le principe selon lequel le juge est tenu de ne pas dénaturer les documents de la cause ;
3°/ que le juge est tenu de ne pas dénaturer les documents qui lui sont soumis ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'intimé, l'employeur précisait que '' Dans le cadre de ses fonctions, [le salarié] était notamment en charge de la validation annuelle indépendante du Modèle Interne développé par la Direction Actuariat Groupe, en lien avec les Commissaires aux Comptes et à l'Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR). Au titre de ses missions, [il] bénéficiait d'une certaine indépendance dans l'exécution de son rôle de contrôle et de validation, conformément aux recommandations de l'Autorité de Contrôle '' ; que dès lors, en affirmant que '' l'intimée justifie que c'est le Directeur du Contrôle Permanent et de Conformité qui devait procéder à la validation finale du Modèle Interne en fonction des travaux et remarques de ses collaborateurs, dont faisait partie '' le salarié et que '' c'est sur le Directeur du service que reposait toute la responsabilité relative à la validation du Modèle tel que cela est prévu par les dispositions réglementaires '', cependant qu'il ressort des termes clairs et précis des conclusions de la société CNRMA Groupama que l'intimée reconnaissait que, dans le cadre de ses fonctions, le salarié était effectivement en charge de la validation annuelle indépendante du modèle interne et qu'il devait donc exercer ces fonctions en toute indépendance comme prévue par la réglementation, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de l'intimée et violé le principe selon lequel le juge est tenu de ne pas dénaturer les documents de la cause ;
4°/ subsidiairement, que l'article 241 du règlement délégué 2015/35 de la commission du 10 octobre 2014, complétant la directive 2009/138/CE sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice (Solvabilité II) prévoit qu'afin de garantir l'indépendance du processus de validation du modèle interne par rapport à son développement et à sa mise en oeuvre, les personnes ou l'unité organisationnelle qui conduisent ce processus ne doivent pas être soumises à l'influence des personnes responsables du développement et de la mise en oeuvre du modèle interne ; qu'il en résulte que chaque membre de l'unité organisationnelle conduisant le processus de validation du modèle interne doit être protégé de toute influence des personnes responsables du développement et de la mise en oeuvre du modèle interne afin de garantir l'indépendance du processus de validation ; qu'en affirmant, pour écarter la garantie d'indépendance dont devait bénéficier le salarié et juger qu'il ne présentait donc pas des éléments de faits permettant de présumer qu'il a signalé une alerte, que '' l'intimée justifie que c'est le Directeur du Contrôle Permanent et de Conformité qui devait procéder à la validation finale du Modèle Interne en fonction des travaux et remarques de ses collaborateurs, dont faisait partie '' le salarié et que '' c'est sur le Directeur du service que reposait toute la responsabilité relative à la validation du Modèle tel que cela est prévu par les dispositions réglementaires '', cependant qu'en application de l'article 241 du règlement délégué 2015/35 du 10 octobre 2014, chaque membre de l'unité organisationnelle, et donc chaque collaborateur travaillant au sein du service en charge de la validation du modèle interne, doit, afin de garantir l'indépendance du processus, être protégé de toute influence des personnes responsables du développement et de la mise en oeuvre du modèle interne, de sorte qu'en tant que collaborateur au sein du service en charge de la validation du modèle interne, l'indépendance du salarié devait être garantie au même titre que celle du directeur de son service, la cour d'appel a violé les articles 6 et 8 de la loi du 9 décembre 2016 et 241 du règlement délégué 2015/35 de la commission du 10 octobre 2014, complétant la directive 2009/138/CE sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice (Solvabilité II), ensemble les articles L. 1132-3-3 et L. 1132-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'article L. 1132-3-3, alinéa 2, du code du travail, dans sa version en vigueur du 11 décembre 2016 au 1er septembre 2022, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation professionnelle, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
7. Selon l'article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance.
8. Selon l'article 8 de ce texte, le signalement d'une alerte est porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l'employeur ou d'un référent désigné par celui-ci.
9. La cour d'appel a, d'abord, constaté que le salarié, par le courriel adressé le 12 juillet 2007 à la directrice et au responsable de la direction actuariat du groupe, s'était contenté de livrer son analyse sur le modèle interne élaboré par cette direction et ne comportait aucune alerte sur le modèle interne de l'entreprise.
10. Elle a, ensuite, retenu que les courriels postérieurs adressés par le salarié à son supérieur hiérarchique mais également à la directrice des ressources humaines, au directeur risques et au directeur général adjoint ne constituaient pas davantage une alerte dès lors qu'ils avaient pour objet de contester l'avertissement qui lui avait été notifié le 26 juillet 2017 et que l'intéressé ne pouvait revendiquer la protection prévue pour le processus de validation du modèle interne puisque c'était sur le directeur du service que reposait toute la responsabilité.
11. De ces constatations et énonciations, dont il ressortait que le signalement donné par le salarié à sa hiérarchie concernant un manque de rigueur dans l'application des procédures internes et la remise en cause de son indépendance, dans un contexte de mésentente avec les personnes chargées du développement du modèle interne, ne suffisait pas à caractériser une alerte sur une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, en l'occurrence la directive Solvabilité II, la cour d'appel a pu déduire, hors toute dénaturation, que le salarié ne présentait pas d'élément de fait permettant de présumer qu'il avait signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
13. Le salarié fait grief à l'arrêt de juger son licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse s'agissant d'une mésentente non fautive, alors « que le licenciement est prononcé pour des motifs disciplinaires lorsqu'il repose sur l'imputation au salarié de griefs de nature fautive ; que tel est le cas du licenciement fondé, aux termes de la lettre de licenciement, sur des difficultés de communication ayant atteint un niveau inacceptable ne permettant plus de poursuivre une collaboration de travail sereine et efficace, une attitude d'opposition voire d'affrontement systématique, des critiques excessives, voire des remises en cause dévalorisantes, virulentes et/ou provocantes, ayant redoublé de véhémence après demande de l'employeur de faire preuve de retenue et d'adopter une attitude respectueuse, une communication extrêmement dégradée et difficile, des attaques personnelles et le non-respect des normes de sécurité en matière d'aménagement des bureaux ; que pour débouter le salarié de ses demandes au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a retenu que les motifs invoqués dans la lettre de licenciement '' relèvent indubitablement d'un licenciement pour motif non disciplinaire '' ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il ressort de ses propres constatations que la lettre de licenciement faisait état de '' difficultés de communication '' ayant atteint '' un niveau inacceptable ne permettant plus de poursuivre une collaboration de travail sereine et efficace '', '' une attitude d'opposition voire d'affrontement systématique '', '' des critiques excessives, voire des remises en cause dévalorisantes, virulentes et/ou provocantes '', ayant '' redoublé de véhémence '' après demande de l'employeur de faire preuve de '' retenue '' et d' ''adopter une attitude respectueuse '', d'une '' communication extrêmement dégradée et difficile '', '' des attaques personnelles '', et le '' non-respect des normes de sécurité en matière d'aménagement des bureaux '', ce dont il résultait que le licenciement avait un caractère disciplinaire, la cour d'appel a violé les articles L. 1232-1, L. 1232-6 et L. 1331-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
14. La cour d'appel, qui a constaté que la lettre de licenciement faisait état de difficultés relationnelles et de communication persistantes causant des dysfonctionnements professionnels dans les échanges et générant un climat de tension permanente au sein des équipes, ainsi qu'une aspiration à une indépendance à l'extrême, en a exactement déduit que le licenciement ne revêtait aucun caractère disciplinaire.
15. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [X] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze juin deux mille vingt-quatre.