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05/06/2024 | FRANCE | N°C2400736

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 05 juin 2024, C2400736


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° J 23-80.048 F-D


N° 00736




MAS2
5 JUIN 2024




CASSATION PARTIELLE




M. BONNAL président,
















R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 JUIN 2024






M. [

T] [Y] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Rouen, chambre correctionnelle, en date du 14 décembre 2022, qui, pour banqueroute, l'a condamné à trente mois d'emprisonnement avec sursis, l'interdiction définitive de...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° J 23-80.048 F-D

N° 00736

MAS2
5 JUIN 2024

CASSATION PARTIELLE

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 JUIN 2024

M. [T] [Y] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Rouen, chambre correctionnelle, en date du 14 décembre 2022, qui, pour banqueroute, l'a condamné à trente mois d'emprisonnement avec sursis, l'interdiction définitive de gérer et a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Ascensi, conseiller référendaire, les observations de Me Haas, avocat de M. [T] [Y], les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de la SCP [2], représenté par M. [O] [W], prise en qualité de mandataire judiciaire de la société [3], et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 mai 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [T] [Y] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel pour banqueroute par tenue d'une comptabilité fictive, emploi de moyens ruineux pour se procurer des fonds, et détournement ou dissimulation d'actif, au préjudice de la société [3].

3. Par jugement du 9 septembre 2021, il a été partiellement relaxé des faits de banqueroute par emploi de moyens ruineux pour se procurer des fonds, et déclaré coupable du surplus des faits poursuivis.

4. Le prévenu a été condamné à un an d'emprisonnement avec sursis et 500 000 euros d'amende, et le tribunal a prononcé sur les intérêts civils.

5. Le prévenu puis le ministère public ont interjeté appel de la décision.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

6. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le deuxième moyen, pris en sa second branche

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [Y] coupable du délit de banqueroute par tenue d'une comptabilité irrégulière, par moyens ruineux de se procurer des fonds et par détournement d'actif, l'a, en répression, condamné à un emprisonnement délictuel de trente mois assorti du sursis et à une interdiction définitive d'exercer une activité commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise et, sur l'action civile, l'a condamné à payer à la partie civile la somme de 3 035 037 euros en réparation de son préjudice matériel, alors :

« 2°/ que le juge répressif ne peut déclarer un prévenu coupable d'une infraction sans en avoir caractérisé tous les éléments constitutifs; qu'en déduisant l'élément matériel du délit de banqueroute par emploi de moyens ruineux de la souscription de découverts bancaires, de billets à ordre et d'un prêt consenti par le prévenu à la société [3], sans constater le caractère ruineux de ces actes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 654-2 du code de commerce et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

8. Pour déclarer le prévenu coupable de banqueroute par moyen ruineux pour se procurer des fonds, l'arrêt attaqué relève que le prévenu ne saurait se prévaloir de la complaisance des établissements bancaires, dont il convient de relever qu'il les a multipliés, pour se faire consentir en pleine période suspecte et successivement trois billets à ordre et deux découverts bancaires pour abonder une trésorerie exsangue.

9. Les juges précisent que la situation financière de la société [3] en a été considérablement aggravée.

10. En se déterminant ainsi, par des motifs dont il résulte que les moyens de financement auxquels le prévenu a eu recours présentaient un caractère ruineux au regard de la situation de la société [3], la cour d'appel a justifié sa décision.

11. Dès lors, le grief doit être écarté.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré coupable du délit de banqueroute par tenue d'une comptabilité irrégulière, par moyens ruineux de se procurer des fonds et par détournement d'actif, l'a, en répression, condamné à un emprisonnement délictuel de trente mois assorti du sursis et à une interdiction définitive d'exercer une activité commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise et, sur l'action civile, l'a condamné à payer à la partie civile la somme de 3 035 037 euros en réparation de son préjudice matériel, alors « qu'en déduisant l'élément matériel du délit de banqueroute par détournement d'actif de la prise en charge par la société [3] des loyers d'un logement occupé à titre personnel par M. [Y] et des factures afférentes à l'achat de mobilier garnissant ce logement, sans s'expliquer sur le moyen selon lequel l'ensemble desdits frais ont été pris en charge non par la société [3] mais par la société [1], la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

13. Pour déclarer le prévenu coupable de banqueroute par détournement d'actif, pour avoir fait louer par la société [3], à des fins personnelles, un appartement situé à Paris, et en faisant financer par la société le mobilier le garnissant, l'arrêt attaqué retient que, si le prévenu minimise volontiers ces faits, force est de constater qu'il a été dans l'incapacité d'apporter une justification tangible à la location de cet appartement, alors même que l'entreprise qu'il dirigeait était établie à Verneuil d'Avre et d'Iton (27), les arguments ayant trait à l'impossibilité supposée pour une personne morale étrangère, la société [1], de prendre à bail cet appartement étant dépourvus de crédibilité.

14. Les juges ajoutent que les honoraires de commercialisation, d'un montant de 12 168 euros, ont été réglés à une agence immobilière de prestige par la société [3] et indûment comptabilisés en dépôt de garantie, que la location a ensuite été gérée par une autre société à laquelle la société [3] a acquitté les frais de rédaction d'acte de 420 euros, le dépôt de garantie de 16 900 euros et les loyers, d'un montant mensuel de 8 450 euros, outre les charges et taxes de septembre 2015 à juin 2016.

15. Ils énoncent encore que la société [3] a aussi financé une partie du mobilier garnissant cet appartement, pour un montant de 32 598,50 euros, certaines factures mentionnant le faux libellé « Agencement bureaux ».

16. Ils précisent enfin que le prévenu reconnaît les faits et est dans l'incapacité d'avancer quelque explication que ce soit s'agissant de l'imputation à la société [3] des frais de meubles meublants et de décoration de l'appartement.

17. En se déterminant ainsi, dès lors que, d'une part, elle a constaté que la société [3] a versé le dépôt de garantie afférent à la location de l'appartement litigieux et financé une partie du mobilier le garnissant, d'autre part, à la supposer établie, la prise en charge des loyers par la société [1] au moyen de son compte courant d'associé est sans emport sur la caractérisation du délit poursuivi, constitué par le seul fait pour le prévenu d'avoir, alors que la société [3] était en état de cessation des paiements, disposé de ses biens à des fins personnelles, la cour d'appel a suffisamment justifié sa décision.

18. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

19. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [Y] coupable du délit de banqueroute par tenue d'une comptabilité irrégulière, par moyens ruineux de se procurer des fonds et par détournement d'actif, l'a, en répression, condamné à un emprisonnement délictuel de trente mois assorti du sursis et à une interdiction définitive d'exercer une activité commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise et, sur l'action civile, l'a condamné à payer à la partie civile la somme de 3 035 037 euros en réparation de son préjudice matériel, alors « qu'en retenant la culpabilité du chef du délit de banqueroute par comptabilité fictive, sans répondre à l'articulation essentielle des conclusions d'appel du prévenu selon laquelle, s'agissant de la valorisation des stocks, les faits reprochés portaient, au moins en partie, sur une période antérieure àla prévention, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 388 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 593 du code de procédure pénale :

20. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

21. Pour déclarer le prévenu coupable de banqueroute par comptabilité fictive, l'arrêt attaqué constate notamment qu'à son arrivée, la directrice financière de la société a procédé à un inventaire du stock dont la valeur totale était estimée à 5 244 000 euros et a constaté un écart dans l'évaluation des stocks de l'ordre de 926 000 euros, le commissaire aux comptes validant le passage de cette somme en pertes exceptionnelles.

22. Les juges en déduisent, par motifs propres et adoptés, que les déclarations du témoin que le prévenu a fait citer devant la cour d'appel sont insusceptibles de remettre en cause les constats de l'enquête, l'ancien commissaire aux comptes de la société ayant expressément indiqué qu'il n'entrait pas dans sa mission de s'assurer d'une valorisation exacte des stocks, de même que, s'agissant d'une entreprise produisant des produits destinés à l'alimentation humaine, spécialement infantile, les explications du prévenu sur les dépréciations liées ou non à une péremption des stocks présentée comme réversible ne laissent pas d'interroger sur les approximations de son approche comptable de la production du site industriel dont il avait la responsabilité.

23. En se déterminant ainsi, sans répondre au moyen pris de ce que les erreurs de stocks avaient été commises en 2012 et avaient donné lieu à une régularisation comptable au plus tard au début du mois d'avril 2013, ainsi que cela ressortait d'un courriel du 12 avril 2013, en sorte que ces faits, à les supposer commis, l'avaient été antérieurement au début de la période de prévention, soit le 28 avril 2013, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

24. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rouen, en date du 14 décembre 2022, mais en ses seules dispositions concernant le délit de banqueroute par comptabilité fictive, les peines et les intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Caen, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rouen et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juin deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2400736
Date de la décision : 05/06/2024
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Rouen, 14 décembre 2022


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 05 jui. 2024, pourvoi n°C2400736


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal (président)
Avocat(s) : Me Haas, SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:C2400736
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