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04/06/2024 | FRANCE | N°C2400722

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 04 juin 2024, C2400722


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° G 23-83.796 F-D


N° 00722




SL2
4 JUIN 2024




REJET




M. BONNAL président,














R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 4 JUIN 2024






La société [1] a formé u

n pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier, chambre correctionnelle, en date du 26 mai 2023, qui, pour infractions au code de l'urbanisme, l'a condamnée à 50 000 euros d'amende, a ordonné la remise en état des lie...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° G 23-83.796 F-D

N° 00722

SL2
4 JUIN 2024

REJET

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 4 JUIN 2024

La société [1] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier, chambre correctionnelle, en date du 26 mai 2023, qui, pour infractions au code de l'urbanisme, l'a condamnée à 50 000 euros d'amende, a ordonné la remise en état des lieux sous astreinte, et a prononcé sur les intérêts civils.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Rouvière, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de la société [1], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 6 mai 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Rouvière, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. La société civile immobilière [1] (la société), gérée par M. [E] [W], propriétaire de parcelles situées sur le territoire de la commune de [Localité 2], y a fait exécuter, malgré une opposition à déclaration préalable, des travaux ayant pour objet de transformer une ancienne cave vinicole en salle de réception et de banquet.

3. Un procès-verbal d'infraction a été dressé le 1er juin 2015. La société et son gérant ont été poursuivis des chefs d'exécution irrégulière de travaux soumis à déclaration préalable et d'infraction aux dispositions du plan local d'urbanisme.

4. Le tribunal correctionnel a relaxé les prévenus. La commune a relevé appel des dispositions civiles du jugement.

5. Le procureur de la République a relevé appel de cette décision, à l'encontre de la seule société.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, le troisième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, et le quatrième moyen, pris en sa seconde branche

6. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [1] coupable du délit de construction sans déclaration et a jugé que M. [W] était coresponsable du préjudice subi par la commune de [Localité 2] du fait du changement de destination d'une cave sans autorisation d'urbanisme, alors :

« 1°/ que la charge de la preuve de l'infraction pèse sur l'accusation ; qu'en estimant que la prévenue ne rapportait pas la preuve du fait que la cave transformée en salle polyvalente n'avait aucune affectation déterminée dès lors qu'elle avait été édifiée avant l'entrée en vigueur de la législation instaurant les permis de construire et que la cave destinée à une activité vinicole avait perdu cette fonction, ne permettant plus de lui donner une affectation agricole, le prévenu invoquant une affectation comme salle polyvalente, relevant de la destination d'équipement collectif d'intérêt général, la cour d'appel qui a inversé la charge de la preuve, faute de relever quelle était la véritable affectation de ladite salle, au jour des travaux d'aménagement de ce local, a méconnu l'article préliminaire du code de procédure pénale et l'article 6, § 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

2°/ que faute d'avoir précisé quelle était l'affectation du bâtiment, et ainsi si les travaux portant sur une salle polyvalente constituaient un changement d'affectation, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article L. 480-4 du code de l'urbanisme et 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

8. Pour déclarer la société coupable d'exécution irrégulière de travaux soumis à déclaration préalable, l'arrêt attaqué énonce, notamment, que la prévenue expose elle-même que l'ensemble immobilier était autrefois à usage agricole, une partie étant toutefois affectée à l'habitation, que le bâtiment, qui abritait jadis une entreprise viticole, est désaffecté depuis de nombreuses années, ce que relève également le procès-verbal du 1er juin 2015, et qu'il est actuellement utilisé pour des réceptions privées, en particulier dans le cadre de mariages.

9. Le juge ajoute que la destination principale de l'ensemble immobilier est manifestement celle d'activité agricole, l'habitation étant affectée à l'exploitation agricole.

10. Il relève qu'il existe une contradiction à soutenir, d'une part, que le bâtiment n'avait aucune destination, d'autre part, que l'ensemble immobilier était au moins en partie affecté à l'habitation et que la société et son dirigeant avaient le statut d'agriculteur.

11. Le juge retient enfin que, selon la prévenue elle-même, les lieux étaient, à l'époque des travaux, affectés à un usage agricole mâtiné d'usage d'habitation.

12. Il en déduit que le changement de destination, consistant à passer d'une activité agricole ou d'habitation à une activité commerciale relevait, à tout le moins, du régime de déclaration préalable.

13. En l'état de ces énonciations, relevant de son pouvoir souverain d'appréciation des faits et circonstances de la cause et des éléments de preuve contradictoirement débattus, dont il ressort que le bâtiment avait, avant le début des travaux, une destination agricole, la cour d'appel a, sans inverser la charge de la preuve, justifié sa décision.

14. Dès lors, le moyen, irrecevable en ce qu'il critique les dispositions de l'arrêt attaqué concernant la responsabilité civile de M. [W], non demandeur au pourvoi, et non fondé en ce qui concerne la société, doit être écarté.

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

15. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société coupable du chef de travaux en méconnaissance du plan local d'urbanisme et retenu la faute de son dirigeant commise dans les limites de l'acte de prévention alors :

« 1°/ que les équipements collectifs d'intérêt général comprennent l'ensemble des équipements collectifs, notamment des salles polyvalentes, qui répondent à un besoin de la commune, peu important que la satisfaction de ce besoin soit assuré par la commune ou par une personne de droit, aurait-elle une activité commerciale ; que pour retenir la méconnaissance du PLU visée aux poursuites, la cour d'appel a estimé que si pour la zone Nh, le PLU de la commune autorise les équipements collectifs d'intérêts général, tel n'est pas le cas lorsque ces équipements sont gérés dans une finalité commerciale ; qu'en ajoutant aux conditions posées par l'article Nh1 d'exploitation d'un équipement collectif, le caractère non commercial de l'activité, la cour d'appel a méconnu les articles L.160-1 du code de l'urbanisme et 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

16. Pour déclarer la société coupable d'infraction aux dispositions du plan local d'urbanisme, l'arrêt attaqué énonce que l'organisation de fêtes privées relève d'une activité commerciale, et donc de la catégorie « commerce et services », et qu'on ne saurait voir dans l'organisation de mariages une installation nécessaire aux services publics et d'intérêt collectif ou un équipement d'intérêt collectif.

17. Le juge ajoute que, selon l'arrêté du ministre chargé de l'urbanisme du 10 novembre 2016 définissant les destinations et sous-destinations de constructions, la sous-destination « autres équipements recevant du public » recouvre les équipements collectifs destinés à accueillir du public afin de satisfaire un besoin collectif, notamment les salles polyvalentes.

18. Il retient que l'objet essentiel des constructions relevant de cette sous-destination est de permettre l'accès du public, éventuellement payant, à des oeuvres d'art et à la culture.

19. Le juge en déduit que la société, qui a réalisé des travaux ayant pour objet la création d'un établissement commercial en zone naturelle, a enfreint les dispositions du plan local d'urbanisme, qui n'autorise dans cette zone que les constructions à destination d'habitation ou d'équipement collectif d'intérêt général.

20. En prononçant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen.

21. En effet, la circonstance qu'une salle soit destinée à être louée pour accueillir des fêtes de mariage et autres réceptions privées n'est pas à elle seule de nature à lui conférer le caractère de construction ou d'installation nécessaire aux services publics et d'intérêt collectif au sens de l'article R. 123-9 du code de l'urbanisme, en vigueur à l'époque visée par l'acte de poursuites.

22. Ainsi, le moyen, irrecevable en ce qu'il critique les dispositions de l'arrêt attaqué concernant la responsabilité civile de M. [W], non demandeur au pourvoi, et non fondé en ce qui concerne la société, ne saurait être accueilli.

Sur le quatrième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

23. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la remise en état des lieux, alors :

« 1°/ que les autorisations d'urbanisme deviennent exécutoires après leur transmission au préfet ; qu'il s'en déduit qu'un ordre de remise en état ne peut être ordonné tant que l'illégalité du permis obtenu n'a pas été constaté ; que, les conclusions pour la prévenue ont rappelé que le changement de destination et les travaux réalisés sur la salle polyvalente en cause dans l'acte de prévention ont donné lieu à l'obtention d'un permis de construire postérieurement aux faits en cause ; que si à l'occasion du déféré préfectoral, le préfet a décidé de saisir le tribunal administratif de l'illégalité de ce permis et que le tribunal administratif a fait droit à sa demande, ce jugement a fait l'objet d'un appel encore en cours ; qu'il s'en déduit que l'ordre de remise en état du bâtiment comportant la salle polyvalente en cause en l'espèce ne pouvait être ordonné ; qu'en décidant de la remise en état des lieux, en l'état d'un permis de construire de régularisation n'ayant pas été définitivement annulé, la cour d'appel a violé l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme ».

Réponse de la Cour

24. Pour ordonner la remise en état des lieux, l'arrêt attaqué énonce que le projet de régularisation est hypothétique et qu'on ignore si cette régularisation porterait sur l'intégralité des travaux.

25. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.

26. L'article L. 480-13 du code de l'urbanisme dispose que, lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative, sans exiger que la décision prononçant l'annulation soit définitive.

27. Le juge pénal n'est dès lors pas tenu de surseoir à statuer jusqu'à ce qu'une décision définitive du juge administratif soit intervenue.

28. Par exception, si une telle demande lui est présentée, il peut prononcer, dans l'exercice de son pouvoir souverain, le sursis à statuer en cas de risque sérieux de contrariété de décisions.

29. En l'espèce, le permis de construire accordé à la demanderesse a été annulé par décision du tribunal administratif.

30. Or, en vertu des dispositions des articles L. 11 et R. 811-14 et suivants du code de justice administrative, le jugement du tribunal administratif est exécutoire, l'appel n'ayant pas d'effet suspensif.

31. Il s'en déduit que le permis de construire invoqué par la prévenue devait, en l'état de la procédure, être considéré comme annulé au sens de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme et ne faisait donc pas obstacle à la décision de remise en état ordonnée par l'arrêt attaqué et sur laquelle il n'avait pas été demandé à la cour d'appel de surseoir à statuer.

32. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.

Sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

33. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit que les frais de procédure seraient à la charge de la société, alors :

« 1°/ que la procédure pénale est contradictoire ; que si l'article 800-1 du code de procédure pénale prévoit que les frais de justice doivent être mis à la charge de la personne morale condamnée, elle prévoit que les juges peuvent déroger à cette règle ; qu'il s'en déduit que la mise à la charge de la personne condamnée des frais de justice doit donner lieu à un débat contradictoire ; qu'en décidant de mettre à la charge de la SCI les 3 G, les frais de procédure, sans avoir appelé ses observations, la cour d'appel a violé l'article préliminaire du code de procédure pénale, ensemble l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

2°/ qu'en outre, en prévoyant la possibilité pour les juges du fond de mettre les frais de justice criminelle à la charge des personnes morales condamnées, l'article 800-1 du code de procédure pénale a créé une disposition discriminatoire ; qu'elle doit dès lors restée inappliquée ; qu'en décision de mettre à la charge de la SCI [1] qu'elle condamnait les frais de justice, la cour d'appel a violé l'article 6 lue en combinaison avec l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ».

Réponse de la Cour

34. En mettant les frais de justice exposés au cours de la procédure à la charge de la société, la cour d'appel, qui n'était saisie d'aucune demande tendant à écarter le principe posé à l'article 800-1 du code de procédure pénale et qui n'était pas tenue de provoquer les explications des parties sur ce principe, a fait l'exacte application de ce texte.

35. Elle n'a pas davantage méconnu les stipulations conventionnelles visées au moyen, dès lors que l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ne s'oppose pas à ce que les frais inhérents au procès soient mis à la charge d'une partie, pourvu que le droit interne prévoie, comme c'est le cas de l'article 800-1 du code de procédure pénale, des possibilités d'exemption partielle ou totale ou de réduction du montant à verser, de sorte que la demanderesse n'a pas été privée, de manière discriminatoire, de la jouissance de droits et libertés reconnus par la Convention.

36. Ainsi, le moyen ne peut qu'être écarté.

37. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juin deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2400722
Date de la décision : 04/06/2024
Sens de l'arrêt : Rejet

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Montpellier, 26 mai 2023


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 04 jui. 2024, pourvoi n°C2400722


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal (président)
Avocat(s) : SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:C2400722
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