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23/05/2024 | FRANCE | N°C2400646

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 23 mai 2024, C2400646


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° U 23-86.382 F-D


N° 00646




RB5
23 MAI 2024




CASSATION PARTIELLE




M. BONNAL président,












R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 23 MAI 2024




M. [W] [C] a formé un pourvo

i contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 31 octobre 2023, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 21 février 2023, pourvoi n° 22-84.436), dans l'information suivie...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° U 23-86.382 F-D

N° 00646

RB5
23 MAI 2024

CASSATION PARTIELLE

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 23 MAI 2024

M. [W] [C] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 31 octobre 2023, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 21 février 2023, pourvoi n° 22-84.436), dans l'information suivie contre lui, notamment, des chefs d'abus de biens sociaux et trafic d'influence, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance du 28 décembre 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de Mme Chafaï, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [W] [C], et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 24 avril 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chafaï, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 8 juillet 2016, l'administration fiscale a déposé plainte contre M. [D] [K], député, et son épouse pour fraude fiscale.

3. L'enquête préliminaire a mis en évidence que M. [K] avait été en relation d'affaires avec des sociétés dirigées par MM. [W] [C] et [I] [B] dans des conditions faisant suspecter que ceux-ci avaient pu confier à M. [K] la mission d'influencer des décideurs publics pour l'obtention de marchés.

4. Une information judiciaire a été ouverte le 1er février 2019.

5. M. [C] a été mis en examen des chefs susvisés.

6. M. [K] a saisi la chambre de l'instruction de requêtes en annulation de pièces, à l'occasion desquelles M. [C] a déposé des mémoires sollicitant l'annulation de pièces de la procédure.

Examen des moyens

Sur les premier, troisième et quatrième moyens

7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le deuxième moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité de l'enquête préliminaire, menée en méconnaissance du principe de loyauté de la procédure pénale, alors :

« 1°/ que d'une part, il résulte des articles 31 et 39-3 du Code de procédure pénale que le ministère public est tenu de respecter le principe d'impartialité et de veiller à ce que les investigations soient accomplies à charge et à décharge, dans le respect des droits de la personne suspectée ; que, dès lors, en affirmant, pour rejeter le moyen de nullité pris de la violation du principe de loyauté dans la recherche de la preuve et du droit à un procès équitable, qu' « il résulte des dispositions du code de procédure pénale que seule l'instruction est expressément définie comme devant être menée à charge et à décharge » (arrêt, p. 105), la chambre de l'instruction s'est prononcée par des motifs juridiquement erronés, violant ainsi les articles susvisés, ensemble les articles préliminaire du Code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ que d'autre part, le défaut d'impartialité du ministère public ou des enquêteurs agissant sous son contrôle dans la conduite des investigations est susceptible de constituer une violation du principe de loyauté dans la recherche de la preuve et du droit à un procès équitable ; que, dès lors, en rejetant le moyen de nullité de l'enquête préliminaire tiré de la violation du principe de loyauté et du droit à un procès équitable, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette enquête n'avait pas été conduite exclusivement à charge, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 6 de la Convention européenne, préliminaire, 31, 39-3 et 593 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

9. C'est à tort que l'arrêt attaqué énonce que seule l'information est expressément définie par les dispositions du code de procédure pénale comme devant être menée à charge et à décharge, l'article 39-3, alinéa 2, du code de procédure pénale, soumettant le procureur de la République à l'obligation de veiller à ce que les investigations tendent à la manifestation de la vérité et qu'elles soient accomplies à charge et à décharge dans le respect des droits de la victime, du plaignant et de la personne suspectée.

10. Cependant, dès lors qu'en concluant qu'il n'était démontré aucun élément de l'enquête de nature à traduire l'existence de manoeuvres déloyales, la chambre de l'instruction a fait application du principe d'impartialité aux investigations menées sous la conduite du ministère public et n'a pas laissé sans réponse le moyen de nullité de l'enquête préliminaire dont elle était saisie, tiré de la violation du principe de loyauté et du droit à un procès équitable, de sorte qu'est inopérant le grief articulé à la première branche et infondé celui développé à la deuxième.

Mais sur le deuxième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité de l'enquête préliminaire, menée en méconnaissance du principe de loyauté de la procédure pénale, alors :

« 3°/ qu'en outre, si, devant la chambre de l'instruction statuant sur renvoi après cassation, les parties ne peuvent invoquer un moyen de nullité qui n'a pas été soumis à la chambre de l'instruction ayant initialement statué sur la requête en nullité et dont l'arrêt a été annulé, elles peuvent en revanche invoquer devant elle des arguments nouveaux à l'appui d'un moyen déjà proposé ; qu'en l'espèce, au soutien du moyen de nullité pris de la violation du principe de loyauté et du droit à un procès équitable, qui avait déjà été proposé devant la chambre de l'instruction initialement saisie et dont la recevabilité n'est pas contestée, le mémoire régulièrement déposé devant la chambre de l'instruction statuant sur renvoi après cassation faisait valoir notamment que l'enquête préliminaire avait été réalisée exclusivement à charge et en violation des règles de procédure pénale applicables aux diverses auditions de M. [C] et autres mesures dont celui-ci a fait l'objet, en détaillant pour la première fois très précisément chacune de ces violations (mémoire, pp. 10 à 29) ; qu'en affirmant, pour rejeter ce moyen, qu' « il n'est invoqué par le requérant aucun manquement au respect des règles applicables à ses diverses auditions et autres mesures l'ayant concerné, à l'exception de l'autorisation de perquisition sans assentiment » (arrêt, p. 105), la chambre de l'instruction, qui a affirmé un fait en contradiction avec le mémoire dont elle était régulièrement saisie, et qui n'a pas répondu aux articulations essentielles de celui-ci relatives aux diverses violations dénoncées, dont le cumul était susceptible de caractériser un défaut de loyauté du ministère public et des enquêteurs dans la recherche de la preuve, n'a pas justifié sa décision au regard des articles 6 de la Convention européenne, préliminaire, 174, 609-1 et 593 du Code de procédure pénale ;

4°/ qu'enfin, le mémoire régulièrement déposé devant la chambre de l'instruction faisait valoir notamment que les notes de Mme [S], assistante spécialisée en finances publiques près le tribunal judiciaire de Nanterre, versées en procédure les 18 juin et 28 juin 2018 et ayant servi de fondement aux questions posées à M. [C] lors de ses auditions, comportaient de nombreuses erreurs grossières qui révélaient un défaut d'impartialité et un manque de loyauté dans la conduite de l'enquête ; qu'en rejetant le moyen pris de la violation du principe de loyauté aux motifs inopérants que M. [C] a pu opposer toutes explications et justificatifs à l'appui de ses déclarations, sans s'expliquer sur l'exactitude ou l'inexactitude du contenu de ces notes, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 6 de la Convention européenne, préliminaire, 31, 39-3 et 593 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 593 du code de procédure pénale :

12. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

13. Pour écarter le moyen de nullité tiré de la partialité de l'enquête préliminaire, l'arrêt attaqué relève qu'il n'est invoqué par le demandeur aucun manquement au respect des règles applicables à ses diverses auditions et autres mesures l'ayant concerné, à l'exception de l'autorisation de perquisition sans assentiment.

14. Les juges retiennent que si le demandeur critique le contenu des notes des 18 et 28 juin 2018 rédigées par l'assistante spécialisée en finances publiques, il a pu opposer toutes explications et justificatifs à l'appui de ses déclarations, comme en témoigne le nombre important de notes adressées par son avocat dès l'enquête préliminaire et en réponse à la demande d'éléments complémentaires sollicités durant sa garde à vue, et qu'il discute en réalité les éléments de fond recueillis au cours de l'enquête, lesquels doivent être confrontés aux éléments ultérieurement recueillis et vérifiés au regard de la poursuite des investigations.

15. Ils ajoutent qu'au demeurant, l'intéressé ayant été convoqué par les enquêteurs à se présenter pour audition, son avocat a préalablement pris contact avec l'officier de police judiciaire en lui adressant un écrit et a assisté son client tout au long de la mesure de garde à vue dont il a fait l'objet, sans observation particulière sur ce point, et a remis à cette occasion aux enquêteurs des documents qui ont été annexés aux procès-verbaux afférents, le demandeur ayant été régulièrement avisé de ses droits lors de cette mesure.

16. Ils concluent qu'il n'est démontré aucun élément de l'enquête de nature à traduire l'existence de manoeuvres déloyales.

17. En se déterminant ainsi, si le grief tenant à l'incompétence alléguée de l'assistance spécialisée pour signer des réquisitions faute d'avoir reçu délégation de signature du procureur de la République est inopérant en ce qu'il n'est pas susceptible de constituer un manquement à l'impartialité de l'enquête, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision pour les motifs qui suivent.

18. En premier lieu, elle n'a pas recherché si l'audition de M. [C] en qualité de témoin puis son placement en garde à vue, ainsi que ses auditions en garde à vue, dont il est allégué qu'elles ont été menées par l'assistante spécialisée alors qu'elle n'y était pas habilitée par l'article 706 du code de procédure pénale, étaient affectés d'irrégularités de nature à caractériser un défaut d'impartialité de l'enquête, et n'a ainsi pas répondu aux articulations essentielles des mémoires dont elle était régulièrement saisie par le demandeur.

19. En second lieu, d'une part, elle n'a pas recherché, comme l'y invitaient les conclusions du demandeur qui faisaient valoir que les grossières erreurs dont étaient entachées les deux notes rédigées par l'assistante spécialisée auprès du tribunal de grande instance de Nanterre ne pouvaient procéder que d'une intention délibérée de construire une procédure déloyale, si le contenu de ces documents d'analyse n'était pas de nature à caractériser un défaut d'impartialité.

20. D'autre part, alors qu'il était soutenu que l'utilisation de ces notes avait vicié la procédure, si ses motifs montrent qu'elle s'est assurée du respect du caractère contradictoire de la procédure, ils sont inopérants à établir que le défaut d'impartialité allégué n'avait pas compromis l'équilibre des droits des parties.

21. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

22. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions ayant écarté le moyen de nullité tiré de la partialité de l'enquête résultant de l'audition de M. [C] en qualité de témoin, de son placement en garde à vue, de la circonstance que ses auditions en garde à vue aient été menées par l'assistante spécialisée et des notes de cette dernière versées en procédure les 18 et 28 juin 2018. Les autres dispositions seront donc maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 31 octobre 2023, mais en ses seules dispositions ayant écarté le moyen de nullité tiré de la partialité de l'enquête résultant de l'audition de M. [C] en qualité de témoin, de son placement en garde à vue, de la circonstance que ses auditions en garde à vue aient été menées par l'assistante spécialisée et des notes de cette dernière versées en procédure les 18 et 28 juin 2018, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois mai deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2400646
Date de la décision : 23/05/2024
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 31 octobre 2023


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 23 mai. 2024, pourvoi n°C2400646


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal (président)
Avocat(s) : SCP Spinosi

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:C2400646
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