LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 23 mai 2024
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 248 F-D
Pourvoi n° Z 22-21.753
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 MAI 2024
La société BC.n, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée société Bateg, a formé le pourvoi n° Z 22-21.753 contre l'arrêt rendu le 8 juin 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 5), dans le litige l'opposant :
1°/ à la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), société d'assurances mutuelles, dont le siège est [Adresse 3], prise en sa qualité d'assureur de la société 2CVP,
2°/ à la société Bally MJ, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société 2CVP,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société BC.n, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics, après débats en l'audience publique du 26 mars 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 juin 2022) et les productions, la Régie immobilière de la Ville de Paris (la RIVP) a, en qualité de maître de l'ouvrage, confié à la société Gtm bâtiment, aux droits de laquelle est venue la société Bateg, désormais dénommée BC.n, des travaux d'extension d'un bâtiment.
2. La société Gtm bâtiment a sous-traité à la société 2CVP, désormais en liquidation judiciaire, assurée auprès de la SMABTP, les lots chauffage, ventilation, climatisation, désenfumage et plomberie.
3. Les travaux ont été réceptionnés avec réserves le 16 mai 2017.
4. Selon procès-verbal du 29 juin 2017, la RIVP et la société Bateg, assistées du maître d'oeuvre de l'opération, ont constaté la persistance de réserves et décidé que celles-ci, énumérées dans une liste annexée, seraient levées durant l'année de parfait achèvement.
5. Compte tenu de la carence de la société 2CVP, la société Bateg a confié à une société tierce les travaux nécessaires à la reprise des désordres affectant les lots en cause.
6. La société Bateg a assigné le liquidateur judiciaire de la société 2CVP et la SMABTP en paiement de la somme exposée au titre de la réparation des désordres affectant les deux lots.
7. La SMABTP a opposé à cette demande une clause d'exclusion stipulée au contrat souscrit par la société 2CVP visant les désordres relevant de la garantie de parfait achèvement.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
8. La société BC.n fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :
« 1°/ que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; que réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que « la RIVP a, par courrier recommandé du 25 septembre 2017, informé la société Bateg « de graves dysfonctionnements (?) apparus postérieurement à la réception prononcée le 16 mai 2017 », et joint à son courrier les 69 fiches de constat d'anomalies, l'état des lieux et le rapport d'audit dressés par la société Axymium Ingenierie ainsi que les fiches de suivi de la garantie de parfait achèvement de la société Bateg » ; qu'il résultait de ces constatations que la société Bateg rapportait la preuve que les désordres pour lesquels elle sollicitait la garantie de la SMABTP, étaient postérieurs à la réception, et distincts des désordres ayant fait l'objet de réserves lors de la réception du 16 mai 2017 ; qu'il appartenait en conséquence à la SMABTP de rapporter la preuve que tel n'était pas le cas ; qu'en retenant, pour statuer comme elle l'a fait, que « les réclamations du maître d'ouvrage ainsi matérialisées n'ont pas été contradictoirement constatées par la société Bateg, son sous-traitant de la société 2CVP, ni le maître d'oeuvre », que « la SMABTP relève en conséquence à juste titre que ces réclamations ne constituent que de simples allégations », et qu' « en l'absence de tout élément concernant les réserves effectivement émises lors de la réception des ouvrages de la société 2CVP le 16 mai 2017, il n'est pas démontré que la société Costa soit intervenue, en lieu et place de la première entreprise, dans le cadre de la garantie de parfait achèvement au titre de la reprise des désordres signalés lors de la réception ou postérieurement », la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1353 du code civil ;
2°/ qu'aux termes de l'article 1.2.4 du contrat d'assurance professionnelle « Cap 2000 » garantissant « le paiement des travaux de réparation des dommages matériels affectant, après réception, l'ouvrage que vous avez exécuté ou à la réalisation duquel vous avez participé lorsque, dans l'exercice de vos activités déclarées, votre responsabilité est engagée sur quelque fondement juridique que ce soit », il était stipulé qu'étaient exclus les dommages résultant « de réserves à la réception, ainsi que les dommages vous incombant en vertu de la garantie de parfait achèvement prévue par l'article 1792-6 du code civil, lorsque ces dommages ne sont pas de nature à engager votre responsabilité décennale ou de bon fonctionnement (cette exclusion s'applique également lorsque vous intervenez en vertu d'un marché de sous-traitance pour les dommages de même nature) » ; qu'il résultait de ces stipulations qu'étaient couverts par la garantie, les dommages incombant à la société 2CVP en vertu de la garantie de parfait achèvement, dès lors que ces dommages étaient de nature à engager la responsabilité décennale ou de bon fonctionnement d'un entrepreneur ; qu'en déboutant la société Bateg de ses demandes, après avoir constaté que « si les pièces versées aux débats, prises séparément, n'ont pas de caractère probant, les premiers juges les ont à juste titre rapprochées les unes des autres, ont comparé les tableaux, fiches de réclamations et d'anomalies avec le devis de la société Costa et ont constaté que les interventions proposées par cette dernière venaient réparer des manquements à des exigences réglementaires imputables à l'intervention de la société 2CVP, chargée sur le chantier en cause, en soustraitance, des lots chauffage, ventilation, climatisation et désenfumage d'une part, et plomberie d'autre part », ce dont il résultait que les désordres étaient de nature à engager la responsabilité décennale ou de bon fonctionnement d'un entrepreneur, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1134 (devenu 1103) du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
3°/ que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense ; qu'en l'espèce, la société Bateg faisait valoir, dans ses conclusions d'appel que « les dommages dont l'indemnisation est demandée ne peuvent concerner des réserves formulées lors de la réception puisqu'un procès-verbal de levée des réserves a été établi le 29 juin 2017, lesquels dommages résultent des réclamations qui ont été formulées postérieurement à cette date par la RIVP et communiquées par la société Bateg à la société 2CVP au cours des mois de juillet, août et septembre 2017, que « tous les documents produits décrivant les malfaçons et désordres dont l'indemnisation est sollicitée sont bien postérieurs au procès-verbal de réception et même au procès-verbal de levée des réserves du 29 juin 2017 et l'ont donc bien été dans le cadre de l'année de parfait achèvement qui a débuté à la date de la réception de l'ouvrage le 16 mai 2017. C'est donc en vain que la SMABTP tente de semer le doute sur le fait qu'il s'agit bien de réserves dénoncées lors de l'année de parfait achèvement et pour lesquelles sa garantie est due pour autant qu'elles soient de nature à engager la responsabilité décennale ou de bon fonctionnement de son assurée, la société 2CVP. Or, (?) il est bien établi en jurisprudence que la garantie de parfait achèvement n'est pas exclusive de l'application des garanties biennale et décennale qui peuvent être valablement invoquées dès le prononcé de la réception (notamment Cass Ass. Plénière 27/10/2006) » ; qu'il résultait de ces écritures que la société Bateg recherchait la garantie de la SMABTP au titre des désordres apparus postérieurement à la réception du 16 mai 2017, dénoncés dans le délai de la garantie de parfait achèvement, et de nature à engager la responsabilité décennale ou biennale d'un entrepreneur ; qu'en retenant, pour statuer comme elle l'a fait, que la société Bateg recherchait « la garantie de la SMABTP au titre de la reprise des réserves émises à la réception et de la garantie de parfait achèvement de la société 2CVP », de sorte qu'elle pouvait « se voir opposer cette exclusion de garantie valable tant pour les dommages réservées à la réception que pour les dommages relevant de la garantie de parfait achèvement », la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ;
4°/ que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense ; qu'en l'espèce, la société Bateg sollicitait, dans le dispositif de ses conclusions, de voir confirmer le jugement du 17 novembre 2020 ayant condamné la SMABTP à lui payer la somme de 158 000 euros HT, sur le fondement des « dispositions de l'article 1147 du code civil, dans sa version antérieure à l'application de l'ordonnance du 10 février 2016 (devenu l'article 1231-1) » (cf. p. 15) ; qu'il résultait de ces écritures que la société Bateg recherchait la garantie de la SMABTP, non pas au titre de la responsabilité décennale ou biennale de la société 2CVP, mais au titre de sa responsabilité contractuelle, en sa qualité de sous-traitant, pour des dommages pouvant être qualifiés comme relevant de la responsabilité décennale ou biennale ; qu'en retenant, pour statuer comme elle l'a fait, que « si les désordres litigieux, tels que repris par la société Costa, n'ont pas fait l'objet de réserves à la réception mais sont survenus ensuite (ce qui n'est pas établi), la garantie de la SMABTP ne pourrait pas plus être mobilisée au profit de la société 2CVP du chef des travaux de construction soumis à l'assurance obligatoire de responsabilité des articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 1792-4 du code civil (garantie décennale et garantie de bon fonctionnement), alors que le sous-traitant, non visé par les dispositions de l'article 1792-1 du code civil, n'est tenu d'aucune de ces garanties légales. L'article 1.2.4 des conditions générales précité, concernant l'exclusion de garantie des dommages résultant de réserves à la réception et des dommages engageant la garantie de parfait achèvement, dès lors qu'ils n'engagent pas les garanties décennale ou de bon fonctionnement de l'entreprise assurée, ajoute d'ailleurs que « cette exclusion s'applique également lorsque (l'assuré intervient) en vertu d'un marché de sous-traitance pour les dommages de même nature », la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ;
5°/ que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'en l'espèce, l'article 1.2.4 des conditions générales du contrat d'assurance professionnelle « Cap 2000 » stipulait qu'étaient exclus de la garantie, les dommages résultant « de réserves à la réception, ainsi que les dommages vous incombant en vertu de la garantie de parfait achèvement prévue par l'article 1792-6 du code civil, lorsque ces dommages ne sont pas de nature à engager votre responsabilité décennale ou de bon fonctionnement (cette exclusion s'applique également lorsque vous intervenez en vertu d'un marché de sous-traitance pour les dommages de même nature) » ; qu'en conséquence, la garantie de la SMABTP avait vocation à s'appliquer à tout dommage matériel affectant l'ouvrage après réception, dénoncé dans le délai de la garantie de parfait achèvement, pour autant qu'ils soient de nature à engager la responsabilité biennale ou décennale d'un entrepreneur ; qu'en retenant, pour statuer comme elle l'a fait, que la société Bateg pouvait « se voir opposer cette exclusion de garantie, valable tant pour les dommages réservés à la réception que pour les dommages relevant de la garantie de parfait achèvement », quand la société Bateg recherchait la garantie de la SMABTP au titre de la responsabilité contractuelle de la société 2CVP pour les désordres apparus postérieurement à la réception, dénoncés dans le délai de la garantie de parfait achèvement, et de nature à engager la responsabilité biennale ou décennale d'un entrepreneur, la Cour d'appel a violé l'article 1134 (devenu 1103) du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
9. La cour d'appel a souverainement retenu que, faute de production aux débats de la liste des réserves émises à la réception et de caractère probant de la lettre par laquelle la RIVP avait demandé à la société Bateg de lever des réserves apparues postérieurement à celle-ci, la société Bateg n'établissait pas si la société tierce à laquelle elle avait fait appel au titre de la garantie de parfait achèvement était intervenue au titre de la reprise de désordres réservés à la réception ou de désordres apparus postérieurement à celle-ci.
10. Ayant ainsi fait ressortir, sans inverser la charge de la preuve, que la société Bateg n'établissait pas le caractère décennal ou biennal des désordres dont elle sollicitait l'indemnisation par l'assureur de son sous-traitant, rendant inopérant le grief de la deuxième branche, et ayant constaté que le contrat d'assurance souscrit auprès de la SMABTP excluait de la garantie les dommages résultant de réserves à la réception, ainsi que les dommages incombant à l'assuré en vertu de la garantie de parfait achèvement prévue par l'article 1792-6 du code civil, lorsque ceux-ci ne sont pas de nature à engager sa responsabilité décennale ou de bon fonctionnement, elle a pu, abstraction faite des motifs surabondants et pour partie erronés, critiqués par les troisième, quatrième et cinquième branches, rejeter les demandes de l'entreprise principale contre l'assureur de son sous-traitant.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société BC.n aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois mai deux mille vingt-quatre.