LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° W 23-83.463 F-D
N° 00627
GM
22 MAI 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 MAI 2024
MM. [S] [J], [U] [J], [B] [J], [R] [J] et la société [J] [2] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Pau, chambre correctionnelle, en date du 27 avril 2023, qui, pour achat ou vente sans facture, infractions aux codes de l'environnement et rural, a condamné les personnes physiques à 6 000 euros d'amende dont 3 000 euros avec sursis, la personne morale à 20 000 euros d'amende dont 10 000 euros avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Coirre, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de MM. [S] [J], [U] [J], [B] [J], [R] [J] et la société [J] [2], les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la Fédération des Pyrénées atlantiques pour la pêche et la protection du milieu aquatique, et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 avril 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Coirre, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 25 novembre 2013, un contrôle de l'activité de mareyage a visé divers sites de la société [J] [2] (la société) qui commercialise des civelles.
3. Cette personne morale, fondée par M. [S] [J], présent à [Localité 1] lors du contrôle, était co-gérée par ses fils, MM. [U], [B] et [R] [J].
4. Il a été constaté qu'un bassin, dépourvu d'agrément sanitaire, avait servi au stockage de civelles en raison de la panne d'un camion-vivier.
5. Ces alevins d'anguilles ont ensuite été acheminés vers un autre site de l'entreprise pour y être regroupés, avec d'autres livraisons, en vue de leur expédition.
6. Par jugement du 7 juin 2016, le tribunal correctionnel, après avoir relaxé les prévenus des infractions de détention d'espèce animale non domestique protégée et d'échange intracommunautaire d'animaux vivants non conformes aux conditions sanitaires, les a déclarés coupables de commercialisation de produit de la pêche maritime sans respect des obligations déclaratives nécessaires au contrôle des activités de pêches et d'achat ou vente sans facture de produit ou prestation de service pour une activité professionnelle.
7. Les juges du premier degré ont condamné les prévenus à des peines d'amende et ont prononcé sur les intérêts civils.
8. Le ministère public et les prévenus ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier, quatrième et sixième moyens, le troisième moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches, et le cinquième moyen, pris en sa seconde branche
9. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré MM. [U], [B], [S], [R] [J] et la société [J] [2] coupables de détention d'espèce animale non domestique protégée, alors « que le délit prévu par l'article L.415-3 du code de l'environnement suppose, en violation des interdictions ou des prescriptions prévues par les dispositions de l'article L.411-1 et par les règlements ou les décisions individuelles pris en application de l'article L.411-2, de porter atteinte à la conservation d'espèces animales non domestiques ; que ces interdictions et prescriptions ne concernent, en application des articles L.411-2 et R.4111 du code de l'environnement, que les espèces figurant sur les listes établies par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et soit du ministre chargé de l'agriculture soit, lorsqu'il s'agit d'espèces marines, du ministre chargé des pêches maritimes ; qu'en condamnant les prévenus pour avoir méconnu les interdictions définies à l'article L.411-1 du code de l'environnement en détenant des civelles lorsque ces espèces ne figurent sur aucune liste établie par arrêté interministériel, la cour d'appel a violé les articles L.415-3, L.411-1 et L.411-2 du code de l'environnement, dans leur version antérieure à la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016, et R.411-1 et R.411-3 du même code, dans leur version antérieure au décret n° 2017-595 du 21 avril 2017. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 411-1, L. 411-2, L. 415-3 et R. 411-1 du code de l'environnement, dans leur rédaction applicable à l'époque des faits :
11. Il résulte de ces textes que pour que soit interdite et pénalement sanctionnée la détention d'une espèce animale non domestique à raison de la protection dont elle bénéficie, cette espèce doit figurer sur une des listes limitatives établies à cette fin par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et du ministre chargé de l'agriculture.
12. Pour déclarer les prévenus coupables du chef de détention non autorisée d'espèce animale non domestique protégée, l'arrêt attaqué énonce qu'il n'est pas contesté que les civelles sont des espèces protégées faisant l'objet d'une législation spécifique destinée à assurer leur protection et leur traçabilité.
13. En prononçant ainsi, sans établir que les civelles figurent sur une des listes limitatives des espèces animales non domestiques dont la détention est prohibée, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe
ci-dessus énoncé.
14. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
15. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré MM. [U], [B], [S], [R] [J] et la société [J] [2] coupables d'échanges intracommunautaire d'animaux vivants, de leur produits ou sous-produits ou d'animaux non conformes aux conditions sanitaires ou de protection, alors :
« 1°/ que la contradiction entre les motifs et le dispositif d'un arrêt équivaut à un défaut de motifs ; qu'en déclarant, dans son dispositif, les prévenus coupables de l'infraction d'échanges intracommunautaires d'animaux vivants non-conformes aux conditions sanitaires ou de protection prévue à l'article L.237-3, I, 2°, du code rural et de la pêche maritime lorsqu'elle retenait, dans ses motifs, que les prévenus s'étaient rendus coupables de l'infraction d'introduction sur le territoire métropolitain d'animaux vivants ne répondant pas aux conditions sanitaires prévue à l'article L.237-3, I, 1°, du code rural et de la pêche maritime, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs et a violé l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
16. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
17. Pour dire établi le délit d'échange intracommunautaire d'animaux vivants, non conformes aux conditions sanitaires, l'arrêt attaqué énonce qu'est réprimé le fait, prévu au § I, 1° de l'article L. 237-3 du code rural, d'introduire de tels produits sur le territoire métropolitain ou en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à Mayotte, à Saint-Barthélemy ou à Saint-Martin.
18. En prononçant ainsi, la cour d'appel, qui s'est contredite, n'a pas justifié sa décision.
19. La cassation est, par conséquent, également encourue de ce chef.
Et sur le cinquième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
20. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré MM. [U], [B], [S], [R] [J] et la société [J] [2] coupables d'achat ou vente sans facture de produit ou prestation de service pour une activité professionnelle, alors :
« 1°/ qu'une loi nouvelle qui abroge une incrimination s'applique aux faits commis antérieurement à son entrée en vigueur et faisant l'objet de poursuites non encore terminées par une décision passée en force de chose jugée ; qu'en déclarant les prévenus coupables d'achat ou vente sans facture de produit ou prestation de service pour une activité professionnelle, infraction prévue par l'article L.441-4 du code de commerce, lorsque cette incrimination a été abrogée par l'article 1er de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, entrée en vigueur le 26 avril 2019, la cour d'appel a violé l'article 112-1 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 112-1 du code pénal :
21. Selon ce texte, une loi nouvelle qui abroge une incrimination s'applique aux faits commis antérieurement à son entrée en vigueur et faisant l'objet de poursuites non encore terminées par une décision passée en force de chose jugée.
22. L'arrêt attaqué déclare les prévenus coupables d'achat ou vente sans facture de produit ou prestation de service pour une activité professionnelle, pour la période du 16 au 25 novembre 2013, sur le fondement des articles L. 441-3 et L. 441-4 du code de commerce.
23. En se déterminant ainsi, alors que l'article L. 441-4 précité, sanctionnant d'une amende pénale toute infraction aux dispositions de l'article L. 441-3, a été abrogé par l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce qui lui a substitué une amende administrative, l'arrêt attaqué manque de base légale.
24. La cassation est par conséquent aussi encourue.
Portée et conséquences de la cassation
25. La cassation à intervenir concerne les seules dispositions relatives aux déclarations de culpabilité des prévenus pour échange intracommunautaire d'animaux vivants, de leurs produits ou sous-produits ou d'animaux non conformes aux conditions sanitaires ou de protection, détention d'espèce animale non domestique protégée, achat ou vente sans facture de produit ou prestation de service pour une activité professionnelle. Elle sera étendue à l'ensemble des peines et aux dispositions civiles. Les autres dispositions seront donc maintenues.
26. N'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond sur la poursuite du chef d'achat ou vente sans facture de produit ou prestation de service pour une activité professionnelle, la cassation aura lieu de ce chef sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Pau, en date du 27 avril 2023, en ses seules dispositions relatives à la culpabilité pour échange intracommunautaire d'animaux vivants, de leurs produits ou sous-produits ou d'animaux non conformes aux conditions sanitaires ou de protection, détention d'espèce animale non domestique protégée, achat ou vente sans facture de produit ou prestation de service pour une activité professionnelle, aux peines et aux dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi s'agissant de la poursuite du chef d'achat ou vente sans facture de produit ou prestation de service pour une activité professionnelle ;
RAPPELLE que, du fait de la présente décision, le jugement de première instance perd toute force exécutoire de ce chef ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites du de la cassation prononcée des chefs d'échange intracommunautaire d'animaux vivants, de leurs produits ou sous-produits ou d'animaux non conformes aux conditions sanitaires ou de protection, détention d'espèce animale non domestique protégée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bordeaux, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Pau et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mai deux mille vingt-quatre.