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22/05/2024 | FRANCE | N°52400526

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 22 mai 2024, 52400526


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


SOC.


CH9






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 22 mai 2024








Cassation partielle




M. SOMMER, président






Arrêt n° 526 FS-B


Pourvoi n° S 22-14.984










R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________






ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 22 MAI 2024


M. [O] [K], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 22-14.984 contre l'arrêt rendu le 30 septembre 2021 par la cour d'appel de Versailles (11e chambre), dans l...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CH9

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 22 mai 2024

Cassation partielle

M. SOMMER, président

Arrêt n° 526 FS-B

Pourvoi n° S 22-14.984

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 22 MAI 2024

M. [O] [K], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 22-14.984 contre l'arrêt rendu le 30 septembre 2021 par la cour d'appel de Versailles (11e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Nokia Networks France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], anciennement dénommée société Alcatel-Lucent International,

2°/ à la société Altran Connected Solutions, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2],

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Rouchayrole, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [K], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Nokia Networks France, de la SCP Spinosi, avocat de la société Altran Connected Solutions, et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 24 avril 2024 où étaient présents M. Sommer, président, M. Rouchayrole, conseiller rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Cavrois, M. Flores, Mmes Deltort, Le Quellec, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, Techer, Rodrigues, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1.Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 30 septembre 2021), M. [K] a été engagé en qualité d'ingénieur par la société Alcatel, devenue, après sa fusion avec la société Lucent technologies, la société Alcatel-Lucent France. Le 31 décembre 2013, cette société a été absorbée par la société Alcatel-Lucent International, aux droits de laquelle vient la société Nokia Networks France.

2. Le 30 juin 2014, la société Alcatel-Lucent International a informé le salarié de ce que son contrat de travail allait être transféré à la société Treizelec, devenue la société Altran Connected Solutions. A raison de la qualité de salarié protégé de l'intéressé, l'inspecteur du travail a donné son autorisation à ce transfert, le 8 septembre 2014.

3. Le 28 juin 2016, le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement d'un rappel de bonus « Corporate » au titre de l'année 2014, d'une contestation des conditions du transfert de son contrat de travail et de demandes en paiement de sommes diverses pour licenciement nul.

Examen des moyens

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes relatives au transfert de son contrat de travail, alors « que si, lorsque le transfert du contrat de travail d'un salarié protégé a été autorisé par l'inspecteur du travail, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, remettre en cause l'appréciation de l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail par l'autorité administrative, il demeure en revanche compétent, lorsque l'autorisation administrative n'a pas été accordée sur le fondement de ce texte, pour vérifier si le salarié a bien donné son accord exprès au changement d'employeur, cet accord échappant au contrôle de l'inspecteur du travail ; qu'en se bornant, pour déclarer le salarié irrecevable en ses demandes relatives au transfert de son contrat de travail, à énoncer que l'inspection du travail avait autorisé son transfert par une décision désormais définitive du 8 septembre 2014 et qu'il n'appartenait pas à la juridiction de l'ordre judiciaire de statuer sur le transfert ainsi autorisé, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si en présence d'une autorisation de transfert écartant l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail, il ne lui appartenait pas de vérifier si le salarié avait donné son accord exprès au changement d'employeur, ce qui justifiait qu'elle retienne sa compétence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III, ensemble le principe de séparation des pouvoirs. »

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel a constaté que le salarié, membre titulaire du comité d'établissement et délégué syndical, avait fait l'objet d'une demande d'autorisation de transfert de la part de son employeur, que par décision du 8 septembre 2014, l'inspecteur du travail avait autorisé ce transfert auprès de la société Altran Connected Solutions, que le transfert avait été réalisé le 1er octobre 2014 et qu'aucun recours n'avait été formé par les parties à l'encontre de la décision administrative.

6. Ayant exactement énoncé qu'il n'appartenait pas à la juridiction de l'ordre judiciaire de statuer sur le transfert ainsi autorisé, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante et devant laquelle il n'avait pas été invoqué par voie d'exception l'illégalité de la décision administrative, a légalement justifié sa décision.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. Le salarié fait grief à l'arrêt de limiter le montant de la somme que la société Alcatel-Lucent International a été condamnée à lui verser au titre du rappel de bonus pour l'année 2014, outre congés payés afférents, alors « qu'une prime payée en exécution d'un engagement unilatéral de l'employeur constitue un élément de salaire obligatoire que ce dernier doit verser dans les conditions fixées par cet engagement ; que les salariés transférés en application de l'article L. 1224-1 du code du travail bénéficient des avantages collectifs applicables au sein de l'entreprise d'accueil qui est tenue à une égalité de traitement entre tous ses salariés, sans distinction selon que le statut collectif résulte d'un accord négocié ou d'un engagement unilatéral de l'employeur ; qu'en se bornant, pour refuser aux salariés transférés à la société Alcatel-Lucent International le bénéfice du taux de 12,5 % dont bénéficient les salariés de cette société effectuant un travail de valeur égal et limiter, en conséquence, la condamnation de la société Alcatel-Lucent International au titre du rappel de bonus ''Corporate'' pour l'année 2014 à une certaine somme, outre les congés payés afférents, à énoncer que ces salariés, en provenance d'entreprises différentes, bénéficient de bonus ayant une origine différente, résultant d'un engagement unilatéral de l'employeur dans le cas de la société Alcatel-Lucent France et majoritairement contractualisés dans le cas de la société Alcatel-Lucent International, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les conditions dans lesquelles cette société, qui avait elle-même reconnu dans ses écritures d'appel comme dans les documents remis aux représentants du personnel que le bonus ''Corporate'' attribué à ses salariés, dont l'existence était simplement rappelée, à titre purement informatif, dans quelques rares contrats de travail, procédait d'un engagement unilatéral, avait institué un plan annuel de rémunération variable prévoyant, en cas de réalisation d'un objectif fixé en début d'année et sauf circonstances exceptionnelles, le versement aux salariés éligibles d'un bonus calculé selon un mode prédéterminé, et s'était engagée à verser un tel bonus à ses salariés, ne caractérisaient pas un engagement unilatéral de cette société de verser ce bonus à l'ensemble de ses salariés, et dont les salariés transférés étaient également en droit de bénéficier dans les conditions fixées par cet engagement au titre de l'année 2014 jusqu'à l'entrée en vigueur de l'accord d'harmonisation applicable au 1er janvier 2015, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa version applicable au litige, ensemble le principe d'égalité de traitement. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et l'article L. 1224-1 du code du travail :

8. Aux termes du premier de ces textes, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

9. Aux termes du second de ces textes, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.

10. Il en résulte que l'employeur ne peut refuser aux salariés transférés le bénéfice, dans l'entreprise d'accueil, des avantages collectifs, qu'ils soient instaurés par voie d'accords collectifs, d'usages ou d'un engagement unilatéral de l'employeur, au motif que ces salariés tiennent des droits d'un usage ou d'un engagement unilatéral en vigueur dans leur entreprise d'origine au jour du transfert ou des avantages individuels acquis en cas de mise en cause d'un accord collectif.

11. Pour limiter la condamnation de la société Alcatel-Lucent International au paiement d'une certaine somme au titre d'un rappel de bonus « Corporate » 2014, l'arrêt retient que si le principe d'égalité de traitement peut être invoqué pour des salariés exerçant des emplois de valeur égale, les cadres et ingénieurs de la position III pouvant effectivement être considérés comme exerçant des emplois de valeur égale, il apparaît que ces salariés, en provenance d'entreprises différentes, bénéficient de bonus ayant une origine différente résultant d'un engagement unilatéral de l'employeur dans le cas de la société Alcatel-Lucent France et majoritairement contractualisés dans le cas de la société Alcatel-Lucent International.

12. Il ajoute que le nouvel employeur est légalement tenu de maintenir au bénéfice des salariés transférés les droits qu'ils tiennent de leur contrat de travail ou des usages en vigueur au jour du transfert, cette obligation justifiant la différence de traitement qui en résulte entre les salariés en raison de leur provenance d'entreprises différentes. Il observe que l'article L. 2261-14 du code du travail accorde un délai maximum de quinze mois à l'entreprise dans le cas de transfert de salariés en provenance d'une autre entreprise, pour lui permettre de négocier avec les partenaires sociaux des accords de substitution ayant vocation à définir le cadre juridique applicable pour chacun des salariés transférés et qu'en l'espèce, un engagement unilatéral du 1er décembre 2014 a déterminé pour l'ensemble des salariés ingénieurs et cadres, un nouveau taux applicable à compter du 1er janvier 2015, soit de 10 % à objectifs atteints pour la position III A dont le salarié relève.

13. En se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'il le lui était demandé, si les conditions dans lesquelles la société Alcatel-Lucent International avait décidé de verser, à compter du 1er janvier 2014, aux salariés de son entreprise, un bonus calculé selon un mode prédéterminé ne caractérisaient pas de sa part un engagement unilatéral, de sorte que le salarié dont le contrat de travail était transféré pouvait prétendre, au bénéfice de cet avantage collectif dans les conditions fixées par cet engagement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

14. La cassation prononcée n'emporte pas cassation du chef de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens, justifié par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

Mise hors de cause

15. La société Altran Connected Solutions demande sa mise hors de cause sur le premier moyen de cassation, qui ne concerne que les rapports entre la société Alcatel-Lucent International et ses anciens salariés antérieurement au transfert des contrats de travail.

16. En application de l'article 625, alinéa 3, du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société Altran Connected Solutions du chef de l'arrêt critiqué par le premier moyen, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite les condamnations à paiement, au profit de M. [K], de la société Alcatel-Lucent International, aux droits de laquelle vient la société Nokia Networks France, aux sommes de 986,41 euros brut au titre du rappel de bonus pour l'année 2014 et de 98,64 euros au titre des congés payés afférents, et en ce qu'il déboute M. [K] de sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 30 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Met hors de cause la société Altran Connected Solutions ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne la société Nokia Networks France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés Nokia Networks France et Altran Connected Solutions et condamne la société Nokia Networks France à payer à M. [K] la somme de 300 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mai deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 52400526
Date de la décision : 22/05/2024
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Analyses

SEPARATION DES POUVOIRS - Modification dans la situation juridique de l'employeur - Salarié protégé - Transfert du contrat de travail après autorisation de l'inspecteur du travail - Décision administrative non contestée par une exception d'illégalité - Effets - Incompétence du juge judiciaire - Portée

Justifie légalement sa décision la cour d'appel qui, ayant constaté qu'un salarié protégé avait fait l'objet d'une autorisation de transfert délivrée par l'inspecteur du travail et qu'aucun recours n'avait été formé à l'encontre de cette décision administrative dont l'illégalité n'avait pas été invoquée par voie d'exception devant elle, a énoncé qu'il n'appartenait dès lors pas à la juridiction de l'ordre judiciaire de statuer sur ce transfert


Références :

Article L. 1224-1 du code du travail.
Publié au bulletin

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 30 septembre 2021

Sur le principe que les salariés dont le contrat de travail est transféré peuvent bénéficier des avantages collectifs de l'entreprise d'accueil, à rapprocher : Soc., 22 mai 2024, pourvoi n° 23-10214, Bull., (cassation partielle)

arrêt cité.


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 22 mai. 2024, pourvoi n°52400526


Composition du Tribunal
Président : M. Sommer
Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Spinosi

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:52400526
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