LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 16 mai 2024
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 389 F-D
Pourvoi n° W 22-21.336
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 MAI 2024
La société Thelem assurances, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° W 22-21.336 contre l'arrêt rendu le 13 juillet 2022 par la cour d'appel de Limoges (chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [I] [D], épouse [T],
2°/ à M. [W] [T],
tous deux domiciliés [Adresse 1],
3°/ à la société Gan assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
4°/ à la société Sofaxis, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 4], venant aux droits de la société Neeria, prise en qualité de mandataire de la société CNP assurances,
5°/ à la Caisse des dépôts et de consignations, dont le siège est [Adresse 5], prise en qualité de gérante de la Caisse nationale de retraite des agents de la collectivité locale,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Cassignard, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Thelem assurances, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la Caisse des dépôts et de consignations, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de M. et Mme [T], et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 mars 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Cassignard, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Limoges, 13 juillet 2022), Mme [T] a été victime d'un accident de la circulation le 29 juillet 1999, impliquant un véhicule assuré par la société Thelem assurances (l'assureur).
2. Son état de santé s'étant aggravé après indemnisation, elle a, au vu d'une expertise judiciaire fixant la nouvelle date de consolidation, saisi un tribunal judiciaire aux fins d'indemnisation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. L'assureur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à Mme [T] les sommes de 211 182,14 euros au titre des pertes de gains professionnels futurs, de 20 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, et de 20 760 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, alors « que la réparation du dommage ne peut excéder le montant du préjudice ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'il « ne ressort pas des termes de la lettre du directeur général de la Caisse des dépôts et consignations du 23 mars 2021 produite en cause d'appel par Mme [T] que la victime subira à compter du 7 octobre 2029 une perte de droits à la retraite » ; qu'elle a néanmoins fixé à la somme de 211 182,14 euros les pertes de gains professionnels futurs de Mme [T], correspondant à la différence entre, d'une part, le revenu de référence de 590 157,52 euros qu'elle aurait normalement dû percevoir au titre des salaires pour la période entre le 1er juin 2017 et le 30 septembre 2024 et de la pension de retraite à compter de son départ à la retraite à l'âge de 62 ans capitalisée sur la base de l'euro de rente viagère à l'âge auquel aurait été prise la retraite, et d'autre part, la somme de 378.975,38 euros correspondant à la créance de la CNRACL au titre de la rente invalidité et à la pension de retraite anticipée arrêtée au 6 octobre 2029 ; qu'en allouant ainsi à Mme [T] une somme compensant intégralement la perte de son revenu de référence à compter du 7 octobre 2029 et jusqu'à son décès, quand il ressortait de ses propres constatations que Mme [T] ne subira aucune diminution de sa pension de retraite à compter du 7 octobre 2029, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit pour la victime. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
4. Mme [T] conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est nouveau et mélangé de fait et de droit.
5. Cependant, l'assureur demandait dans ses conclusions, que soient déduites du poste de pertes de gains professionnels futurs, évalués de façon viagère, les pensions de retraite générale et complémentaire à percevoir par Mme [T] pour la période postérieure au 7 octobre 2029.
6. Le moyen, qui n'est pas nouveau, est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :
7. Pour fixer à la somme de 590 157,52 euros l'indemnisation allouée au titre de la perte de gains professionnels futurs, sur laquelle doit s'imputer la créance de la caisse de 378 975,38 euros, l'arrêt calcule le montant des rémunérations que Mme [T] aurait perçues entre le 1er juin 2017 et le 30 septembre 2024, sur la base d'un revenu annuel de référence de 21 997 euros, selon un barème de capitalisation pour une femme de 54 ans au début de la capitalisation, arrêté à ses 62 ans, puis évalue ses droits à retraite sur la base de 75 % du même revenu de référence selon un barème de capitalisation pour une femme de 62 ans.
8. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait qu'il ne ressortait pas des termes de la lettre de l'employeur du 23 mars 2021 produite que Mme [T] subirait à compter du 7 octobre 2029 une perte de droits à la retraite, la cour d'appel a violé le principe susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
9. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt ayant fixé à la somme de 211 182,14 euros les pertes de gains professionnels futurs de Mme [T] entraîne la cassation du chef de dispositif lui allouant la somme de 20 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire, sans s'étendre au chef de dispositif lui allouant la somme de
20 760 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, la rente n'indemnisant pas ce dernier chef de préjudice.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Thelem assurances à payer à Mme [T] la somme de 211 182,14 euros au titre des pertes de gains professionnels futurs et la somme de 20 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, l'arrêt rendu le 13 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;
Condamne Mme [T] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes.
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize mai deux mille vingt-quatre.