LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 mai 2024
Annulation sans renvoi
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 224 F-D
Pourvoi n° P 23-13.099
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 2 MAI 2024
La société Bunnies, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° P 23-13.099 contre un jugement n° RG 2010/1816 rendu le 4 octobre 2010 par le tribunal de commerce de Fréjus, un jugement n° RG 2012/1919 et 2011/5816 rendu le 30 avril 2012 par le même tribunal et un jugement n° RG 2017/257 rendu le 30 janvier 2017 par le même tribunal, dans le litige l'opposant :
1°/ à la société [E] - Les Mandataires, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], succédant à M. [W] [M] [E], prise en qualité de mandataire judiciaire de la société Bunnies,
2°/ à la société [E] - Les Mandataires, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], succédant à M. [W] [M] [E], prise en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Bunnies,
3°/ à la société [E] - Les Mandataires, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], en la personne de Mme [H] [R] [E], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société Bunnies,
4°/ à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) du Var, dont le siège est [Adresse 2],
5°/ au procureur de la République, près le tribunal judiciaire de Draguignan, domicilié en son parquet, Palais de justice, [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Schmidt, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Bunnies, de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de la société [E] - Les Mandataires, prise respectivement en qualité de mandataire judiciaire, de commissaire à l'exécution du plan et de liquidateur judiciaire de la société Bunnies, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 mars 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Schmidt, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Par un jugement du 4 octobre 2010 du tribunal de commerce de Fréjus, la société Bunnies a été mise en redressement judiciaire, M. [E] étant désigné mandataire judiciaire.
2. Par un jugement du 30 avril 2012 du tribunal de commerce de Fréjus, le plan de redressement de la société Bunnies a été arrêté, M. [E] étant maintenu dans ses fonctions de mandataire judiciaire et désigné commissaire à l'exécution du plan.
3. Par un troisième jugement du 30 janvier 2017 de ce même tribunal, la société Bunnies a été mise en liquidation judiciaire sur sa déclaration de cessation des paiements, en l'absence du commissaire à l'exécution du plan et sans résolution préalable du plan.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La société Bunnies fait grief au jugement du tribunal de commerce de Fréjus du 4 octobre 2010 d'ouvrir une procédure de redressement judiciaire à son encontre, au jugement du 30 avril 2012 de ce tribunal d'arrêter un plan de redressement pour une durée de 10 ans, et au jugement de ce tribunal du 30 janvier 2017 d'ouvrir une procédure de liquidation judiciaire sans période d'observation à son encontre, alors « que lorsque des décisions, même non rendues en dernier ressort et dont aucune n'est susceptible d'un recours ordinaire, sont inconciliables, elles peuvent être frappées d'un pourvoi unique, la Cour de cassation, si la contrariété est constatée, annulant l'une des décisions, ou, s'il y a lieu, l'ensemble des décisions ; que le jugement du 4 octobre 2010 a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Bunnies, qui a donné lieu à l'adoption d'un plan de redressement d'une durée de 10 ans par jugement du 30 avril 2012, tandis que le jugement du 30 janvier 2017 a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la même société ; que ces décisions, dont aucune n'est susceptible d'un recours ordinaire, sont inconciliables au regard du principe de l'unicité des procédures collectives ; qu'il y a lieu d'annuler le jugement du 30 janvier 2017 ayant ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société Bunnies sans préalablement prononcer la résolution du plan en cours, en application de l'article 618 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 618 du code de procédure civile :
5. Il résulte de ce texte que lorsque deux décisions non susceptibles d'un recours ordinaire, même non rendues en dernier ressort, sont inconciliables, elles peuvent être frappées d'un pourvoi unique. Si la contrariété est constatée, la Cour de cassation annule l'une des décisions ou, s'il y a lieu, les deux.
6. Les décisions prononcées par le tribunal de commerce de Fréjus les 4 octobre 2010, 30 avril 2012 et 30 janvier 2017, dont aucune n'est susceptible d'un recours ordinaire, sont inconciliables au regard du principe de l'unicité des procédures collectives.
7. En conséquence, il y a lieu d'annuler le jugement du 30 janvier 2017 du tribunal de commerce de Fréjus ayant ouvert la procédure de liquidation judiciaire de la société Bunnies.
Portée et conséquence de la cassation
8. Selon l'article 625, alinéa 2 du code de procédure civile, la cassation entraîne, sans qu'il y ait lieu à une nouvelle décision, l'annulation par voie de conséquence de toute décision qui est la suite, l'application ou l'exécution du jugement cassé ou qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
9. L'annulation du jugement du tribunal de commerce de Fréjus du 30 janvier 2017 ayant ouvert la liquidation judiciaire de la société Bunnies entraîne l'annulation, par voie de conséquence du jugement rendu par le tribunal de commerce de Fréjus du 29 mars 2021 (RG 2018/001976) et de l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 19 mai 2022 (RG 21/05504) qui, ayant condamné les dirigeants de cette société à en supporter l'insuffisance d'actif sur le fondement de l'article L. 651-2 du code de commerce, s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
10. L'annulation prononcée n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile, après avertissement délivré aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
ANNULE, en toutes ses dispositions le jugement rendu le 30 janvier 2017 (RG 2017/257) par le tribunal de commerce de Fréjus ;
Constate par voie de conséquence l'annulation du jugement rendu le 29 mars 2021 (RG 2018/001976) par le tribunal de commerce de Fréjus et de l'arrêt rendu le 19 mai 2022 (RG 21/05504) par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public,
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du deux mai deux mille vingt-quatre.