LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 mai 2024
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 224 F-D
Pourvoi n° Z 22-21.477
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 MAI 2024
La société France boissons Loire sud-ouest, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Z 22-21.477 contre l'arrêt rendu le 30 juin 2022 par la cour d'appel de Bordeaux (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société LPF TP, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à la société Ekip', dont le siège est [Adresse 1], en la personne de M. [J] [O], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Eugetec environnement étanchéité,
3°/ à la société Suez eau France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 9],
4°/ à la société GSE, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 7], venant aux droits de la société GSE régions, elle-même venant aux droits de la société CCR,
5°/ à la société Fayat entreprise TP, dont le siège est [Adresse 6],
6°/ à la société Elite Insurance Company Limited, dont le siège est [Adresse 8] (Royaume-Uni),
7°/ à la société Etche Beychac, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 4],
8°/ à la société XL Insurance Company SE, compagnie d'assurance de droit irlandais, dont le siège est [Adresse 5] (Irlande),
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de la société France boissons Loire sud-ouest, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société GSE, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Suez eau France, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société Fayat entreprise TP, après débats en l'audience publique du 12 mars 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société France boissons Loire sud-ouest (la société France boissons) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société civile immobilière Etche Beychac (la société Etche), les sociétés LPF TP, XL Insurance Company SE, Elite Insurance Company Limited et M. [O], pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société Eugetec environnement étanchéité.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 30 juin 2022), la société Etche a conclu avec la société CCR, aux droits de laquelle vient la société GSE, un contrat de promotion immobilière portant sur la construction d'un bâtiment à usage d'entrepôts et de bureaux qu'elle a loué à la société France boissons.
3. Une réserve incendie, alimentée par une canalisation d'eau disposant de son propre compteur, a été réalisée par la société Fayat entreprise TP.
4. Une consommation anormale d'eau ayant été constatée, la société Etche a, après expertise, assigné certains constructeurs en indemnisation de ses préjudices ainsi que les sociétés France boissons et Lyonnaise des eaux, aux droits de laquelle vient la société Suez eau France.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
6. La société France boissons fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes indemnitaires à l'encontre des sociétés Fayat entreprise TP et GSE, alors « que les juges ne peuvent refuser d'évaluer un préjudice dont ils ont constaté l'existence en son principe au prétexte de l'insuffisance des éléments de preuve fournis par la victime ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté une surconsommation importante d'eau du fait des désordres affectant la réserve incendie et le bassin, ce qui implique nécessairement l'existence d'un préjudice lié au surcoût de facturation subi par la société France boissons du fait des entrepreneurs responsables des désordres ; que dès lors, en déboutant la société France boissons de ses demandes indemnitaires aux motifs que « si contrairement à ce que soutient la société Fayat, il est établi que son préjudice est en lien avec l'opération de construction, la société France boissons ne justifie cependant pas du montant de son préjudice alors qu'il s'agit d'un préjudice financier quantifiable », que la demande de la société France boissons « correspond à son entière consommation d'eau sur la période litigieuse et non pas uniquement à sa surconsommation » et que la société France boissons n'avait pas versé « aux débats les factures d'eau émises par son fournisseur depuis la fin de la période de consommations » ni proposé « un quelconque mode de calcul de cette surconsommation », la cour d'appel, qui a refusé d'évaluer un préjudice dont elle reconnaissait formellement le principe de l'existence aux motifs inopérants que le chiffrage proposé par la société France boissons et les éléments produits pour l'établir ne lui convenaient pas, a violé les articles 4 et 1382 dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 1er février 2016 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
7. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser d'évaluer le montant d'un dommage dont il a constaté l'existence en son principe, en se fondant sur l'insuffisance des preuves fournies par les parties.
8. Pour rejeter les demandes indemnitaires, l'arrêt retient que si le préjudice de la société France boissons est en lien avec l'opération de construction, celle-ci se contente de verser aux débats des factures portant sur les périodes litigieuses sans produire celles émises après la réparation du désordre, lesquelles auraient permis d'établir sa consommation moyenne d'eau et d'en déduire sa surconsommation, que les autres éléments produits ne sont ni certifiés ni probants et qu'elle ne propose aucun mode de calcul de cette surconsommation, de sorte qu'elle ne justifie pas du montant de son préjudice.
9. En statuant ainsi, en refusant d'évaluer le montant d'un dommage dont elle avait constaté l'existence, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Mise hors de cause
10. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société Suez eau France, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes indemnitaires de la société France boissons Loire sud-ouest et en ce qu'il statue sur les dépens d'appel et l'application en appel de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 30 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Met hors de cause la société Suez eau France ;
Remet, sur ces points les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée ;
Condamne les sociétés Fayat entreprise TP et GSE aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux mai deux mille vingt-quatre.