LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 24 avril 2024
Rejet
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 185 FS-B
Pourvoi n° S 22-24.667
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 24 AVRIL 2024
Mme [G] [D], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 22-24.667 contre l'arrêt rendu le 11 octobre 2022 par la cour d'appel de Versailles (1re chambre, 1re section), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [F] [E],
2°/ à Mme [L] [K],
3°/ à Mme [I] [T],
domiciliés tous trois [Adresse 1], pris en qualité d'associés de l'AARPI Judisis avocats,
4°/ au procureur général près la cour d'appel de Versailles, domicilié en son parquet général, 5 rue Carnot, 78000 Versailles,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme de Cabarrus, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de Mme [D], de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de M. [E] et de Mmes [K] et [T], et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 février 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, Mme de Cabarrus, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, MM. Jessel, Mornet, Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Dumas, Feydeau-Thieffry, Kass-Danno, conseillers référendaires, M. Chaumont, avocat général, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 11 octobre 2022), le 26 septembre 2018, Mme [D], avocate au sein de l'association d'avocats à responsabilité professionnelle individuelle Judisis avocats (l'AARPI), a notifié son retrait aux deux autres membres de l'association, M. [E] et Mme [K].
2. Le 19 octobre 2018, Mme [D] a conclu avec Mme [T] une convention de présentation de clientèle.
3. Le 6 novembre 2018, l'assemblée générale extraordinaire de l'AARPI a pris acte de son retrait au 31 décembre 2018.
4. Le 13 mars 2019, M. [E] a saisi le bâtonnier d'une réclamation déontologique et d'une demande d'arbitrage à l'égard de Mme [D].
5. Le 21 mai 2019, l'assemblée générale de l'AARPI s'est réunie afin d'arrêter les comptes de l'association au 31 décembre 2018.
6. Le 23 mai 2019, Mme [D] a formé des demandes reconventionnelles relatives à ses droits financiers et à la désignation d'un expert-comptable afin qu'il établisse le bilan au 31 décembre 2018 de l'AARPI.
7. Une sentence arbitrale du 29 janvier 2021 a fixé les « créances de l'AARPI à l'encontre de Mme [D] » et celles de cette dernière « à l'encontre de l'AARPI », sursis à statuer sur les demandes en paiement, désigné un expert aux fins de déterminer, conformément aux dispositions des statuts de l'AARPI, les « droits sociaux » de Mme [D] et rejeté les autres demandes des parties.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
9. Mme [D] fait grief à l'arrêt de rejeter la demande d'annulation des délibérations prises lors de l'assemblée générale de l'AARPI du 21 mai 2019 et de confirmer la sentence arbitrale du 29 janvier 2021 en ce qu'elle a fixé « les créances de l'AARPI » à son encontre et en ce qu'elle a rejeté les autres demandes, alors :
« 1°/ que seuls les associés ont le droit de participer aux décisions collectives ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande d'annulation des délibérations prises lors de l'assemblée générale de l'AARPI Judisis avocats du 21 mai 2019, la cour d'appel, après avoir relevé que Mme [D] était associée de l'AARPI Judisis avocats jusqu'au 31 décembre 2018, a estimé que Mme [D] avait "fait délibérément le choix de ne pas participer [à l'assemblée générale du 21 mai 2019] et par conséquent de ne pas utiliser son droit de vote" ; que la cour d'appel a également énoncé, pour confirmer la sentence arbitrale en ce qu'elle a mis à la charge de Mme [D] un excédent de prélèvement, "qu'associée jusqu'au 31 décembre 2018, Mme [D] a librement choisi de ne pas participer à l'assemblée générale du 22 mai 2019 ayant approuvé les comptes des exercices 2015 à 2018. Elle ne saurait ni reprocher à l'assemblée générale d'avoir approuvé ces comptes de manière rétroactive ni remettre en cause les montants arrêts" ; qu'en statuant ainsi cependant que seuls les associés ont le droit de participer aux décisions collectives et qu'il résultait de ses propres constatations que Mme [D] n'avait plus la qualité d'associé au 21 mai 2019, date à laquelle s'est tenue l'assemblée générale, la cour d'appel a violé l'article 1844 du code civil ;
2°/ que le juge doit répondre aux conclusions des parties, et examiner, serait-ce sommairement, les éléments de preuve soumis à son examen ; que, dans ses conclusions d'appel, Mme [D] faisait valoir, pour solliciter l'annulation des délibérations prises lors de l'assemblée générale de l'AARPI Judisis avocats du 21 mai 2019, que ces délibérations résultaient d'une fraude et d'un abus de droit ; qu'au-delà des actes de malveillance auxquels elle avait dû faire face et de la procédure arbitrale engagée à son encontre par Me [E] pour répondre à une demande d'un montant dérisoire de 444 euros qu'elle avait formulée, Mme [D] se prévalait du caractère purement artificiel et frauduleux des prétendus "état des dettes et créances de l'AARPI Judisis avocats au 31.12.2018" et du "bilan de sortie de Mme [G] [D] au 31.12.2018" approuvés lors de l'assemblée générale de l'AARPI Judisis avocats du 21 mai 2019 ; que Mme [D] soutenait que "le caractère frauduleux de cette assemblée ressort[ait] (...) du fait que le prétendu "bilan de sortie" ne fai[sait] état que des dettes de Mme [D] et ne di[sai]t mot sur la part des encours de l'AARPI Judisis auxquels Mme [D] [avait] droit en vertu de l'article 14 de la Convention d'association" ; qu'elle faisait également valoir que "M. [E] a[vait] produit des pièces incomplètes, erronées et mensongères (tantôt en HT et en TTC en fonction de ce qui l'arrange[ait]) qui [étaient] contredites non seulement par les pièces de Mme [D] mais également par les pièces juridiques et comptables de l'AARPI pour minimiser la dette de l'AARPI à l'encontre de Mme [D]" ; qu'elle produisait notamment pour en justifier, outre le procès-verbal d'assemblée générale en date du 22 mai 2019 et les statuts de l'AARPI Judisis avocats, les tableaux adressés par M. [E] dans son courrier du 2 octobre 2019 et le facturier de l'AARPI Judisis avocats du 1er janvier 2014 au 17 décembre 2018 ; qu'en déboutant Mme [D] de sa demande d'annulation des délibérations prises lors de l'assemblée générale de l'AARPI Judisis avocats du 21 mai 2019, sans répondre à ces moyens opérants des conclusions d'appel de Mme [D] ni examiner les éléments de preuve qui étaient portés devant elle, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
10. En premier lieu, il résulte des articles 1844, 1844-10, alinéa 3, et 1871-1 du code civil et 124 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat que seuls les associés d'une AARPI peuvent participer aux décisions collectives et que la participation d'une personne n'ayant pas cette qualité à une assemblée générale au cours de laquelle a été prise une telle décision constitue une cause de nullité de cette assemblée générale.
11. C'est donc à tort que la cour d'appel a retenu qu'était justifiée la convocation de Mme [D], associée jusqu'au 31 décembre 2018, à l'assemblée générale du 21 mai 2019, ayant pour objet d'arrêter les comptes au 31 décembre 2018, et qu'elle lui a opposé son choix de ne pas y participer et de ne pas exercer son droit de vote.
12. Cependant l'arrêt n'encourt pas pour autant la censure. En effet, Mme [D] est sans intérêt à critiquer le rejet de sa demande d'annulation des délibérations prises lors de cette assemblée générale, dès lors que les créances ont été fixées par le bâtonnier au vu des éléments soumis par les parties et qu'une expertise a été ordonnée pour analyser les factures, établir les comptes entre les parties et, le cas échéant, aboutir à une régularisation de ceux approuvés par les délibérations de cette assemblée générale que les associés ont accepté de remettre en cause.
13. En second lieu, en retenant que Mme [D] ne soumettait aucun élément objectif de nature à démontrer la fraude alléguée, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de s'expliquer sur les pièces qu'elle décidait d'écarter, a répondu aux conclusions prétendument délaissées.
14. Par conséquent, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
15. Mme [D] fait grief à l'arrêt de confirmer la sentence arbitrale du 29 janvier 2021 en ce qu'elle a fixé « les créances de l'AARPI » à son encontre et en ce qu'elle a rejeté les autres demandes des parties, alors « qu'aux termes de l'article 7 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et de l'article 124 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, modifié par le décret n° 2007-932 du 15 mai 2007, l'avocat peut exercer sa profession au sein d'une association ; que l'association d'avocats est dépourvue de la personnalité morale et donc de patrimoine propre ; qu'en considérant, pour déclarer recevables comme non prescrites les demandes formées par M. [E] portant sur les sommes de 30 334,30 euros, 16 504,5 euros et 13 602,47 euros correspondant respectivement à « une participation au remboursement du compte courant d'associé de M. [E] », à « un remboursement du compte courant débiteur de Mme [D] à l'issue des exercices 2015-2018 » et à « une participation aux dettes de l'association à la date du départ de Mme [D] », que ces sommes ont été mises à la disposition de la trésorerie de l'association par M. [E], pour en déduire que cette mise à disposition de la trésorerie de l'association « correspond strictement à la définition d'un compte courant », la cour d'appel, qui a ainsi considéré que l'AARPI Judisis avocats disposait d'un patrimoine propre, a violé les dispositions susvisées, ensemble l'article 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
16. Il résulte des articles 1871 à 1873 du code civil et 124 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 qu'une AARPI est une société créée de fait qui est soumise au régime des sociétés en participation et qui n'a pas la personnalité morale. Aux termes de l'article 1871-1 du même code, à moins qu'une organisation différente n'ait été prévue, les rapports entre associés sont régis, en tant que de raison, par les dispositions applicables aux sociétés civiles, si la société a un caractère civil.
17. Il s'en déduit que l'associé d'une AARPI peut consentir des avances de fonds au profit de l'indivision des associés de l'AARPI.
18. En retenant que l'association était dépourvue de personnalité juridique et de trésorerie propre et que M. [E] avait mis à disposition de l'indivision des associés de l'AARPI des sommes qu'il avait facturées, la cour d'appel n'a pas admis l'existence d'un patrimoine propre de l'association.
19. Le moyen, qui critique en réalité une simple impropriété de termes, n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [D] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre avril deux mille vingt-quatre.