LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 28 mars 2024
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 180 F-D
Pourvoi n° S 22-19.883
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 28 MARS 2024
Mme [F] [B], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 22-19.883 contre l'arrêt rendu le 24 mai 2022 par la cour d'appel de Riom (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à M. [W] [E], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Davoine, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme [B], de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de M. [E], après débats en l'audience publique du 13 février 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Davoine, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 24 mai 2022), le 13 janvier 2012, M. et Mme [Y], aux droits desquels est venue Mme [B] (la bailleresse), ont conclu avec M. [E] (le preneur) un contrat dénommé « convention pluriannuelle d'exploitation » portant sur des terres agricoles pour une durée de huit années, expirant le 1er janvier 2020.
2. Le 28 juin 2018, la bailleresse a délivré au preneur un congé à effet au 1er janvier 2020.
3. Le 8 juillet 2019, le preneur a saisi un tribunal paritaire des baux ruraux en requalification de la convention en bail rural, annulation du congé, fixation du montant du fermage et indemnisation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La bailleresse fait grief à l'arrêt de déclarer recevable la demande en requalification de la convention pluriannuelle d'exploitation en bail rural, alors « que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que le point de départ de la prescription quinquennale applicable à la demande tendant à la requalification d'une convention pluriannuelle d'exploitation en bail rural court à compter de la date de la conclusion de ladite convention ; qu'en l'espèce, M. [E] demandait la requalification de la convention pluriannuelle d'exploitation conclue le 13 janvier 2012 en bail rural ; que son action ayant été introduite le 8 juillet 2019, Mme [B] a fait valoir que celle-ci était prescrite, le délai de prescription quinquennale ayant commencé à courir à partir du 13 janvier 2012 pour expirer le 13 janvier 2017 ; qu'en jugeant que la demande formée par M. [E] aux fins de requalification de la convention pluriannuelle d'exploitation du 13 janvier 2012 en bail rural n'était pas prescrite pour avoir été introduite pendant le cours même du manquement aux dispositions d'ordre public de l'article L. 481-1 du code rural et de la pêche maritime et en toute hypothèse moins de cinq années après le jour où Mme [B], bailleresse, a entendu délivrer congé de cette convention par acte d'huissier de justice du 28 juin 2018, quand le délai de prescription avait couru à compter de la date de conclusion de la convention pluriannuelle dont la requalification était demandée, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. » Réponse de la Cour
Vu l'article 2224 du code civil :
5. Aux termes de ce texte, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
6. Pour déclarer recevable la demande en requalification, l'arrêt retient que le non-respect des dispositions spécifiques et d'ordre public de l'article L. 481-1 du code rural et de la pêche maritime, imposant que les conventions pluriannuelles d'exploitation agricole ou de pâturage soient conclues pour un loyer inclus dans les limites fixées par arrêté du représentant de l'Etat dans le département, constitue une infraction civile continue, qui perdure et se renouvelle durant tout le temps de l'application de la convention pluriannuelle d'exploitation.
7. Il en déduit que la demande aux fins de requalification en bail rural de la convention pluriannuelle d'exploitation du 13 janvier 2012 n'est pas prescrite pour avoir été introduite pendant le cours même du manquement aux dispositions d'ordre public susmentionnées et, en toute hypothèse, moins de cinq années après le jour où la bailleresse a délivré congé.
8. En statuant ainsi, alors que le délai de prescription de l'action en requalification d'une convention pluriannuelle d'exploitation en bail rural court à compter de la date de sa conclusion, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de dommages-intérêts formée par M. [E], l'arrêt rendu le 24 mai 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Limoges ;
Condamne M. [E] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [E] et le condamne à payer à Mme [B] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit mars deux mille vingt-quatre.