LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 28 mars 2024
Rejet
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 279 FS-D
Pourvoi n° H 22-21.185
Aide juridictionnelle totale en demande
pour M. [C].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 29 juin 2022.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 28 MARS 2024
M. [M] [C], domicilié chez M. [L], [Adresse 2], a formé le pourvoi n° H 22-21.185 contre l'arrêt rendu le 17 janvier 2022 par la cour d'appel de Rennes (chambre spéciale des mineurs), dans le litige l'opposant au conseil départemental du Finistère, dont le siège est [Adresse 1], défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [C], de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat du conseil départemental du Finistère, et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 février 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, Mmes Grandemange, Vendryes, Caillard, M. Waguette, conseillers, Mme Jollec, M. Cardini, Mmes Latreille, Bonnet, Chevet, conseillers référendaires, M. Adida-Canac, avocat général, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 17 janvier 2022), le 20 février 2019, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris a confié au conseil départemental du Finistère M. [C], se disant né le 23 octobre 2005 à Payes (Mali) et mineur isolé, avant de se dessaisir au profit du procureur près le tribunal de grande instance de Quimper.
2. Par jugement du 7 mars 2019, un juge des enfants a ordonné son placement auprès de l'aide sociale à l'enfance jusqu'au 31 mars 2020.
3. Par jugement du 28 février 2020, le juge aux affaires familiales saisi aux fins de délégation de l'autorité parentale, a rejeté la demande.
4. Par requête du 12 octobre 2020, M. [C] a sollicité du juge des enfants sa prise en charge au titre de la protection de l'enfance.
5. Il a ensuite interjeté appel de la lettre, dont son avocat avait reçu copie, adressée par ce juge au président du tribunal judiciaire, à sa demande, à la suite d'observations du Défenseur des droits.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. M. [C] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable l'appel dirigé contre la décision du juge de ne pas statuer sur la requête tendant au placement du mineur au titre de l'aide sociale à l'enfance, contenue dans le courrier que ce juge a adressé au président du tribunal judiciaire le 2 septembre 2021, alors :
« 1°/ que constitue une décision susceptible d'appel au sens des articles 543 et 1191 du code de procédure civile la décision prise par un juge des enfants régulièrement saisi sur le fondement des articles 375 du code civil et 1184 du code de procédure civile aux fins de placement d'un mineur au titre de l'aide sociale à l'enfance contenue dans un courrier dans lequel ce dernier, qui n'a notifié aucune décision sur la requête dont il avait saisi près d'un an auparavant, indique au président du tribunal judiciaire qu'il s'estime incompétent pour en connaître ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 543 et 1191 du code de procédure civile, ensemble les dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 et l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi que les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme et 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant ;
2°/ que si une décision qui ne présente pas de caractère juridictionnelle n'est pas susceptible d'appel, fût-ce pour excès de pouvoir, une telle décision, lorsqu'elle manifeste explicitement le refus d'un juge des enfants de statuer sur une requête dont il admet avoir été saisi et qui vise au prononcé de mesures provisoires pour la protection d'un mineur, peut faire l'objet d'un recours en appel en raison de l'excès de pouvoir dont elle est entachée si elle affecte l'exercice du droit d'accès au juge et l'exigence d'assurer aux mineurs les garanties légales attachées à leur âge ; qu'en s'abstenant de constater que la décision contenue dans le courrier du 2 septembre 2021 dans lequel le juge des enfants indiquait au président du tribunal judiciaire qu'il s'estimait incompétent pour statuer sur la requête était un acte entaché d'un excès de pouvoir, cependant que cette décision privait d'effectivité le droit d'accès au juge et le droit au recours du requérant ainsi que l'exigence d'assurer aux mineurs les garanties légales attachées à leur âge, la cour d'appel a elle-même entaché sa décision d'un excès de pouvoir négatif et a violé les articles 543 et 1191 du code de procédure civile, ensemble les dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 et l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et les articles 6 et 13 de la convention européenne des droits de l'homme et 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant. »
Réponse de la Cour
7. D'une part, selon l'article 543 du code de procédure civile, la voie de l'appel est ouverte en toutes matières, même gracieuses, contre tout jugement de première instance s'il n'en est disposé autrement.
8. Le jugement, au sens de ce texte, s'entend de toute décision juridictionnelle de première instance.
9. D'autre part, il résulte de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire que l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice lorsque cette responsabilité est engagée par une faute lourde ou un déni de justice.
10. Lorsque l'exercice de voies de recours ne permet pas de réparer le mauvais fonctionnement allégué du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi, la responsabilité de ce service public peut, le cas échéant, être engagée sur le fondement de l'article L. 141-1 susvisé(1re Civ., 6 mai 2003, pourvoi n° 01-02.543, Bull. 2003, I, n° 105 ).
11. Ainsi, l'existence d'un régime de responsabilité propre au fonctionnement défectueux du service de la justice, qui ne prive pas le justiciable d'accès au juge, n'est pas en contradiction avec les exigences d'un procès équitable au sens de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. (Ass. plén., 23 février 2001, pourvoi n° 99-16.165, Bull. 2001, Ass. plén., n° 5).
12. L'arrêt constate que ne lui est pas déférée une décision juridictionnelle prise au terme d'une procédure non-contradictoire, mais une lettre du juge des enfants adressée au président de la juridiction en réponse aux observations du Défenseur des droits.
13. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu les articles 6 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant, en l'état d'un recours en responsabilité de l'Etat prévu sur le fondement de l'article L. 141-1 précité, en a exactement déduit que la lettre du juge à son président de juridiction ne pouvait être qualifiée de jugement au sens de l'article 543 du code de procédure civile, et qu'ainsi, ni l'appel ni aucun recours juridictionnel, fût-ce pour excès de pouvoir, n'était recevable.
14. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [C] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit mars deux mille vingt-quatre.