LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 27 mars 2024
Cassation partielle
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 364 F-D
Pourvoi n° D 22-23.528
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 27 MARS 2024
M. [Y] [F], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 22-23.528 contre l'arrêt rendu le 29 octobre 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-7), dans le litige l'opposant à la société Manpower France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de Me Isabelle Galy, avocat de M. [F], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Manpower France, après débats en l'audience publique du 28 février 2024 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Flores, conseiller rapporteur, Mme Le Quellec, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 29 octobre 2021), M. [F] a été engagé par la société Manpower France et mis à disposition de la société Arcelormittal Méditerranée selon plusieurs contrats de mission conclus entre le 10 décembre 2013 et le 1er janvier 2017, avec des interruptions entre février et mai 2014 puis, entre octobre 2015 et juin 2016.
2. Le 18 septembre 2017, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes en requalification des contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée et au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de dire que les demandes antérieures au 18 septembre 2015 sont prescrites
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes tendant à la requalification des contrats de mission conclus avec l'entreprise de travail temporaire en contrat à durée indéterminée, à dire que la rupture du contrat de travail doit s'analyser en un licenciement nul, à ordonner sa réintégration et à condamner l'entreprise de travail temporaire à lui payer diverses sommes à titre de rappel de salaires et indemnités au titre de la perte de salaires et de la rupture du contrat de travail, alors « que la signature d'un contrat écrit, imposée par l'article L. 1251-16 du code du travail dans les rapports entre l'entreprise de travail temporaire et le salarié afin de garantir qu'ont été observées les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main d'oeuvre est interdite, a le caractère d'une prescription d'ordre public dont l'omission entraîne, à la demande du salarié, la requalification en contrat de droit commun à durée indéterminée ; qu'il n'en va autrement que lorsque le salarié a délibérément refusé de signer le contrat de mission dans une intention frauduleuse ; qu'en retenant en l'espèce, pour rejeter la demande de requalification de M. [F], que si les contrats de travail produits par la société de travail temporaire ne comportent pas la signature du salarié, l'analyse des faits permet de retenir la connaissance par celui-ci de l'existence de la relation contractuelle avec la société de travail temporaire pour toute la période non prescrite, soit du 12 au 15 octobre 2015 et du 1er au 31 janvier 2017, la cour d'appel, qui n'a pas constaté que M. [F] avait délibérément refusé de signer les contrats de travail dans une intention frauduleuse, a violé le texte susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1251-16 et L. 8241-1 du code du travail :
5. Selon le premier de ces textes, le contrat de mission est établi par écrit.
6. Selon le second, toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d'oeuvre est interdite. Toutefois, ces dispositions ne s'appliquent pas aux opérations réalisées dans le cadre des dispositions du présent code relatives au travail temporaire.
7. Il résulte de la combinaison de ces textes que la signature d'un contrat écrit, imposée par la loi dans les rapports entre l'entreprise de travail temporaire et le salarié, est destinée à garantir qu'ont été observées les diverses conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d'oeuvre est interdite. Cette prescription étant d'ordre public, son omission par l'une des parties entraîne, à la demande du salarié, la requalification en contrat de droit commun à durée indéterminée. Il n'en va autrement que lorsque le salarié a délibérément refusé de signer le contrat de mission dans une intention frauduleuse.
8. Pour débouter le salarié de sa demande en requalification des contrats de missions en contrat de travail à durée indéterminée, l'arrêt, après avoir constaté que la société de travail temporaire produisait les contrats de travail et avenants qui, s'agissant de duplicata, ne comportaient pas la signature du salarié, retient que le salarié a exercé son activité pour le compte de la société utilisatrice dans le cadre des contrats de mission tels qu'ils étaient produits aux débats, l'analyse des faits permettant de retenir la connaissance par le salarié de l'existence de la relation contractuelle avec la société de travail temporaire pour l'ensemble de la période.
9. En statuant ainsi, alors que, faute de comporter la signature du salarié, les contrats de mission ne pouvaient être considérés comme ayant été établis par écrit, et que l'employeur, en ne respectant pas les dispositions des textes susvisés, s'était placé hors du champ d'application du travail temporaire et se trouvait lié au salarié par un contrat de droit commun à durée indéterminée, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit que les demandes antérieures au 18 septembre 2015 sont prescrites et en ce qu'il déboute M. [F] de ses demandes en paiement de dommages-intérêts pour violation des dispositions légales relatives à la prise des congés payés et inégalité de traitement de ce chef et pour maintien abusif dans la précarité, l'arrêt rendu le 29 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composé ;
Condamne la société Manpower France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Manpower France et la condamne à payer à M. [F] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept mars deux mille vingt-quatre.