LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
HP
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 mars 2024
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 283 F-D
Pourvoi n° K 22-12.425
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 MARS 2024
La société Air France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° K 22-12.425 contre l'arrêt rendu le 17 novembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 10), dans le litige l'opposant à M. [I] [O], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bérard, conseiller, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Air France, de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de M. [O], après débats en l'audience publique du 31 janvier 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bérard, conseiller rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 novembre 2021), M. [O], né le [Date naissance 2] 1949, a été engagé en qualité de pilote de ligne par la société Air France (la société) à compter du 13 janvier 1978.
2. Par lettre du 28 juillet 2014, la société a informé le salarié qu'en application de l'article L. 6521-4 du code des transports son activité de pilote dans le transport aérien public prendrait fin à la date du 27 août 2014 en raison de la limite d'âge fixée à 65 ans, et lui a proposé un poste de reclassement au sol, « SFI », à [4].
3. Estimant que le salarié avait refusé le poste de reclassement proposé, la société l'a licencié par lettre du 26 décembre 2014.
4. Le salarié a saisi, le 30 juin 2016, la juridiction prud'homale pour contester la validité de son licenciement en invoquant un manquement de la société à son obligation de reclassement.
Examen des moyens
Sur le second moyen
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
6. La société fait grief à l'arrêt de dire le licenciement nul et, en conséquence, de la condamner à payer au salarié diverses sommes à titre d'indemnité de licenciement nul et d'indemnité de licenciement, alors « que, aux termes de l'article 1.2.2.1 du chapitre 7 de la convention d'entreprise du personnel navigant technique relatif aux règles de reclassement, le pilote âgé de 65 ans bénéficie d'un ''entretien approfondi en présence, sauf refus de l'intéressé, d'un délégué du personnel navigant technique ou de toute autre personne de la compagnie de son choix, en vue de réunir toutes les informations utiles sur ses aptitudes, son expérience, ses aspirations et par conséquent, ses possibilités d'orientation et d'emploi au sol ainsi que sur les actions de formation à prévoir dans son cas'' ; que l'absence d'un délégué du personnel lors de l'entretien de reclassement du pilote âgé de 65 ans dans un emploi au sol, n'a pas nécessairement comme conséquence la violation de son obligation de reclassement par l'employeur puisque la convention d'entreprise prévoit une alternative à la présence d'un délégué du personnel lors de l'entretien qui consiste pour le salarié concerné à choisir un salarié de l'entreprise pour l'assister ; que la cour d'appel a jugé que la société Air France a méconnu l'article 1.2.2.1 du chapitre 7 de la convention d'entreprise du personnel navigant technique dans la mesure où il n'apparaissait pas qu'il ait été proposé au salarié avant son licenciement l'entretien approfondi en présence d'un délégué du personnel ou d'un tiers appartenant à l'entreprise ; que pourtant, la cour d'appel a relevé qu'une proposition d'un poste de reclassement au sol avait bien été adressée à plusieurs reprises à M. [O] à partir du mois de juillet 2014 et qu'il avait eu trois entretiens avec MM. [C] et [B] et avec Mme [V], salariés de l'entreprise, ce dont il résultait que la société Air France a respecté son obligation de reclassement, M. [O] indiquant à son employeur dans son courriel du 18 novembre 2014, qu'il « se rendrai(t) au rendez-vous avec M. [C] le 20 novembre à 9 heures pour obtenir les informations manquantes », marquant ainsi son choix d'être accompagné par M. [C] salarié de l'entreprise ; que la cour d'appel a violé l'article 1.2.2.1 du chapitre 7 de la convention d'entreprise du personnel navigant technique relatif aux règles de reclassement.»
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
7. Le salarié conteste la recevabilité du moyen. Il soutient qu'il est nouveau et mélangé de fait et de droit et contraire à la thèse défendue par l'employeur en cause d'appel.
8. Cependant, le moyen, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, est recevable comme étant de pur droit et n'est pas contraire à la thèse défendue par l'employeur qui a soutenu que le salarié avait eu des entretiens en vue du reclassement.
9. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article L. 6521-4 du code des transports, en sa rédaction antérieure à la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020, et l'article 1.2.2.1 du chapitre 7 de la convention d'entreprise du personnel navigant technique :
10. Il résulte du premier de ces textes que lorsque la limite d'âge de soixante-cinq ans est atteinte, l'activité de pilote ou de copilote ne peut être exercée dans le transport aérien public. Le contrat de travail du navigant n'est pas rompu du seul fait que la limite d'âge est atteinte, sauf s'il est impossible à l'employeur de lui proposer un reclassement dans un emploi au sol ou si l'intéressé refuse d'accepter l'emploi qui lui est proposé.
11. Il résulte du second de ces textes qu'en vue du reclassement du salarié, il est procédé à un examen des dossiers administratifs, techniques et de notations professionnelles de l'officier navigant et à un entretien approfondi avec ce dernier, en présence ¿ sauf refus de l'intéressé - d'un délégué du personnel navigant technique (ou de toute autre personne de la compagnie de son choix), en vue de réunir toutes informations utiles sur ses aptitudes, son expérience, ses aspirations et, par conséquent, ses possibilités d'orientation et d'emploi au sol ainsi que sur les actions de formation à prévoir dans son cas.
12. Pour dire le licenciement du salarié nul et condamner la société au paiement de diverses sommes à ce titre, l'arrêt constate que si une proposition d'un poste de reclassement au sol a bien été adressée par écrit à plusieurs reprises au salarié à partir du mois de juillet 2014 et qu'il a eu trois entretiens - qu'il juge incomplets ou insatisfaisants aux termes d'un message du 18 novembre 2014 - avec différents interlocuteurs de l'entreprise, il n'apparaît pas, néanmoins, qu'il lui ait été proposé, avant le licenciement, l'entretien approfondi en présence d'un délégué du personnel ou d'un tiers appartenant à l'entreprise prévu par l'article 1.2.2.1 de la convention d'entreprise. L'arrêt en déduit que le licenciement du salarié sans respect des garanties conventionnelles relative au reclassement s'analyse comme un licenciement discriminatoire en raison de son âge.
13. En statuant ainsi, alors que l'irrégularité commise dans le déroulement d'une procédure de reclassement prévue par une disposition conventionnelle ne saurait être assimilée à la violation d'une garantie de fond et n'est pas de nature à affecter la validité du licenciement, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen, pris en sa première branche, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Air France à payer à M. [O] les sommes de 142 000 euros à titre d'indemnité de licenciement nul et de 260 534 euros à titre d'indemnité légale de licenciement se compensant avec l'indemnité de fin de carrière d'un montant de 214 708 euros perçue par le salarié en 2009, l'arrêt rendu le 17 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne M. [O] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six mars deux mille vingt-quatre.