LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° D 22-85.605 F-D
N° 00126
SL2
7 FÉVRIER 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 FÉVRIER 2024
M. [E] [B] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 11e chambre, en date du 14 septembre 2022, qui, pour fraude fiscale et passation d'écriture inexacte ou fictive en comptabilité, l'a condamné à trois mois d'emprisonnement avec sursis, un an d'interdiction de gérer, cinq ans d'inéligibilité et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [E] [B], et les conclusions de M. Crocq, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par jugement du 12 septembre 2019, M. [E] [B] a été condamné du chef de fraudes fiscales pour avoir, en tant que gérant de droit des sociétés [1] et [3] (la société [2]) frauduleusement et volontairement soustrait celles-ci à l'établissement ou au paiement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), en souscrivant des déclarations mensuelles minorées à raison de la dissimulation d'une partie du chiffre d'affaires imposable et de la TVA collectée y afférente, au titre de la période du 1er octobre 2010 au 30 septembre 2012 pour la première et de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012, pour la seconde.
3. Il a également été reconnu coupable du chef de passation d'écritures comptables erronées ou fictives, pour avoir, en tant que gérant de droit de la société [1], sciemment passé ou fait passer des écritures inexactes et fictives, au titre des exercices clos les 30 septembre 2011 et 2012, dans les documents comptables obligatoires dont la tenue et la présentation sont prescrites par les articles 54 du code général des impôts et L. 123-12 à L. 123-14 du code de commerce, en l'espèce en procédant à des transferts et des inscriptions comptables artificiels, révélant des anomalies et des irrégularités.
4. Le prévenu, le procureur de la République et l'administration fiscale ont interjeté appel de ce jugement.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen
5. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de sursis à statuer de M. [B], alors « qu'en se bornant à faire référence à « l'indépendance des procédures fiscales et pénales » et à « la jurisprudence constante en la matière », sans répondre au moyen tiré de ce qu'il existait un risque sérieux de contrariété entre les décisions rendues par le juge administratif et le juge pénal concernant la société [3] (conclusions in limine litis aux fins de sursis à statuer), la cour d'appel a méconnu les articles 485, 512 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
7. L'arrêt attaqué énonce que la cour d'appel, après en avoir délibéré, a rejeté la demande de renvoi présentée par le prévenu au regard de l'indépendance des procédures fiscales et pénales et de la jurisprudence constante en la matière.
8. En l'état de ses énonciations, la cour d'appel, qui n'avait pas à motiver davantage le rejet d'une demande de renvoi, dès lors qu'il ne résulte pas des pièces de procédure qu'une demande de sursis à statuer, fondée sur l'existence d'un risque sérieux de contrariété de décisions entre les deux ordres de juridiction, ait été présentée, a justifié sa décision.
9. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [B] coupable de fraude fiscale par soustraction frauduleuse à l'impôt, alors :
« 1°/ que, d'une part, les juges ne peuvent statuer que sur les faits dont ils sont saisis, à moins que le prévenu n'accepte expressément d'être jugé sur des faits distincts de ceux visés à la prévention ; qu'en l'espèce, M. [B] était renvoyé devant la juridiction correctionnelle du chef de fraude fiscale pour avoir « volontairement soustrait [les sociétés] qu'il dirigeait à l'établissement ou au paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, en souscrivant des déclarations mensuelles minorées à raison de la dissimulation d'une partie du chiffre d'affaires imposable et de la TVA collectée y afférente », sans plus de précision ; qu'en retenant que constituait, pour la société [1], un encaissement imposable à la TVA la seule inscription, sur les comptes de la société [3], de la somme de 150 000 euros, inscrite sur un compte courant d'associé, correspondant au prix des prestations de services au motif que la société [1] en avait la libre disposition, sans constater que le prévenu avait expressément accepté d'être jugé sur ce fait, la cour d'appel a excédé les limites de sa saisine et méconnu les articles 388 et 512 du code de procédure pénale, ensemble l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 388 du code de procédure pénale :
11. Il résulte de ce texte que les juges ne peuvent statuer que sur les faits dont ils sont saisis, à moins que le prévenu n'accepte expressément d'être jugé sur des faits distincts de ceux visés à la prévention.
12. Pour déclarer le prévenu coupable de fraude fiscale, l'arrêt attaqué énonce notamment que la société [1] étant détenue par la société [2] et par M. [B], ce dernier étant le gérant des deux sociétés ainsi que l'unique associé de la société [2], la société [1], prestataire de la société [2], doit être regardée comme ayant eu la disposition du compte fournisseur et du compte courant d'associé de la société [2], comme l'a relevé la cour administrative d'appel de Nantes.
13. La cour d'appel en conclut que les sommes d'un montant de 150 000 euros, inscrites au crédit du compte courant d'associé en fin d'année, devaient être regardées, pour la société [1], comme des encaissements au sens de l'article 269 du code général des impôts rendant également la taxe sur la valeur ajoutée exigible sur cette opération.
14. En se déterminant ainsi, alors que la prévention ne concernait que l'absence de déclaration des sommes facturées au titre des prestations réalisées par les sociétés [1] et [2], chacune au profit de l'autre, et devant être considérées comme réglées par compensation, la cour d'appel
a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
15. La cassation est par conséquent encourue, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la déclaration de culpabilité du chef de fraude fiscale par soustraction de la société [1] à l'établissement ou au paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, aux peines et aux intérêts civils. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 14 septembre 2022, mais en ses seules dispositions relatives à la déclaration de culpabilité du chef de fraude fiscale par soustraction de la société [1] à l'établissement ou au paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, aux peines et aux intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du sept février deux mille vingt-quatre.