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31/01/2024 | FRANCE | N°42400060

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 31 janvier 2024, 42400060


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


COMM.


CH.B






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 31 janvier 2024








Rejet




M. VIGNEAU, président






Arrêt n° 60 F-D


Pourvoi n° Z 22-15.290








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 31 JANVIER 2024


La société Au levain de [Localité 3], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Z 22-15.290 contr...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CH.B

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 31 janvier 2024

Rejet

M. VIGNEAU, président

Arrêt n° 60 F-D

Pourvoi n° Z 22-15.290

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 31 JANVIER 2024

La société Au levain de [Localité 3], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Z 22-15.290 contre l'arrêt rendu le 8 février 2022 par la cour d'appel de Chambéry (chambre civile, 1re section), dans le litige l'opposant à la Communauté d'agglomération Grand [Localité 3], dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée [Adresse 4], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bellino, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de la société Au levain de [Localité 3], de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de la Communauté d'agglomération Grand [Localité 3] après débats en l'audience publique du 5 décembre 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bellino, conseiller référendaire rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 8 février 2022), la société Au levain de [Localité 3] exploite deux fonds de commerce de boulangerie, dont l'un est raccordé à un puits privé alimentant ses groupes frigorifiques, l'eau étant ensuite rejetée dans le réseau d'évacuation unitaire des eaux usées et des eaux pluviales.

2. En 2013, la communauté d'agglomération [Adresse 4], devenue communauté d'agglomération Grand [Localité 3], gestionnaire de la distribution de l'eau potable et du service d'assainissement, lui a demandé de faire poser un compteur mesurant les volumes d'eau tirés du puits afin de calculer la redevance d'assainissement, dès lors que cette eau était évacuée dans le réseau public d'eaux usées. La société Au levain de [Localité 3] a contesté son assujettissement à cette redevance.

3. Par lettre du 8 avril 2014, la communauté d'agglomération a informé la société Au levain de [Localité 3] que l'agent chargé du relevé des compteurs avait constaté, au mois de février 2013, une augmentation de la consommation de l'ordre de 10 000 m3 pour l'année 2012. La société Au levain de [Localité 3] a alors formé diverses contestations concernant les factures correspondantes et fait grief au service gestionnaire d'avoir manqué à son obligation de l'informer dans les meilleurs délais.

4. A la suite de la décision implicite de rejet du recours gracieux qu'elle avait formé, la société Au levain de [Localité 3] a assigné la communauté d'agglomération Grand [Localité 3] en annulation de ses factures d'eau.

5. A titre reconventionnel, la communauté d'agglomération Grand [Localité 3] a demandé la condamnation de la société Au levain de [Localité 3] à laisser installer à ses frais par le service des eaux un dispositif de comptage des volumes prélevés sur son forage privé.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. La société Au levain de [Localité 3] fait grief à l'arrêt de rejeter l'ensemble de ses demandes tendant à faire déclarer les factures 2017/9, 2017/29 et 2017/41 irrégulières et de la condamner au paiement de la somme de 47 048,78 euros outre intérêts au légal à compter du 12 octobre 2016 et de la condamner à laisser installer à ses frais par le service des eaux un dispositif de comptage des volumes prélevés sur son forage privé sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la date d'intervention fixée par le service des eaux, alors « que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi et avec loyauté ; qu'en l'espèce, la société Au levain de [Localité 3] faisait valoir que la communauté d'agglomération avait manqué à ses devoirs en ne l'informant pas immédiatement des surconsommations litigieuses en 2012, 2013 et 2014, de sorte qu'elle lui réclamait fautivement l'équivalent de 54 années de consommation d'eau, correspondant à une année et demi de résultat d'exploitation quand elle avait la responsabilité d'assurer le bon fonctionnement de ce service public et ne pouvait solliciter que le paiement "service fait", ce qui n'était pas le cas dès lors qu'elle avait fait constater par huissier un dysfonctionnement du compteur, de la seule responsabilité de la collectivité, ce qui était propre à la décharger des sommes indument réclamées ; qu'en jugeant le contraire, et en se bornant à affirmer qu'aucun préjudice ne saurait être invoqué car la consommation excessive a été constatée en 2012 et fait l'objet d'une lettre d'information en avril 2014 et enfin, que seule l'exposante est responsable de la surconsommation d'eau qu'elle n'a pas su détecter, la cour d'appel a violé ensemble les articles 1104 et suivants du code civil et L. 2224-7, L. 2224-8, L. 2224-12 et suivants du code général des collectivités territoriales. »

Réponse de la Cour

8. Après avoir relevé que, par lettre du 8 avril 2014, la communauté d'agglomération [Localité 3] Métropole avait informé la société Au levain de [Localité 3] que l'agent chargé du relevé des compteurs avait constaté, au mois de février 2013, une augmentation de la consommation de l'ordre de 10 000 m3 pour l'année 2012, et que l'abonnée reprochait au service gestionnaire d'avoir manqué à son obligation de l'informer en temps utile de sa surconsommation anormale d'eau potable, l'arrêt retient que les dispositions de l'article L. 2224-12-4 III bis du code des collectivités territoriales sont réservées à l'occupant d'un local d'habitation et ne s'appliquent donc pas à la société Au levain de [Localité 3], s'agissant d'une consommation d'eau au titre d'un local professionnel. Il ajoute que, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, aucun préjudice résultant de la faute alléguée ne saurait être invoqué par l'abonnée, dès lors qu'il n'est pas justifié d'une poursuite de l'excès de consommation postérieurement au relevé litigieux, soit entre le contrôle réalisé par le service des eaux en février 2013 et la lettre d'information d'avril 2014. Il en déduit que la société Au Levain de [Localité 3], qui avait la charge du bon état de ses installations, est seule responsable de la surconsommation d'eau.

9. En l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que l'information tardive sur la surconsommation détectée par le service de l'eau n'avait occasionné aucun préjudice à l'abonnée en l'absence de surconsommation facturée pour la période comprise entre le relevé de compteur et ladite information et de preuve que la surconsommation facturée soit due à une fuite ou à un dysfonctionnement des installations qui ne lui soit pas imputable, la cour d'appel a pu retenir qu'il n'y avait pas lieu de décharger la société Au levain de [Localité 3] du paiement de la totalité des factures litigieuses.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

11. La société Au levain de [Localité 3] fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 2°/ que, selon la définition de l'article 2 de la directive 91/271/CEE du Conseil du 21 mars 1991, sont des eaux "usées" des eaux provenant des établissements et services résidentiels et produites essentiellement par le métabolisme humain et les activités ménagères ; qu'en l'espèce il résulte des propres constatations de la cour d'appel que l'eau puisée par l'exposante pour la faire circuler dans une canalisation à des fins de refroidissement était "saine", ce que l'exposante justifiait en produisant des analyses biologiques et des constats d'huissiers établissant l'absence de la moindre modification chimique et de pollution organique de l'eau entre la sortie du puits et la sortie du groupe frigorifique, ce dont il se déduisait qu'elle ne pouvait pas être qualifiée d'eau "usée" ; que pour juger le contraire, la cour d'appel, qui s'est référée aux "définitions usuelles en la matière utilisées par les professionnels et les autorités administratives" avant d'ajouter que "quand bien même l'eau du puits serait "saine" après usage, elle doit être assujettie à la redevance d'assainissement s'agissant d'une eau usée, dès lors qu'elle a circulé dans des canalisations de refroidissement avant d'être collectée" a violé l'article 2 de la directive 91/271/CEE du Conseil du 21 mars 1991 relative au traitement des eaux urbaines résiduaires et l'article R. 2224-19-4 du code général des collectivités territoriales ;

3°/ que, la question de qualification d'"eaux usées", dont la réponse nécessite une interprétation uniforme du droit de l'Union applicable en la cause, ne peut être tranchée par la juridiction saisie du litige qui doit la soumettre à la Cour de justice de l'Union européenne ; qu'en l'espèce le litige concernant la taxation de la collecte et du traitement des eaux usées et portant sur la qualification juridique d'une eau usée dont la définition existant à l'article 2 de la directive 91/271/CEE du Conseil du 21 mars 1991 n'a pas été transposée en droit national, la cour d'appel ne pouvait qualifier elle-même une eau, simplement puisée dans le puits privatif de l'exposante aux fins de refroidissement "d'eau usée" quand bien même elle a relevé qu'elle serait "saine" après usage au seul prétexte "qu'elle a circulé dans des canalisations de refroidissement avant d'être collectée", ce qui répond aux "définitions usuelles en la matière utilisées par les professionnels et les autorités administratives" pour lui appliquer une taxe d'assainissement quand une telle qualification qui nécessite une interprétation uniforme du droit communautaire relevait de la compétence exclusive de la Cour de justice de l'Union européenne, de sorte qu'elle a excédé ses pouvoirs et a violé les dispositions de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. »

Réponse de la Cour

12. Selon l'article 4 de la directive 91/271/CEE du Conseil, du 21 mai 1991, relative au traitement des eaux urbaines résiduaires, les États membres veillent à ce que les eaux urbaines résiduaires qui pénètrent dans les systèmes de collecte soient, avant d'être rejetées, soumises à un traitement secondaire ou à un traitement équivalent, selon certaines modalités. Aux termes de l'article 2 de cette directive, on entend par « eaux urbaines résiduaires », les eaux ménagères usées ou le mélange des eaux ménagères usées avec des eaux industrielles usées et/ou des eaux de ruissellement, par « eaux ménagères usées », les eaux usées provenant des établissements et services résidentiels et produites essentiellement par le métabolisme humain et les activités ménagères, et par « eaux industrielles usées », toutes les eaux usées provenant de locaux utilisés à des fins commerciales ou industrielles, autres que les eaux ménagères usées et les eaux de ruissellement.

13. Selon l'article R. 2224-19-2 du code général des collectivités territoriales, la redevance d'assainissement collectif comprend une partie variable et, le cas échéant, une partie fixe. La partie variable est déterminée en fonction du volume d'eau prélevé par l'usager sur le réseau public de distribution ou sur toute autre source, dont l'usage génère le rejet d'une eau usée collectée par le service d'assainissement. La partie fixe est calculée pour couvrir tout ou partie des charges fixes du service d'assainissement. Les volumes d'eau utilisés pour l'irrigation et l'arrosage des jardins, ou pour tout autre usage ne générant pas une eau usée pouvant être rejetée dans le système d'assainissement, dès lors qu'ils proviennent de branchements spécifiques, n'entrent pas en compte dans le calcul de la redevance d'assainissement.

14. Selon l'article R. 2224-19-4 de ce code, toute personne tenue de se raccorder au réseau d'assainissement et qui s'alimente en eau, totalement ou partiellement, à une source qui ne relève pas d'un service public doit en faire la déclaration à la mairie. Dans le cas où l'usage de cette eau générerait le rejet d'eaux usées collectées par le service d'assainissement, la redevance d'assainissement collectif est calculée, soit par mesure directe au moyen de dispositifs de comptage posés et entretenus aux frais de l'usager et dont les relevés sont transmis au service d'assainissement, soit, en l'absence de dispositifs de comptage, de justification de la conformité des dispositifs de comptage à la réglementation ou de transmission des relevés, sur la base de critères permettant d'évaluer le volume d'eau prélevé, définis par l'autorité mentionnée au premier alinéa de l'article R. 2224-19-1.

15. Après avoir relevé que l'eau prélevée du puits privé pour alimenter les groupes frigorifiques de l'une des boulangeries était ensuite rejetée dans le réseau d'évacuation unitaire des eaux usées et pluviales, l'arrêt énonce que s'il résulte des articles R. 2224-19-2 et R. 2224-19-4 du code général des collectivités territoriales, que l'eau provenant de branchements spécifiques, par exemple d'un puits ou du recueil des eaux de pluies, et qui ne retourne pas au réseau des eaux usées, car elle s'écoule d'une autre manière, comme par exemple dans la pelouse ou dans le potager, n'entre pas en compte dans le calcul de la redevance d'assainissement, toutefois, a contrario, si l'eau est collectée dans le système d'assainissement, après usage, elle est soumise à la redevance. Il retient que, ayant été « utilisée », puisqu'elle a circulé dans des canalisations aux fins de refroidissement, l'eau devient « eau usée », quand bien même elle serait relativement saine en sortie de circuit. Il constate enfin que l'usage que fait la société Au levain de [Localité 3] de l'eau de son puits n'est pas assimilable à de l'irrigation ou à l'arrosage d'un potager, puisqu'alors l'eau retourne à la terre et non pas dans le système des eaux usées.

16. En l'état de ces seules constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'a pas excédé ses pouvoirs, a exactement retenu que l'eau extraite du puits de la société Au levain de [Localité 3] et collectée, après utilisation pour le refroidissement de son système frigorifique, dans le réseau public d'évacuation des eaux usées, devait être assujettie à la redevance d'assainissement.

17. Le moyen n'est donc pas fondé.

18. Et en l'absence de doute raisonnable sur le fait qu'une eau, captée dans un puits privé, et utilisée à des fins de refroidissement des équipements d'une boulangerie, quand bien même elle n'aurait subi aucune modification ni altération, doit, une fois rejetée dans le système de collecte, être qualifiée d'eau usée au sens de la directive n° 91/271/CEE du 21 mai 1991 relative au traitement des eaux résiduaires, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de la question préjudicielle suggérée par la société Au levain de [Localité 3].

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Au levain de [Localité 3] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Au levain de [Localité 3] et la condamne à payer à la Communauté d'agglomération Grand [Localité 3] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un janvier deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 42400060
Date de la décision : 31/01/2024
Sens de l'arrêt : Rejet

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Chambéry, 08 février 2022


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 31 jan. 2024, pourvoi n°42400060


Composition du Tribunal
Président : M. Vigneau (président)
Avocat(s) : SARL Cabinet Munier-Apaire, SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix

Origine de la décision
Date de l'import : 06/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:42400060
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