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24/01/2024 | FRANCE | N°C2400058

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 24 janvier 2024, C2400058


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° G 22-83.539 F-D


N° 00058




GM
24 JANVIER 2024




CASSATION




M. BONNAL président,
















R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________






ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 24 JANVIER 2024






La société [5] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 24 mai 2022, qui, dans l'information suivie, notamment contre elle, des chefs d'abus de biens sociaux, corruption...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° G 22-83.539 F-D

N° 00058

GM
24 JANVIER 2024

CASSATION

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 24 JANVIER 2024

La société [5] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 24 mai 2022, qui, dans l'information suivie, notamment contre elle, des chefs d'abus de biens sociaux, corruption passive et active, blanchiment, recel aggravé, faux et usage, a confirmé l'ordonnance de saisie pénale rendue par le juge d'instruction.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de Mme Chafaï, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société [5], et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chafaï, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Une information judiciaire a été ouverte le 6 mai 2020 des chefs précités, concernant notamment les marchés passés entre la société [2], filiale de la société [5], et la société [3].

3. Les investigations ont révélé qu'une somme de 1 959 260 euros aurait été versée à Mme [V] [Y] par la société [2], sous couvert du paiement de prestations de conseil à la société [4], afin d'obtenir des marchés de la société [3] pour un montant total de 78 489 000 euros.

4. Le juge d'instruction a ordonné, le 7 décembre 2021, sur le fondement des dispositions de l'article 706-153 du code de procédure pénale, la saisie de la somme figurant sur le compte de la société [5] ouvert auprès de la [1] pour un montant de 1 959 260 euros.

5. La société [5] a relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches, et le second moyen, pris en sa seconde branche

6. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance entreprise portant saisie d'une somme de 1 959 260 euros sur un compte de la société [5], alors :

« 5°/ qu'en ne s'expliquant pas sur le fait que la saisie, même en valeur, ne pouvait être prononcée qu'à l'encontre du propriétaire ou de la personne ayant la libre disposition du bien en remplacement duquel la saisie en valeur est pratiquée, quand il résulte des faits que les fonds qui auraient été l'instrument de la corruption, provenaient la société [2] et non de la société [5], la chambre de l'instruction a encore privé sa décision de base légale au regard des articles 706-141, 706-141-1, 706-153 du code de procédure pénale et 131-21 du code pénal. »

Réponse de la Cour

8. Il résulte des articles 706-141 et 706-141-1 du code de procédure pénale qu'au cours de l'information judiciaire, le juge d'instruction peut ordonner la saisie des biens ou droits incorporels dont la confiscation est prévue par l'article 131-21 du code pénal, et que celle-ci peut être ordonnée en valeur.

9. Aux termes de l'article 131-21, alinéa 2, du code pénal, la confiscation, qui peut être ordonnée en valeur, porte notamment sur les biens meubles ou immeubles, quelle qu'en soit la nature, divis ou indivis, ayant servi à commettre l'infraction ou qui étaient destinés à la commettre, et dont le condamné est propriétaire ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition.

10. Il se déduit de ces textes que peuvent être saisis en valeur les biens ou droits incorporels dont le mis en cause est propriétaire ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition, dont la valeur représente celle des biens ayant servi à commettre l'infraction ou qui étaient destinés à la commettre.

11. Pour confirmer l'ordonnance de saisie pénale en valeur de l'instrument de l'infraction rendue par le juge d'instruction, l'arrêt attaqué énonce, notamment, qu'il existe des indices graves ou concordants de ce que la société [5] a pu commettre les faits de corruption active retenus à son encontre par le réquisitoire introductif, en ce que pour obtenir des marchés de la société [3], la société [2], sa filiale, a versé à Mme [Y] un total de 1 959 260 euros sous couvert du paiement de prestations de conseil à la société [4], cette somme pouvant s'analyser comme l'instrument de ce délit.

12. Les juges ajoutent qu'en application de l'article 131-21, alinéa premier, du code pénal, la peine complémentaire de confiscation est encourue par la société [5], confiscation qui peut être ordonnée en valeur sur tout bien lui appartenant en application des dispositions de l'article 131-21, alinéa 9, du code pénal.

13. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.

14. D'une part, la somme de 1 959 260 euros a été saisie sur un compte bancaire dont la société [5] est titulaire, ce dont il se déduit qu'elle en est propriétaire.

15. D'autre part, chacun des auteurs ou complices de l'infraction encourant la confiscation de la valeur totale de l'instrument de l'infraction, dès lors que les juges relevaient à l'encontre de la société [5] l'existence d'indices de commission de l'infraction de nature à justifier la mesure, la circonstance que cette société n'ait pas elle-même versé les fonds ayant servi à commettre l'infraction est indifférente.

Mais sur le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance entreprise portant saisie d'une somme de 1 959 260 euros sur un compte de la société [5], alors :

« 3°/ qu'en se contentant de mentionner que la société [2] était la filiale de la société [5], pour ordonner la saisie en valeur de l'instrument de l'infraction commise dans la cadre de sa filiale, quand le seul fait qu'une société soit une filiale d'une autre, ne suffit pas à établir que la société mère a participé aux faits spécifiques fondant la mesure, l'article 121-2 du code pénal exigeant que l'infraction ait été commise par un organe ou représentant de la société mère, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard de l'article 121-2 du code pénal ;

4°/ qu'en ne s'expliquant pas sur l'articulation essentielle du mémoire pour la société [5] qui soutenait qu'il n'existait aucun indice de participation de la société [5] à la corruption qui aurait été mise en place par M. [E], dirigeant de la société Entreprise [X] et salarié de [5], dès lors que, rien n'établissait qu'en qualité de salarié, il disposait d'un pouvoir de décision au sein de la société [5] et que, contrairement à ce qu'avait estimé le magistrat instructeur pour ordonner la saisie, M. [E] n'avait pas reconnu avoir informé les dirigeants de [5] du commissionnement mais avait seulement indiqué, interrogé par le magistrat instructeur sur la demande de Mme [Y], qu'il avait « dû leur en faire part de manière informelle », ce qui contredisait ses affirmations antérieures selon lesquelles la société [2] était autonome dans le choix de ses prestataires, affirmations elles-mêmes conformes au fait que la société [2] était indépendante tant financièrement qu'en matière d'organe de direction, la société mère ne contrôlant que les prises d'affaires supérieures à 15 millions d'euros, dépassant largement la somme de 1 959 260 euros qui aurait été remise au titre de la corruption par la société [2], la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 706-141, 706-141-1, 706-153 du code de procédure pénale, 121-2 et 131-21 du code pénal. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 593 du code de procédure pénale :

17. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

18. Pour confirmer l'ordonnance de saisie pénale rendue par le juge d'instruction, l'arrêt énonce, notamment, que la société [5] n'était pas mise en examen au moment où la saisie a été ordonnée par le magistrat instructeur mais se trouvait visée par le réquisitoire introductif du 6 mai 2020 du chef de corruption active.

19. Les juges retiennent que les indices graves ou concordants de ce que la société [5] a pu commettre les faits retenus à son encontre résultent notamment de l'exploitation des documents saisis lors des perquisitions, de l'analyse des flux financiers entre les personnes impliquées et des déclarations de MM. [C] [L], [T] [Z] et [W] [Y], en ce que pour obtenir des marchés pour un chiffre d'affaires de 78 489 000 euros de la société [3], la société [2], filiale de la société [5], a versé à Mme [Y] un total de 1 959 260 euros sous couvert du paiement de prestations de conseil à la société [4], cette somme pouvant s'analyser comme l'instrument de corruption active.

20. En se déterminant ainsi, sans répondre au mémoire régulièrement déposé par la demanderesse, qui faisait valoir que la responsabilité pénale de la société [5] ne pouvait être engagée par les agissements de son salarié M. [E] et de sa filiale, la société [2], présentés par l'ordonnance du juge d'instruction comme les auteurs de l'infraction, puisque le premier ne détenait aucun mandat de représentation et n'agissait que pour le compte de la seconde, laquelle disposait d'une complète autonomie financière et décisionnelle, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

21. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Et sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

22. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance entreprise portant saisie d'une somme sur un compte de la société [5], alors :

« 1°/ qu'il résulte des articles 706-141-1 et 706-153 du code de procédure pénale, et 131-21 du code pénal, qu'au cours de l'information judiciaire, le juge d'instruction peut ordonner la saisie des biens ou droits incorporels dont la confiscation est prévue par l'article 131-21 du code pénal ; que la saisie peut être ordonnée en valeur ; qu'il s'en déduit que de la même façon qu'un bien ne peut être saisi qu'une fois, la saisie en valeur ne peut intervenir qu'une fois ; que si l'infraction est imputée à plusieurs personnes, la saisie en valeur de l'instrument de l'infraction ne peut excéder la valeur de l'instrument de l'infraction et ne peut se cumuler avec les saisies en valeur prononcées à l'encontre des autres personnes mises en cause que dans la limite de la valeur de l'instrument de l'infraction ; que pour considérer que la saisie en valeur pouvait être prononcée à l'encontre de chacune des personnes mises en cause dès lors que la saisie était destinée à garantir l'éventuelle exécution d'une confiscation de l'instrument de l'infraction ou de sa valeur, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 706-141-1 et 706-153 du code de procédure pénale, et 131-21 du code pénal. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 131-21, alinéas 2 et 9, du code pénal, 706-141-1, 706-153 et 593 du code de procédure pénale :

23. Il résulte de ces textes que le montant cumulé des saisies pénales en valeur ne doit pas excéder la valeur du bien susceptible de confiscation.

24. Par ailleurs, chacun des auteurs ou complices de l'infraction encourt la confiscation de la valeur totale de l'instrument de cette infraction, à la condition que la valeur de la totalité des biens confisqués à l'ensemble des auteurs et complices n'excède pas celle de l'instrument.

25. Pour confirmer l'ordonnance de saisie pénale en valeur de l'instrument de l'infraction rendue par le juge d'instruction, l'arrêt énonce, notamment, que l'instrument de l'infraction susceptible d'être reprochée à la société [5] est la somme de 1 959 260 euros versée à Mme [Y] par la société [2], sa filiale, sous couvert de la société [4], et qu'à défaut de possibilité de saisie de l'instrument de l'infraction, la saisie en valeur est encourue dans la limite de la somme de 1 959 260 euros.

26. En se déterminant ainsi, sans rechercher si, comme le faisait valoir la demanderesse dans son mémoire, en alléguant qu'une somme d'un montant identique avait fait l'objet d'une saisie en valeur au titre de l'instrument de l'infraction dans le patrimoine de la société [2] et qu'une somme de 74 000 euros avait été saisie le 8 juillet 2021 entre les mains de M. [E], le montant saisi n'excédait pas la valeur totale des biens saisis en valeur au titre de l'instrument de l'infraction, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.

27. La cassation est par conséquent de nouveau encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 24 mai 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre janvier deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2400058
Date de la décision : 24/01/2024
Sens de l'arrêt : Cassation

Références :

Décision attaquée : Chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, 24 mai 2022


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 24 jan. 2024, pourvoi n°C2400058


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal (président)
Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 06/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:C2400058
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