LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° E 22-85.721 FS-B
N° 00063
ODVS
10 JANVIER 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 10 JANVIER 2024
M. [W] [U] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Nancy, chambre correctionnelle, en date du 26 janvier 2022, qui, pour blanchiment, blanchiment douanier et transfert de capitaux sans déclaration, l'a condamné à deux ans d'emprisonnement avec sursis, des amendes douanières et une confiscation.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Gillis, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [W] [U], les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la direction régionale des douanes et droits indirects de Lorraine, et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 novembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Gillis, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. de Lamy, Mmes Piazza, Jaillon, conseillers de la chambre, M. Ascensi, Mmes Fouquet, Chafaï, conseillers référendaires, M. Valat, avocat général, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 7 octobre 2017, M. [W] [U] a été contrôlé au volant de son véhicule par des agents des douanes. Alors qu'il a déclaré transporter la somme de 60 000 euros en espèces et se rendre au Luxembourg pour prendre un vol à destination de la Turquie, il a été retrouvé dissimulée dans son véhicule la somme de 176 750 euros.
3. M. [U] a été condamné des chefs susmentionnés par jugement du tribunal correctionnel à deux ans d'emprisonnement avec sursis, la confiscation de la somme de 176 750 euros et deux amendes douanières de 176 750 et 88 375 euros.
4. Il a relevé appel de cette décision. Le ministère public a formé un appel incident.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen et le troisième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches
5. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [U] coupable de blanchiment et de blanchiment douanier, alors « qu'un même fait autrement qualifié ne peut donner lieu à plusieurs déclarations de culpabilité ; qu'il en va ainsi, notamment, dans les cas où un fait ou des faits identiques sont en cause et que l'une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l'action répréhensible sanctionnée par l'autre infraction, dite générale ; que le blanchiment douanier prévu et réprimé à l'article 415 du code des douanes, ne constitue qu'une modalité particulière du blanchiment de droit commun de l'article 324-1 du code pénal, dès lors qu'il découle d'un mode d'action spécifique de ce délit, portant sur des biens dont l'origine délictueuse est spécialement qualifiée et comportant le même élément intentionnel, quoique spécialement caractérisé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a reproché à M. [W] [U] d'avoir tenté, le 7 octobre 2017, de procéder au transfert occulte de fonds qu'il savait provenir d'une infraction ; qu'en le déclarant coupable, pour ce fait unique, à la fois du délit de blanchiment et du délit de blanchiment douanier, elle a violé le principe non bis in idem, ensemble l'article 4 du 7e protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
7. Le moyen tiré d'une double déclaration de culpabilité prononcée contre une même personne pour des faits identiques au terme d'une action pénale unique est inopérant en l'espèce.
8. En effet, la condamnation du chef des deux qualifications de blanchiment et blanchiment douanier résulte de la mise en oeuvre d'un système intégrant l'action pénale, d'une part, et l'action douanière, d'autre part, laquelle poursuit l'application de sanctions fiscales et non de peines, permettant au juge pénal de réprimer un même fait sous ses deux aspects, de manière prévisible et proportionnée, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne devant pas dépasser le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues.
Mais sur le troisième moyen, en ses autres branches
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [U] coupable de blanchiment douanier, alors :
« 2°/ que, en matière de blanchiment douanier, les fonds ne sont présumés être le produit direct ou indirect d'un délit douanier ou portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne, ou d'une infraction à la législation sur les substances ou plantes vénéneuses classées comme stupéfiants que lorsque les conditions matérielles, juridiques ou financières de l'opération d'exportation, d'importation, de transfert ou de compensation ne paraissent obéir à d'autre motif que de dissimuler que les fonds ont une telle origine ; qu'en retenant une telle présomption du seul fait de la volonté de M. [W] [U] « de dissimuler les fonds litigieux et leur provenance » (arrêt, p. 12) et de son impossibilité « de rapporter la preuve de l'origine et de la licéité des fonds » (ibid.) sans indiquer en quoi ses manoeuvres auraient eu pour objet de dissimuler que ces sommes provenaient non d'une infraction au sens large mais plus spécifiquement d'un délit douanier ou d'une infraction à la législation sur les stupéfiants, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 415-1 du code des douanes. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 415, 415-1 du code des douanes et 593 du code de procédure pénale :
10. Selon le premier de ces textes, procède à une opération financière entre l'étranger et la France celui qui importe des fonds qu'il savait provenir, directement ou indirectement, d'un délit prévu au code des douanes ou portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne ou d'une infraction à la législation sur les substances ou plantes vénéneuses classées comme stupéfiants.
11. Selon le deuxième, pour l'application du premier, les fonds sont présumés être le produit direct ou indirect d'une de ces trois catégories d'infractions, lorsque les conditions matérielles, juridiques ou financières de l'opération d'exportation, d'importation, de transfert ou de compensation ne paraissent obéir à d'autre motif que de dissimuler que les fonds ont une telle origine.
12. Selon le dernier, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
13. Pour déclarer le prévenu coupable de blanchiment douanier, l'arrêt attaqué relève qu'une opération financière a bien été tentée par M. [U] entre la France et l'étranger.
14. Les juges ajoutent que les conditions matérielles et financières de cette opération n'apparaissent pas obéir à d'autres motifs que de dissimuler les fonds litigieux et leur provenance.
15. Ils indiquent que les conditions de découverte des sommes dissimulées dans les bagages du prévenu, ses déclarations précises et circonstanciées aux agents des douanes et au juge d'instruction, le rôle d'intermédiaire qu'il a reconnu avoir joué à la demande de diverses personnes dont il n'a pas révélé l'identité exacte au magistrat instructeur, établissent que la dissimulation constatée lors du contrôle du 7 octobre 2017 avait pour objectif de cacher l'origine occulte des sommes transportées en direction de la Turquie.
16. Ils en déduisent que, dès lors que M. [U] est dans l'impossibilité de rapporter la preuve de l'origine et de la licéité des fonds qu'il transportait, c'est à bon droit que les premiers juges ont refusé d'écarter la présomption de l'article 415-1 du code des douanes.
17. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision pour les motifs qui suivent.
18. D'une part, il ne lui incombait pas seulement de rechercher si les conditions matérielles, juridiques ou financières de l'opération d'exportation, d'importation, de transfert ou de compensation ne paraissaient obéir à d'autre motif que de dissimuler l'origine illicite des fonds, mais de rechercher si elles ne paraissaient pas obéir à d'autre motif que de dissimuler qu'ils étaient le produit d'une des trois catégories d'infractions visées à l'article 415-1 du code des douanes.
19. D'autre part, les fonds transportés sans déclaration en méconnaissance de l'article L. 152-1 du code monétaire et financier n'étant pas le produit de cette infraction, celle-ci ne peut, en l'espèce, constituer le délit d'origine de l'infraction de blanchiment douanier.
20. La cassation est par conséquent encourue, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs.
Portée et conséquences de la cassation
21. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la déclaration de culpabilité pour le délit de blanchiment douanier, ainsi que celles relatives aux peines, à l'amende douanière prononcée du chef de ce délit, aux confiscations et à la demande de dispense d'inscription au bulletin n° 2. Les autres dispositions, y compris l'amende douanière prononcée du chef de transport de capitaux sans déclaration, seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Nancy, en date du 26 janvier 2022, mais en ses seules dispositions relatives à la déclaration de culpabilité pour le délit de blanchiment douanier, ainsi que celles relatives aux peines, à l'amende douanière prononcée du chef de ce délit, aux confiscations et à la demande de dispense d'inscription au bulletin n° 2, toutes autres dispositions, y compris l'amende douanière prononcée du chef de transport de capitaux sans déclaration, étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Metz, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Nancy et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix janvier deux mille vingt-quatre.