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19/12/2023 | FRANCE | N°C2301604

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 19 décembre 2023, C2301604


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° W 23-83.141 F-D


N° 01604








19 DÉCEMBRE 2023


RB5










QPC INCIDENTE : NON LIEU À RENVOI AU CC














M. BONNAL président,












R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT

DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 19 DÉCEMBRE 2023






Le Royaume du Maroc, partie civile, a présenté, par mémoire spécial reçu le 16 octobre 2023, une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi formé par lui contre l'ar...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° W 23-83.141 F-D

N° 01604

19 DÉCEMBRE 2023

RB5

QPC INCIDENTE : NON LIEU À RENVOI AU CC

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 19 DÉCEMBRE 2023

Le Royaume du Maroc, partie civile, a présenté, par mémoire spécial reçu le 16 octobre 2023, une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi formé par lui contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, section 2-7, en date du 12 avril 2023, qui, dans la procédure suivie contre M. [Z] [B] du chef de diffamation publique envers un particulier, a déclaré irrecevable sa constitution de partie civile.

Des observations ont été produites.

Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du Royaume du Maroc, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [Z] [B] et la société Editrice de Médiapart, et les conclusions de M. Desportes, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 19 décembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

1. La question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :

« Les dispositions des articles 29, 30 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, sont-elles contraires au principe du droit à un recours juridictionnel effectif des victimes d'actes fautifs et au principe d'égalité devant la justice, garantis par les articles 4, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce qu'elles interdisent de façon absolue à un État étranger d'engager une poursuite en diffamation, sans réserver la possibilité pour cet État d'agir au nom et pour le compte de l'une de ses administrations publiques, dépourvue de la personnalité morale, à qui sont imputés des faits portant atteinte à son honneur et à sa considération, cependant que l'agent judiciaire de l'État peut, dans les mêmes circonstances, agir en diffamation au nom d'une administration publique française dépourvue de la personnalité morale ? ».

2. L'article 29, alinéa 2, de la loi précitée définit l'injure.

3. L'article 32, alinéas 2, 3 et 4, de cette loi prévoit et réprime la diffamation envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, ou à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap.

4. Ces dispositions ne sont pas applicables au litige.

5. Les autres dispositions critiquées, les articles 29, alinéa 1er, 30 et 32, alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, sont, quant à elles applicables au litige dès lors qu'elles constituent le fondement des poursuites et que l'article 30, qui n'est applicable qu'aux seuls corps constitués et administrations publiques français, a été invoqué par le demandeur au soutien de son argumentation.

6. La question, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

7. La question posée ne présente pas un caractère sérieux, pour les motifs qui suivent.

8. En premier lieu, il ne résulte pas des textes invoqués une différence de traitement entre l'Etat français et les Etats étrangers, qui ne peuvent agir ni l'un ni les autres sur leur fondement.

9. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient le demandeur, l'agent judiciaire de l'Etat ne peut agir en diffamation sur le fondement de l'article 30 de la loi du 29 juillet 1881 au nom d'une administration publique dépourvue de la personnalité morale, seul le ministère public pouvant, dans cette hypothèse, exercer l'action publique.

10. En troisième lieu, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

11. Les dispositions de l'article 30 de la loi du 29 juillet 1881, qui répriment la diffamation publique envers les seuls corps constitués, entités et administrations publiques françaises, ont pour objet d'assurer le respect dû aux institutions ou services qui, en France, ont la charge d'organiser la vie de la Nation et de préserver la paix et l'ordre publics. La spécificité des intérêts protégés par cette disposition et l'exigence d'assurer le caractère nécessaire, adapté et proportionné de l'atteinte portée à la liberté d'expression justifient la mise en oeuvre de règles procédurales dérogatoires, définies à l'article 48, alinéa 1er, de ladite loi, qui, dans le cas d'une diffamation à l'encontre d'une administration publique, subordonne l'action du ministère public soit à la délibération de l'assemblée générale du corps concerné, soit à la plainte de l'administration visée ou du ministre duquel elle relève.

12. De telles considérations ne se retrouvent pas quand est en cause l'atteinte à l'honneur ou la considération d'une administration publique étrangère, la différence de traitement qui en résulte étant en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit, de sorte que le grief pris de l'atteinte au principe d'égalité doit être écarté.

13. En dernier lieu, il n'en résulte aucune atteinte disproportionnée au droit au recours juridictionnel effectif dès lors que, d'une part, les responsables et représentants d'un Etat étranger peuvent demander réparation, sur le fondement des dispositions de l'article 32, alinéa 1er, de la loi précitée, dans les conditions qu'elles fixent et telles qu'elles résultent de leur interprétation jurisprudentielle, du préjudice consécutif à une allégation ou imputation portant atteinte à leur honneur ou leur considération, d'autre part, les administrations publiques étrangères disposent d'une voie de droit devant les juridictions nationales de leur Etat, auquel seul incombe la protection de leur honneur et de leur considération.

14. Ainsi, il est opéré une juste conciliation entre la libre critique de l'action des Etats, de leurs services et administrations, ou de leur politique, nécessaire dans une société démocratique, et la protection de la réputation et de l'honneur de leurs responsables et représentants.

15. Dès lors, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en audience publique du dix-neuf décembre deux mille vingt-trois.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2301604
Date de la décision : 19/12/2023
Sens de l'arrêt : Qpc incidente - non-lieu à renvoi au cc

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 12 avril 2023


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 19 déc. 2023, pourvoi n°C2301604


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal (président)
Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2023:C2301604
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