LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
COUR DE CASSATION
LM
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QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
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Audience publique du 19 décembre 2023
NON-LIEU À RENVOI
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 1301 F-P
Pourvoi n° P 23-16.181
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 DÉCEMBRE 2023
Par mémoire spécial présenté le 21 septembre 2023, la société [3], dont le siège est [Adresse 1], a formulé une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi n° P 23-16.181 qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 22 mars 2023 par la cour d'appel de Bastia (chambre sociale), dans une instance l'opposant à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de la Corse, dont le siège est [Adresse 2].
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Montfort, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société [3], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF de la Corse, et l'avis de Mme Pieri-Gauthier, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 décembre 2023 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Montfort, conseiller référendaire rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, Mme Pieri-Gauthier, avocat général, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 22 mars 2023), à la suite d'un contrôle en matière de travail dissimulé, l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales de la Corse (l'URSSAF) a notifié à la société [3] (la société) une lettre d'observations du 13 mars 2019 comportant un redressement résultant de la réintégration de certaines sommes dans l'assiette des cotisations, par voie forfaitaire, suivie d'une mise en demeure du 4 février 2020.
2. La société a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité
3. À l'occasion du pourvoi qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 22 mars 2023 par la cour d'appel de Bastia, la société a, par mémoire distinct et motivé, déposé au greffe de la Cour le 21 septembre 2023, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :
« L'article L. 242-1-2 du code de la sécurité sociale, selon l'interprétation qui en est donnée par la jurisprudence constante de la Cour de cassation, porte-t-il atteinte aux droits de la défense, au droit à un recours effectif, au droit d'accès au juge et aux exigences d'une procédure juste et équitable, garantis par les articles 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce qu'il exige de l'employeur, pour échapper à l'évaluation forfaitaire des rémunérations versées pour le calcul des cotisations et contributions de sécurité sociale en cas de constatation d'une infraction de travail dissimulé, d'apporter la preuve contraire en termes de durée effective d'emploi et de rémunération versée au moyen d'éléments de preuve fournis au cours des opérations de contrôle ayant donné lieu à la constatation de l'infraction, le privant ainsi de la possibilité d'apporter la preuve contraire postérieurement, en particulier à l'occasion du contentieux porté devant le juge saisi de la validité du redressement afférent ? »
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
4. La disposition contestée est applicable au litige, qui concerne le calcul des cotisations et contributions de sécurité sociale dues par la société sur les rémunérations versées ou dues à des salariés en contrepartie d'un travail dissimulé au sens des articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du code du travail qui,
par dérogation à l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, sont, à défaut de preuve contraire en termes de durée effective d'emploi et de rémunération versée, évaluées forfaitairement à 25 % du plafond annuel défini à l'article L. 241-3 du même code en vigueur au moment du constat du délit de travail dissimulé.
5. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
6. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.
7. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.
8. En effet, la disposition critiquée, telle qu'interprétée par la jurisprudence de la Cour de cassation (2e Civ., 9 novembre 2017, pourvoi n° 16-25.690, publié), en prescrivant à l'employeur d'apporter la preuve contraire en termes de durée effective d'emploi et de rémunération versée, lors des opérations de contrôle pour s'opposer à l'évaluation forfaitaire des rémunérations versées pour le calcul des cotisations et contributions de sécurité sociale, poursuit les objectifs à valeur constitutionnelle tenant à la lutte contre la fraude en matière de protection sociale et à l'équilibre financier de la sécurité sociale, justifiant la restriction au principe de l'égalité des armes en matière de preuve. Dès lors que l'évaluation forfaitaire des rémunérations servant de base au calcul du redressement est décidée à l'issue d'une procédure contradictoire prévue par les dispositions législatives et réglementaires qui garantit au cotisant la faculté d'apporter des éléments de preuve lors des opérations de contrôle, le droit de se faire assister du conseil de son choix et d'émettre des observations sur les chefs de redressement, et que cette évaluation forfaitaire peut être contestée devant le juge qui, saisi d'une demande à cette fin, peut vérifier la régularité de la procédure, se prononcer sur le bien fondé du redressement, suspendre son exécution ou en prononcer l'annulation, il n'en résulte aucune atteinte au droit à un recours effectif ni au droit d'accès au juge et aux exigences d'une procédure juste et équitable, garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.
9. Par ailleurs, la disposition contestée n'instituant pas une sanction ayant le caractère d'une punition, au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 9 de ladite Déclaration n'est, en outre, pas sérieux.
10. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf décembre deux mille vingt-trois.