LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° B 22-82.176 F-B
N° 01453
RB5
6 DÉCEMBRE 2023
CASSATION SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 6 DÉCEMBRE 2023
L'union départementale [1], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 1re section, en date du 16 mars 2022, qui, dans l'information suivie, notamment, contre Mme [B] [X], épouse [P], et M. [D] [P], du chef d'association de malfaiteurs, a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction déclarant irrecevable sa constitution de partie civile.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Laurent, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de l'union départementale [1], les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [B] [X], épouse [P], et de M. [D] [P], et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 8 novembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Laurent, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Mme [B] [X] et M. [D] [P] ont été mis en examen du chef d'association de malfaiteurs en vue du meurtre en bande organisée de M. [M] [F], salarié de la société dirigée par Mme [X].
3. Soutenant que M. [F] avait été visé en qualité de syndicaliste, membre de l'un des syndicats lui étant affilié, dans le but d'empêcher l'implantation de syndicats dans l'entreprise, l'union départementale [1] (la [1]) s'est constituée partie civile à titre incident.
4. Par ordonnance du 6 septembre 2021, le juge d'instruction a déclaré cette constitution de partie civile irrecevable.
5. La [1] a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la [1], alors :
« 1°/ que, d'une part, le délit d'association de malfaiteurs, lorsqu'il a pour objet ou pour effet de faire échec à l'exercice de la liberté syndicale au sein d'une profession, quelle que soit l'infraction précisément projetée par les membres de ce groupement, est susceptible de causer un préjudice direct à l'intérêt collectif de cette profession, rendant recevable le syndicat qui la représente à se constituer partie civile ; qu'en l'espèce, en jugeant que « les faits d'atteinte à l'intégrité physique de [M] [F], objet de l'association de malfaiteurs dont se trouve saisi le magistrat instructeur, à les supposer établis, ne sauraient causer avec un lien de causalité direct, ni indirect, un préjudice quelconque l'Union départementale de la [1] » (arrêt, pp. 10-11), sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'association de malfaiteurs n'avait pas en elle-même causé un préjudice direct à l'intérêt collectif de la profession représentée par ce syndicat dès lors que le groupement en cause avait eu pour objet et pour effet de faire échec à l'exercice de la liberté syndical au sein de cette profession, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 2 et 3 du code pénal, 85 et 87 du code de procédure pénale, L. 2132-3 du code du travail, ensemble l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°/ que, d'autre part, et en tout état de cause, en se déterminant ainsi lorsqu'une telle association de malfaiteurs était susceptible de causer, à tout le moins, un préjudice indirect aux intérêts collectifs de la profession représentée par l'Union départementale de la [1], la chambre de l'instruction a encore méconnu ces textes ;
3°/ qu'en outre, en retenant que M. [F] n'avait pas exercé de mandat syndical et qu'il n'était pas rapportée la preuve de son affiliation à la [1] (arrêt, p. 10), circonstances impropres à écarter l'existence d'un préjudice causé à l'intérêt collectif de cette profession, la chambre de l'instruction, qui s'est prononcée par des motifs inopérants, n'a pas justifié sa décision au regard des articles 2 et 3 du code pénal, 85, 87 et 593 du code de procédure pénale, L. 2132-3 du code du travail, ensemble l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
4°/ qu'enfin, et en tout état de cause, en énonçant que la preuve de l'affiliation de [M] [F] à la [1] n'était pas rapportée (arrêt, p. 10), cependant qu'elle retenait que M. [F] avait lui-même indiqué être syndiqué à la [1] (ibid.), la chambre de l'instruction s'est contredite en violation de l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 87 du code de procédure pénale, L. 2132-3 et L. 2133-3 du code du travail :
7. Il résulte de ces textes que, pour que la constitution de partie civile d'un syndicat ou d'une union de syndicats soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possible l'existence du préjudice allégué, porté à l'intérêt collectif d'une profession représentée, et la relation directe ou indirecte de celui-ci avec une infraction à la loi pénale.
8. Pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction, l'arrêt attaqué énonce que M. [F] n'a jamais exercé de mandat syndical et que la preuve de son affiliation à la [1] n'est pas rapportée.
9. Les juges retiennent que l'atteinte à son intégrité physique, objet de l'association de malfaiteurs dont est saisi le juge d'instruction, ne saurait causer un quelconque préjudice, direct ou indirect, à la [1].
10. Ils ajoutent qu'il n'apparaît pas que l'un des éléments constitutifs du délit d'association de malfaiteurs ait pu porter atteinte à la liberté syndicale ni que cette liberté relève de la valeur sociale protégée par l'infraction objet de cette association de malfaiteurs.
11. En statuant ainsi, après avoir relevé que plusieurs des personnes mises en examen ont affirmé avoir participé à la préparation du meurtre d'un salarié, dont Mme [X] redoutait qu'il n'introduisît un syndicat dans l'entreprise qu'elle dirigeait, la chambre de l'instruction, qui n'a pas tiré les conséquences des circonstances dont elle avait constaté l'existence, susceptibles de compromettre le libre exercice de la liberté syndicale, constitutionnellement garantie, et, par suite, de porter atteinte à l'intérêt collectif de la profession représentée par un syndicat ou une union de syndicats, a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé.
12. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
13. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 16 mars 2022 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DÉCLARE recevable la constitution de partie civile de l'Union départementale de la [1] ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du six décembre deux mille vingt-trois.