LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
HP
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 25 octobre 2023
Rejet
M. SOMMER, président
Arrêt n° 2001 FS-B
Pourvoi n° W 20-22.800
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 25 OCTOBRE 2023
M. [F] [W], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 20-22.800 contre l'arrêt rendu le 14 octobre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 6), dans le litige l'opposant à la société Auxiliaire de contrôle "Auxicontrol", société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Techer, conseiller référendaire, les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [W], de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de la société Auxiliaire de contrôle "Auxicontrol", et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 27 septembre 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Techer, conseiller référendaire rapporteur, Mme Monge conseiller doyen, Mme Cavrois, MM. Sornay, Rouchayrole, Flores, Mme Deltort, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 octobre 2020), M. [W] a été engagé en qualité d'assistant de délégation, emploi ultérieurement intitulé inspecteur régional, à compter du 20 septembre 1999, par la société Auxiga. Le 25 avril 2001, les parties ont conclu une convention de forfait en jours. Le contrat de travail a été transféré à la société Auxiliaire de contrôle à compter du 1er janvier 2009.
2. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 1er août 2017 à l'effet d'obtenir l'annulation de sa convention de forfait en jours et le paiement de diverses sommes au titre de l'exécution de son contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. Le salarié fait grief à l'arrêt de fixer à une certaine somme son salaire moyen mensuel pour l'année 2019, de limiter à une certaine somme celle allouée au titre des heures supplémentaires, congés payés afférents compris, et de confirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes en paiement de rappel de salaire au titre de la contrepartie obligatoire en repos et de dommages-intérêts au titre de l'entrave à la vie privée et d'un manquement à l'obligation de sécurité, alors :
« 1°/ que le temps de trajet pour se rendre d'un lieu de travail à un autre lieu de travail constitue un temps de travail effectif ; que pour limiter le rappel de salaire pour heures supplémentaires et rejeter les demandes subséquentes, après avoir rappelé que le salarié faisait valoir que le volume des heures de travail administratives accomplies à domicile avait une incidence sur la qualification des premiers et derniers trajets en travail effectif, en ce que ce volume conférait à son domicile un usage de bureau, transformant dès lors en trajet d'un lieu de travail vers un autre, le trajet depuis ce lieu ou vers celui-ci, la cour d'appel a retenu que pour autant, le salarié ne caractérisait nullement l'importance effective des tâches administratives accomplies à domicile, en alléguant dans ses dernières écritures qu'elles seraient de dix heures par semaine, alors même qu'il les évaluait à deux heures trente en moyenne dans ses pièces et que cette activité, en sa qualité de travailleur itinérant, ne conférait pas la qualité de lieu de travail à son domicile, quand bien même son usage ponctuel justifiait que l'employeur lui allouait une indemnité mensuelle à ce titre ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ces constatations que les parties étaient convenues que le salarié effectuerait, aux frais de l'employeur, un travail administratif à son domicile, ce dont elle devait déduire que le temps de trajet entre le domicile du salarié, lieu où ce dernier devait exercer une partie de ses fonctions, et les locaux des clients de l'employeur constituait un temps de travail effectif et devait être rémunéré comme tel, la cour d'appel a violé l'article L. 3121-1 du code du travail dans sa rédaction alors applicable ;
2°/ que les juges sont tenus de ne pas dénaturer les conclusions qui les saisissent ; que pour dire que le salarié ne caractérisait nullement l'importance effective des tâches administratives accomplies à domicile, l'arrêt a retenu que le salarié alléguait dans ses dernières écritures que les tâches administratives accomplies à domicile seraient de "dix heures par semaine", alors même qu'il les évaluait à deux heures trente en moyenne dans ses pièces ; qu'en statuant ainsi, alors que dans ses écritures, corroborées par ses pièces, le salarié soutenait que toutes les tâches administratives effectuées au domicile, avant de partir ou en rentrant, représentaient plus de "dix heures de travail par mois", la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis des conclusions du salarié, a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
3°/ que la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ; qu'après avoir relevé que le véhicule de service du salarié disposait d'un dispositif de géolocalisation, que le salarié recevait un planning mensuel, qu'il devait impérativement soumettre à l'accord de son supérieur la réalisation d'heures supplémentaires, tout décalage, anticipation ou annulation d'un contrôle, qu'il recevait également un planning hebdomadaire indiquant les contrôles à effectuer et les dates des contrôles et que si l'employeur soutenait que le salarié jouissait d'une liberté d'organisation de ses journées dès lors qu'il déterminait le choix de son itinéraire, l'ordre et l'heure de ses interventions, cette liberté était en réalité limitée puisque l'employeur pouvait pointer des anomalies, la cour d'appel a retenu que pour autant, ce contrôle quant au respect des plannings, à l'optimisation des temps de trajets et au respect de la note de service relative aux soirées étapes ne suffisaient pas à établir que le salarié se tenait à la disposition de l'employeur durant ses premiers et derniers trajets de la journée, dès lors qu'il prenait l'initiative de son circuit quotidien, les contrôles de l'employeur n'étant que rétrospectifs et se justifiant pleinement dès lors que ce dernier avait mis en place un dispositif d'indemnisation des trajets anormaux ouvrant droit à indemnisation au delà de quarante-cinq minutes, qu'en outre, en tant que travailleur itinérant le salarié restait libre de vaquer à ses obligations personnelles avant son premier rendez-vous et après le dernier et il ne saurait davantage arguer de l'existence de soirées étapes imposées par l'employeur au delà d'une certaine distance, dès lors qu'il pouvait les choisir et que cette prescription n'avait nullement pour objet ni pour conséquence de le maintenir à disposition de l'employeur mais d'éviter de trop longs trajets et qu'enfin, un interrupteur "vie privée" sur le véhicule de service lui permettait de désactiver la géolocalisation ; qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que le salarié devait utiliser, pour faire le trajet entre les locaux des clients de son employeur et son domicile, un véhicule de service doté d'un dispositif de géolocalisation, ce dont elle devait déduire que le temps de trajet pour se rendre aux locaux des clients constituait un temps effectif devant être rémunéré comme tel, la cour d'appel a violé l'article L. 3121-1 du code du travail dans sa rédaction alors applicable, interprété à la lumière de l'article 2 de la directive n° 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003. »
Réponse de la Cour
4. Il résulte des articles L. 3121-1 et L. 3121-4, ce dernier dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, interprétés à la lumière de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, que lorsque les temps de déplacements accomplis par un salarié itinérant entre son domicile et les sites des premier et dernier clients répondent à la définition du temps de travail effectif telle qu'elle est fixée par l'article L. 3121-1 du code du travail, ces temps ne relèvent pas du champ d'application de l'article L. 3121-4 du même code.
5. En premier lieu, après avoir relevé que le nombre des heures supplémentaires que le salarié estimait avoir accomplies résultait de la prise en considération dans son temps de travail effectif des temps de trajet entre le domicile et les sites des premier et dernier clients, la cour d'appel a d'abord constaté que le véhicule de service utilisé par l'intéressé disposait d'un dispositif de géolocalisation, qu'il recevait un planning mensuel, qu'il devait impérativement soumettre à l'accord de son supérieur la réalisation d'heures supplémentaires, tout décalage, anticipation ou annulation d'un contrôle, et qu'il recevait également un planning hebdomadaire indiquant les contrôles à effectuer et les dates de ces derniers.
6. Elle a retenu ensuite que le contrôle quant au respect des plannings, à l'optimisation des temps de trajets et au respect de la note de service relative aux soirées étapes ne suffisait pas à établir que le salarié se tenait à la disposition de l'employeur durant ses premiers et derniers trajets de la journée, dès lors qu'il prenait l'initiative de son circuit quotidien, les contrôles de l'employeur n'étant que rétrospectifs et se justifiant pleinement dès lors que l'employeur avait mis en place un dispositif d'indemnisation des trajets anormaux ouvrant droit à indemnisation au-delà de quarante-cinq minutes.
7. Elle a ajouté qu'en tant que travailleur itinérant, le salarié restait libre de vaquer à des occupations personnelles avant son premier rendez-vous et après le dernier et qu'il ne saurait davantage arguer de l'existence de soirées étapes imposées par l'employeur au-delà d'une certaine distance, dès lors qu'il pouvait les choisir et que cette prescription n'avait nullement pour objet ni pour conséquence de le maintenir à disposition de l'employeur mais d'éviter de trop longs trajets.
8. Elle a en outre relevé qu'un interrupteur « vie privée » sur le véhicule de service lui permettait de désactiver la géolocalisation.
9. En second lieu, ayant souverainement retenu que le salarié ne caractérisait pas l'importance effective des tâches administratives accomplies à domicile, elle a pu en déduire que l'accomplissement de ces tâches ne conférait pas audit domicile la qualité de lieu de travail, quand bien même son usage ponctuel justifiait que l'employeur lui allouât une indemnité mensuelle.
10. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel a déduit à bon droit que les temps de trajet entre le domicile du salarié et les sites des premier et dernier clients ne constituaient pas du temps de travail effectif.
11. Le moyen, qui, pris en sa deuxième branche, est inopérant, n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
12. Le salarié fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande en paiement d'un complément d'indemnité au titre des temps de trajets anormaux, alors « qu'il résulte des articles L. 3121-4, L. 3121-7 et L. 3121-8 du code du travail, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, que le temps de trajet pour se rendre du domicile au lieu de travail n'est pas un temps de travail effectif ; que lorsqu'il excède le temps nécessaire à un travailleur pour se rendre de son domicile à son lieu de travail habituel, il doit faire l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière ; qu'à défaut d'accord collectif, la contrepartie est déterminée par l'employeur après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, s'ils existent ; que pour débouter le salarié de sa demande d'un complément d'indemnité au titre des temps de trajets anormaux, la cour d'appel a retenu que si le salarié était fondé à revendiquer un seuil d'anormalité de ses trajets au delà de trente minutes et, partant, une contrepartie pour quatre cent trente-et-une heures de temps anormal de trajet accomplies entre 2016 et 2019, en revanche il n'était pas fondé à se référer à la compensation fixée par l'employeur dans sa note de service 001-16 du 7 janvier 2016, soit un taux horaire normal, pour évaluer le montant de sa compensation et que le juge ne pouvait, sans violer les dispositions de l'article L. 3121-4 du code du travail, fixer de compensation à un niveau équivalent à une rémunération normale dès lors que "le temps de trajet pour se rendre du domicile au lieu de travail n'est pas un temps de travail effectif" ; qu'en statuant ainsi, après avoir relevé que l'employeur avait décidé le 7 janvier 2016, par voie d'engagement unilatéral, d'appliquer au temps anormal de trajet la rémunération du temps de travail effectif, la cour d'appel a violé les articles susvisés, ensemble l'article 1134 ancien, devenu 1104, du code civil et les règles relatives à la dénonciation des engagements unilatéraux. »
Réponse de la Cour
13. Lorsque le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il appartient au juge, en l'absence d'accord collectif ou d'engagement unilatéral pris conformément aux textes qui le prévoient, de déterminer la contrepartie due au salarié. Il ne peut pour ce faire assimiler le temps de trajet entre le domicile et le lieu de travail à un temps de travail effectif.
14. Après avoir retenu, par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, que l'engagement unilatéral de l'employeur en date du 7 janvier 2016 n'avait pas été pris après consultation des délégués du personnel et qu'il n'était dès lors pas conforme aux prescriptions légales le prévoyant, la cour d'appel a, à bon droit, déterminé la contrepartie due au salarié sans assimiler le taux horaire à celui du temps de travail effectif.
15. Le moyen, qui est inopérant pour la période antérieure au 7 janvier 2016, n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [W] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par
le président en son audience publique du vingt-cinq octobre deux mille vingt-trois.