LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
COUR DE CASSATION
CH9
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QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
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Audience publique du 10 octobre 2023
NON-LIEU A RENVOI
M. SOMMER, président
Arrêt n° 2029 FS-B
Pourvoi n° D 23-17.506
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 10 OCTOBRE 2023
Par mémoire spécial présenté le 18 juillet 2023, le groupement d'intérêt économique Alliance gestion, dont le siège est [Adresse 1], a formulé une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi n° D 23-17.506 formé contre le jugement rendu le 9 juin 2023 par le tribunal judiciaire de Paris (contentieux des élections professionnelles), dans une instance l'opposant :
1°/ à la fédération syndicale FIECI CFE-CGC,
2°/ à la Fédération nationale du personnel de l'encadrement des sociétés de service informatique, des études, du conseil et de l'ingénierie (FIECI),
3°/ au Syndicat national de l'encadrement des professionnels des études et des conseils (SNEPEC),
ayant tous trois leur siège [Adresse 3],
4°/ à Mme [P] [D], domiciliée [Adresse 2].
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lanoue, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat du groupement d'intérêt économique Alliance gestion, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la fédération syndicale FIECI CFE-CGC, de la Fédération nationale du personnel de l'encadrement des sociétés de service informatique, des études, du conseil et de l'ingénierie, du Syndicat national de l'encadrement des professionnels des études et des conseils et de Mme [D], et l'avis de Mme Berriat, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Lanoue, conseiller référendaire rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Ott, Sommé, Bouvier, Bérard, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Ollivier, Arsac, conseillers référendaires, Mme Berriat, premier avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Le 2 février 2023, le GIE Alliance gestion (le GIE) et la fédération syndicale FIECI CFE-CGC ont signé un protocole d'accord préélectoral en vue du renouvellement de la délégation du personnel au comité social et économique, prévoyant notamment que les proportions de femmes et d'hommes étaient respectivement de 70,24% et 29,76% dans le premier collège, trois sièges étant à pourvoir.
2. Par lettre du 22 février 2023, le syndicat FIECI CFE-CGC a adressé au GIE au titre des « candidatures CFE-CGC pour le premier tour des élections du CSE du GIE Alliance gestion » pour le premier collège la candidature unique de Mme [D] en qualité de titulaire et suppléante.
3. Par lettre du 27 février 2023, le GIE a contesté la conformité de cette liste aux dispositions légales sur la représentation équilibrée entre les hommes et les femmes en demandant à l'organisation syndicale de modifier sa liste ou de la retirer. Le syndicat a maintenu sa liste.
4. Par requête du 3 mars 2023, le GIE a saisi le tribunal judiciaire de Paris afin qu'il constate l'irrégularité, au regard des règles relatives à la représentation équilibrée des hommes et des femmes et à l'interdiction de présenter un unique candidat si plusieurs sièges sont à pourvoir, de la liste de candidats présentée par la fédération syndicale FIECI CFE-CGC dans le cadre du premier tour des élections.
5. A l'issue du premier tour du scrutin qui s'est déroulé le 13 mars 2023, le quorum n'a pas été atteint. Mme [D], qui était la seule candidate, a obtenu 100% des suffrages valablement exprimés. Se présentant comme candidate libre, elle a été élue en qualité de titulaire au second tour qui s'est tenu le 28 mars 2023.
6. Le 3 avril 2023, le GIE a de nouveau saisi le tribunal judiciaire aux fins de juger que la liste de candidats présentée par le syndicat FIECI CFE-CGC au premier tour des élections professionnelles organisées au sein du GIE Alliance gestion pour le 1er collège, non-cadres, était irrégulière au regard des règles relatives à la représentation équilibrée des hommes et des femmes et à l'interdiction de présenter un unique candidat si plusieurs sièges sont à pourvoir et demandé en conséquence que ce syndicat soit jugé non représentatif et que les élections professionnelles soient annulées.
7. Statuant sur la première requête déposée le 3 mars 2023 par jugement du 21 avril 2023, le tribunal a débouté le GIE Alliance gestion de l'ensemble de ses demandes, au motif que, statuant après les élections professionnelles qui avaient eu lieu les 13 et 28 mars 2023, la demande d'annulation de la liste de candidats contestée était devenue « sans objet ».
Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité
8. A l'occasion du pourvoi qu'il a formé contre le jugement rendu le 9 juin 2023 par le tribunal judiciaire de Paris statuant sur la requête déposée le 3 avril 2023, le GIE a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :
« Les dispositions de l'alinéa 3 de l'article L. 2314-32 du code du travail, qui ne prévoient comme sanction du non-respect par une liste de candidats des prescriptions prévues à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 2314-30 du même code que la simple annulation de l'élection d'un nombre d'élus du sexe surreprésenté égal au nombre de candidats du sexe surreprésenté en surnombre sur la liste de candidats au regard de la part de femmes et d'hommes que celle-ci devait respecter, portent-elles atteinte, en ce qu'elles ne prévoient pas l'annulation des élections même lorsque l'irrégularité dans le déroulement des élections née de la présentation par une organisation syndicale d'une liste de candidat ne répondant pas aux exigences d'ordre public de l'article L. 2314-30 a été déterminante de la qualité représentative des organisations syndicales dans l'entreprise, au principe résultant de l'article 34 de la Constitution selon lequel l'incompétence négative du législateur ne doit pas affecter un droit ou une liberté que la Constitution garantit, en l'occurrence le droit des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail et le principe d'égalité tels que garantis par les alinéas 6 et 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et les articles 1, 5 et 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ? »
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
9. La disposition contestée est applicable au litige, qui concerne la sanction du dépôt par une organisation syndicale d'une liste de candidats aux élections des membres de la délégation du personnel au comité social et économique ne comportant pas un nombre de candidats correspondant à la part de femmes et d'hommes inscrits sur la liste électorale.
10. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
11. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.
12. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux. En effet, en premier lieu, le législateur n'a pas porté atteinte au principe d'égalité devant la loi, la sanction étant appliquée de la même manière à tous les syndicats placés dans la même situation.
13. En second lieu, le législateur, exerçant pleinement la compétence que lui attribue la Constitution, a opéré une conciliation équilibrée entre les exigences de l'alinéa 3 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et celles des alinéas 6 et 8 de ce préambule en choisissant, en cas d'irrégularité de la liste de candidats aux élections des membres de la délégation du personnel au comité social et économique, lorsque le tribunal statue après l'élection, la seule sanction de l'annulation de l'élection d'un nombre d'élus du sexe surreprésenté égal au nombre de candidats du sexe surreprésenté en surnombre sur la liste de candidats au regard de la part de femmes et d'hommes que celle-ci devait respecter, sans remettre en cause la qualité représentative des organisations syndicales leur permettant d'accéder à la négociation collective, notamment des conditions de travail des salariés de l'entreprise.
14. D'ailleurs, dans sa décision n° 2018-720/721/722/723/724/725/726 QPC du 13 juillet 2018, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les mots « ou lorsqu'ils sont la conséquence de l'annulation de l'élection de délégués du personnel prononcée par le juge en application des deux derniers alinéas de l'article L. 2314-25 » figurant au second alinéa de l'article L. 2314-7 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, ainsi que les mots « ou s'ils sont la conséquence de l'annulation de l'élection de membres du comité d'entreprise prononcée par le juge en application des deux derniers alinéas de l'article L. 2324-23 » figurant au premier alinéa de l'article L. 2324-10 du même code, dans cette même rédaction.
15. Il résulte des motifs de cette décision que les dispositions contestées pouvaient aboutir à ce que plusieurs sièges demeurent vacants dans ces institutions représentatives du personnel, pour une période pouvant durer plusieurs années, y compris dans les cas où un collège électoral n'y est plus représenté et où le nombre des élus titulaires a été réduit de moitié ou plus et que ces dispositions pouvaient ainsi conduire à ce que le fonctionnement normal de ces institutions soit affecté dans des conditions remettant en cause le principe de participation des travailleurs. Le Conseil constitutionnel en a tiré la conséquence que, même si les dispositions contestées visaient à garantir, parmi les membres élus, une représentation équilibrée des femmes et des hommes, l'atteinte portée par le législateur au principe de participation des travailleurs était manifestement disproportionnée (§§ 12 et 13).
16. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix octobre deux mille vingt-trois.