LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
IT2
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 octobre 2023
Cassation
Mme MARTINEL, présidente
Arrêt n° 978 F-D
Pourvoi n° N 21-16.494
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 OCTOBRE 2023
La société Naarii, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 21-16.494 contre le jugement rendu le 5 juin 2019 par le tribunal de première instance de Papeete (2e chambre), dans le litige l'opposant à la société Banque Socredo, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Naarii, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Banque Socredo, après débats en l'audience publique du 4 juillet 2023 où étaient présents Mme Martinel, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal de première instance de Papeete, 5 juin 2019) et les productions, sur des poursuites de saisies immobilières engagées par la société Banque Socredo (la banque), en vertu d'un acte notarié comportant quatre prêts, à l'encontre de la société Naarii (la société), cette dernière a déposé des conclusions tendant, d'une part, à l'annulation du commandement aux fins de saisie immobilière, d'autre part, à la condamnation de la banque, pour manquement à son devoir de mise en garde, au paiement de dommages-intérêts et à la compensation avec les sommes qui lui sont dues.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
2. La société fait grief au jugement de la débouter de l'ensemble de ses prétentions et moyens, alors « que seul un créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut procéder à une saisie immobilière ; que l'acte notarié, qui constate l'existence d'une créance, sans permettre d'en déterminer son exigibilité et son montant, ne peut fonder une procédure de saisie immobilière ; qu'en l'espèce, la Sci Naarii faisait valoir que le montant exact de la créance ne figurait pas dans le titre notarié lequel ne permettait pas de connaître le montant exact et certain de la créance en l'absence de décompte précis, indiquant pour chacun des prêts le détail des échéances impayées, leur montant en capital et intérêts, le montant du capital déchu du terme et autres accessoires ; qu'en se bornant à relever que le commandement portait mention du montant de la dette, sans rechercher si le décompte permettait à la Sci Naarii de déterminer précisément la dette pour chacun des prêts, le tribunal a privé sa décision de base légale au regard de l'article 848 du code de procédure civile de la Polynésie française, ensemble l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
3. Selon l'article 848 du code de procédure civile de la Polynésie française, le commandement aux fins de saisie immobilière comprend la mention du titre exécutoire et le montant de la dette dont le paiement est réclamé. Ce titre doit être signifié au plus tard en même temps que le commandement s'il ne l'a déjà été. S'il s'agit d'une obligation notariée, elle n'a pas à être signifiée.
4. Il résulte de ces dispositions que lorsque la saisie est pratiquée sur le fondement d'un titre notarié, le commandement doit mentionner le montant de la dette dont le paiement est réclamé, sans qu'il y ait lieu de ventiler ce montant en principal, frais et intérêts échus.
5. Le commandement de payer aux fins de saisie immobilière mentionnant, pour chacun des quatre prêts, le montant total de la dette, arrêté au 6 septembre 2017, ainsi que l'indication du taux des intérêts moratoires applicable, à compter du 7 septembre 2017, jusqu'à parfait paiement, le tribunal, qui n'était pas tenu de procéder à la recherche inopérante visée par le moyen, a légalement justifié sa décision.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La société fait grief au jugement de la débouter de l'ensemble de ses prétentions et moyens, alors « que le tribunal civil de première instance connaît de toutes les affaires pour lesquelles compétence n'est pas attribuée, en raison de la nature de la demande, à une autre juridiction ; qu'il n'existe pas de juge de l'exécution en Polynésie française ; qu'en retenant, pour se déclarer incompétent, qu'il ne pouvait connaître d'une demande tendant à faire juger de la responsabilité de la banque dans l'octroi d'un prêt qui a permis à la Sci l'acquéreuse de trouver les fonds nécessaires à ses besoins, le tribunal a violé l'article L.552-4 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 552-4 du code de l'organisation judiciaire et 937 du code de procédure civile de la Polynésie française :
7. Aux termes du premier de ce texte, le tribunal de première instance connaît de toutes les affaires pour lesquelles compétence n'est pas attribuée, en raison de la nature de la demande, à une autre juridiction. Aux termes du second, le tribunal de première instance de Papeete est, concurremment avec les juridictions normalement compétentes, compétent pour connaître des procédures de saisies immobilières concernant des immeubles situés sur tout le territoire.
8. Pour débouter la société de l'ensemble de ses prétentions et moyens, le tribunal retient qu'il est compétent pour statuer sur la régularité de la procédure de saisie et notamment sur l'incapacité de l'une des parties, la propriété de l'immeuble saisi, son insaisissabilité ou son inaliénabilité mais nullement pour juger de la responsabilité de la banque dans l'octroi d'un prêt qui a permis à l'acquéreur de trouver les fonds nécessaires à ses besoins.
9. En statuant ainsi, le tribunal a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 5 juin 2019, entre les parties, par le tribunal de première instance de Papeete ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal de première instance de Papeete autrement composé ;
Condamne la société Banque Socredo aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Banque Socredo et la condamne à payer à la société Naarii la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq octobre deux mille vingt-trois.