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04/10/2023 | FRANCE | N°22-16586

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 04 octobre 2023, 22-16586


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CH9

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 4 octobre 2023

Cassation partielle

M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 991 F-D

Pourvoi n° G 22-16.586

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 OCTOBRE 2023

M. [R] [V], domicilié [Adresse 2]

, a formé le pourvoi n° G 22-16.586 contre l'arrêt rendu le 23 février 2022 par la cour d'appel de Reims (chambre sociale), dans le litige l'opp...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CH9

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 4 octobre 2023

Cassation partielle

M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 991 F-D

Pourvoi n° G 22-16.586

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 OCTOBRE 2023

M. [R] [V], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° G 22-16.586 contre l'arrêt rendu le 23 février 2022 par la cour d'appel de Reims (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société UPL France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Lanoue, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de M. [V], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société UPL France, après débats en l'audience publique du 6 septembre 2023 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lanoue, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 23 février 2022), M. [V] a été engagé en qualité de délégué régional de la région Midi-Pyrénées à compter du 15 juillet 1996 par la société ELF Atochem, devenue Cerexagri puis UPL France. En dernier lieu, il occupait les fonctions d'ingénieur commercial et marketing et était rémunéré sur la base d'une convention de forfait-jours.

2. Par requête du 11 janvier 2019, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes, tendant notamment à la résiliation de son contrat de travail aux torts de l'employeur, avec les effets d'un licenciement nul comme fondé sur des faits de harcèlement moral et à ce que soit prononcée la nullité de la convention de forfait-jours, avec condamnation de l'employeur au paiement d'une certaine somme à titre de rappel d'heures supplémentaires.

3. Le salarié a été licencié pour inaptitude le 12 mai 2020.

4. Dans le dernier état de ses écritures devant la cour d'appel, il a notamment sollicité à titre subsidiaire que son licenciement soit déclaré nul au motif que son inaptitude résulterait des faits de harcèlement moral.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche et le troisième moyen

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail et, en conséquence, de le débouter de ses demandes indemnitaires subséquentes, alors que « la cassation qui sera prononcée sur le premier moyen de cassation entraînera, par voie de conséquence et en application de l' article 624 du code de procédure civile, la censure de l' arrêt en ce qu il dit qu 'il n'y a pas lieu de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail et déboute M. [V] de ses demandes indemnitaires subséquentes. »

Réponse de la Cour

7. Les chefs de dispositif de l'arrêt critiqués par le deuxième moyen relatifs au rejet de la demande de résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur pour harcèlement moral et aux demandes subséquentes ne se rattachent pas par un lien de dépendance nécessaire avec le chef de dispositif visé par le premier moyen relatif au rejet de la demande en paiement d'une somme à titre de solde d'heures supplémentaires dès lors que le non-paiement des heures supplémentaires n'est pas au nombre des faits invoqués à l'appui du harcèlement moral.

8. Le moyen est, dès lors, inopérant.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

9. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'une certaine somme à titre de rappel d'heures supplémentaires, alors « qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d' heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; qu'en l'espèce, la cour d appel a constaté que M. [V] versait aux débats, d'une part, des mails pour la période courant du 2 avril 2016 au 31 mars 2018 envoyés tôt le matin avant 8h et le soir après 19h , le vendredi dans la nuit et le samedi matin", d' autre part, un tableau excel récapitulant, sur la même période, le nombre d'heures supplémentaires effectuées par semaine" que, pour débouter M. [V] de sa demande de rappel d' heures supplémentaires , la cour d appel a retenu qu'il ne produit pas de décomptes des horaires réalisés jour par jour avec la précision de l'heure d'arrivée et celle de départ", que les suppléments allégués proviennent uniquement d'un calcul d'amplitude horaire entre l'heure de rédaction du premier et du dernier courriel du jour", qu' à défaut d'élément complémentaire, les périodes interstitielles entre deux envois ne sauraient être considérées nécessairement comme du temps de travail" et que l'activité professionnelle de M. [V] n'est manifestée que par une réponse ou un envoi de message électronique à une heure précise, sans que l'on puisse savoir s'il était sur son lieu de travail ou apportait une réponse brève par une messagerie électronique avant de vaquer à des occupations personnelles ni si son arrivée au travail n'a pas été elle même décalée ou si son temps de pause n'a pas été compensé", étant encore relevé que la lecture des e-mails ne conduit pas non plus à imputer à l'employeur la responsabilité de ce dépassement horaire puisqu'aucun mail transmis ne justifie une réponse urgente" qu'estimant, que la base a minima de 15 heures supplémentaires par semaine invoquée par M. [V] ne serait davantage être retenue" et qu' en l'absence éléments complémentaires, le calcul apparaît forfaitaire et au surplus inexact, puisque l'examen attentif du tableau proposé révèle que le salarié effectuait, certaines semaines, un nombre d'heures supplémentaires inférieur à ce minimum" la cour d' appel en a déduit que ces éléments n'apparaissent donc pas suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre utilement en fournissant ses propres éléments" qu' en statuant ainsi, quand il résultait de ses constatations que M. [V] fournissait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre la cour d'appel a fait peser la charge de la preuve sur le salarié en violation de l article L. 3171-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :

10. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er , du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, l'employeur tient à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

11. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

12. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

13. Pour débouter le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, l'arrêt retient que le salarié produit des courriels pour la période courant du 2 avril 2016 au 31 mars 2018 envoyés tôt le matin avant 8h et le soir après 19h, le vendredi dans la nuit et le samedi matin, qu'il présente également un tableau excel récapitulant, sur la même période, le nombre d'heures supplémentaires effectuées par semaine, sans précision des horaires journaliers qui auraient été effectués, qu'en revanche, il ne produit pas de décomptes des horaires réalisés jour par jour avec la précision de l'heure d'arrivée et de celle de départ, qu'il explique que son calcul d'heures supplémentaires est effectué sur la base d'un temps de travail effectif calculé entre 8h et 19h avec prise en compte d'une pause déjeuner d'une heure soit a minima 15 heures supplémentaires par semaine tout en indiquant dans le même temps que le tableau est rempli sur la base des heures d'envoi des courriels professionnels, qu'il résulte de ces explications et de la lecture attentive du tableau que les suppléments allégués proviennent uniquement d'un calcul d'amplitude horaire entre l'heure de rédaction du premier et du dernier courriel du jour.

14. Il ajoute qu'à défaut d'élément complémentaire, les périodes intersticielles entre deux envois ne sauraient être considérées nécessairement comme du temps de travail, qu'en effet, l'activité professionnelle du salarié n'est manifestée que par une réponse ou un envoi de message électronique à une heure précise, sans que l'on puisse savoir s'il était sur son lieu de travail ou apportait une réponse brève par une messagerie électronique avant de vaquer à des occupations personnelles ni si son arrivée au travail n'a pas été elle-même décalée ou si son temps de pause n'a pas été compensé, que la lecture des courriels ne conduit pas non plus à imputer à l'employeur la responsabilité de ce dépassement horaire puisqu'aucun courriel transmis ne justifie une réponse urgente.

15. Il retient enfin que la base a minima de 15 heures supplémentaires par semaine invoquée par le salarié ne saurait davantage être retenue, qu'en effet, en l'absence éléments complémentaires, le calcul apparaît forfaitaire et au surplus inexact, puisque l'examen attentif du tableau proposé révèle que le salarié effectuait, certaines semaines, un nombre d'heures supplémentaires inférieur à ce minimum et que les éléments produits n'apparaissent donc pas suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre utilement en fournissant ses propres éléments.

16. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, d'autre part que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [V] de sa demande en paiement de la somme de 58 306,17 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires, l'arrêt rendu le 23 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;

Condamne la société UPL France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société UPL France et la condamne à payer à M. [V] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre octobre deux mille vingt-trois.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22-16586
Date de la décision : 04/10/2023
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Reims, 23 février 2022


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 04 oct. 2023, pourvoi n°22-16586


Composition du Tribunal
Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SARL Cabinet François Pinet, SCP Célice, Texidor, Périer

Origine de la décision
Date de l'import : 10/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2023:22.16586
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