LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 27 septembre 2023
Cassation partielle
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 935 F-D
Pourvois n°
X 22-13.057
Y 22-13.058
Z 22-13.059
A 22-13.060
B 22-13.061
C 22-13.062
D 22-13.063
E 22-13.064
F 22-13.065
H 22-13.066
G 22-13.067
J 22-13.068
K 22-13.069
M 22-13.070
N 22-13.071
P 22-13.072
Q 22-13.073
R 22-13.074
S 22-13.075
T 22-13.076
U 22-13.077
V 22-13.078
W 22-13.079
X 22-13.080
Y 22-13.081 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 27 SEPTEMBRE 2023
1°/ Mme [Z] [T], domiciliée [Adresse 14],
2°/ M. [OZ] [C], domicilié [Adresse 3],
3°/ M. [S] [X], domicilié [Adresse 22],
4°/ M. [MT] [A], domicilié [Adresse 5],
5°/ M. [L] [V], domicilié [Adresse 2],
6°/ M. [E] [Y], domicilié [Adresse 24],
7°/ Mme [W] [B], épouse [AK], domiciliée [Adresse 7],
8°/ M. [R] [U], domicilié [Adresse 15],
9°/ M. [P] [O], domicilié [Adresse 8],
10°/ M. [J] [F], domicilié [Adresse 4],
11°/ M. [K] [N], domicilié [Adresse 16],
12°/ M. [UK] [SE], domicilié [Adresse 23],
13°/ M. [YV] [MU], domicilié [Adresse 21],
14°/ M. [BD] [GC], domicilié [Adresse 25],
15°/ M. [D] [UJ], domicilié [Adresse 11],
16°/ M. [UI] [YW], domicilié [Adresse 12],
17°/ Mme [WP] [BS], domiciliée [Adresse 18],
18°/ M. [KO] [CV], domicilié [Adresse 1],
19°/ M. [BR] [IH], domicilié [Adresse 17],
20°/ M. [MT] [GD], domicilié [Adresse 10],
21°/ M. [AP] [OY], domicilié [Adresse 19],
22°/ Mme [M] [PA], épouse [DX], domiciliée [Adresse 13],
23°/ Mme [KN] [WO], domiciliée [Adresse 6],
24°/ M. [II] [I], domicilié [Adresse 20],
25°/ M. [G] [H], domicilié [Adresse 9],
ont formé respectivement les pourvois n° X 22-13.057, Y 22-13.058, Z 22-13.059, A 22-13.060, B 22-13.061, C 22-13.062, D 22-13.063, E 22-13.064, F 22-13.065, H 22-13.066, G 22-13.067, J 22-13.068, K 22-13.069, M 22-13.070, N 22-13.071, P 22-13.072, Q 22-13.073, R 22-13.074, S 22-13.075, T 22-13.076, U 22-13.077, V 22-13.078, W 22-13.079, X 22-13.080 et Y 22-13.081 contre vingt-cinq jugements rendus le 18 novembre 2021 par le conseil de prud'hommes de Longjumeau (section encadrement), dans les litiges les opposant à la société Alcatel-Lucent international, dont le siège est [Adresse 26], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs aux pourvois invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen commun de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lecaplain-Morel, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [T] et des vingt-quatre autres salariés, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Alcatel-Lucent international, après débats en l'audience publique du 5 juillet 2023 où étaient présentes Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lecaplain-Morel, conseiller rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité les pourvois n° X 22-13.057, Y 22-13.058, Z 22-13.059, A 22-13.060, B 22-13.061, C 22-13.062, D 22-13.063, E 22-13.064, F 22-13.065, H 22-13.066, G 22-13.067, J 22-13.068, K 22-13.069, M 22-13.070, N 22-13.071, P 22-13.072, Q 22-13.073, R 22-13.074, S 22-13.075, T 22-13.076, U 22-13.077, V 22-13.078, W 22-13.079, X 22-13.080 et Y 22-13.081 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les jugements attaqués (conseil de prud'hommes de Longjumeau, 18 novembre 2021), rendus en dernier ressort à l'égard de certains salariés, le 19 mars 2020, Mme [T] et vingt-quatre autres salariés ou anciens salariés de la société Alcatel-Lucent international ont saisi la juridiction prud'homale de demandes en paiement de soldes de bonus afférents aux années comprises entre 2016 et 2020 et, pour certains, de demandes en paiement de soldes d'indemnité compensatrice de préavis, de soldes d'indemnité de licenciement et de soldes d'allocations de congé de reclassement.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
3. Les salariés font grief aux jugements de les débouter de l'ensemble de leurs demandes, alors « que lorsqu'elle est payée en vertu d'un engagement unilatéral, une prime constitue un élément de salaire et est obligatoire pour l'employeur dans les conditions fixées par cet engagement ; que seule une clause précise définissant objectivement l'étendue et les limites de l'obligation souscrite peut constituer une condition d'application d'un tel engagement ; qu'il en résulte que le salarié doit pouvoir vérifier que le calcul de sa rémunération a été effectué conformément aux modalités prévues ; qu'en l'espèce, les salariés soutenaient qu'ils étaient dans l'incapacité de vérifier le calcul de [leur] rémunération variable dès lors [qu'ils n'avaient] pas eu connaissance des objectifs et des modalités de fixation du BRM" ; que pour les débouter de l'ensemble de leurs demandes, le conseil de prud'hommes a affirmé que la société Alcatel Lucent International avait porté à leur connaissance les données qui leur permettaient de vérifier les calculs de leur rémunération variable, qu'elle avait fait valider par un commissaire aux comptes la fixation et l'atteinte des éléments pris en compte par le board dans le calcul du BRM, et que le BRM était une donnée discrétionnaire qu'il convenait de garder confidentielle compte tenu du secteur d'activité concurrentiel ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'il y était invité par les salariés si la simple information de ces derniers, en fin d'exercice de la valeur du BRM, sans aucune explication ni aucun moyen pour eux de déterminer les données ayant permis de calculer le BRM, ne les plaçait pas dans l'incapacité de vérifier le calcul de [leur] rémunération variable", le conseil de prud'hommes a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 1221-1 et L. 1222-1 du code du travail, et 1134, devenu 1103 et 1104, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
4. Lorsqu'elle est payée en vertu d'un engagement unilatéral, une prime constitue un élément de salaire et est obligatoire pour l'employeur dans les conditions fixées par cet engagement. Seule une clause précise définissant objectivement l'étendue et les limites de l'obligation souscrite peut constituer une condition d'application d'un tel engagement. Il en résulte que le salarié doit pouvoir vérifier que le calcul de sa rémunération a été effectué conformément aux modalités prévues.
5. Pour débouter les salariés de leurs demandes en paiement de soldes de bonus, les jugements constatent que les intéressés perçoivent, en plus de leur salaire fixe, un bonus annuel variable qui est fonction d'objectifs. Ils relèvent que, début 2016, le mécanisme concernant la rémunération variable a changé à l'échelle mondiale au sein des groupes Alcatel Lucent et Nokia qui venaient de se rapprocher et qu'en mars 2016, le comité d'entreprise de la société Nokia a été informé de la modification du système de rémunération variable.
6. Les jugements retiennent que l'employeur a, d'une part, porté à la connaissance des salariés des données qui leur permettent de vérifier les calculs de leur rémunération variable, d'autre part, fait valider par un commissaire aux comptes la fixation et l'atteinte des éléments pris en compte par le ‘‘board'' dans le calcul du BRM (business result multiplier), que le BRM est une donnée discrétionnaire qu'il convient de garder confidentielle compte tenu du secteur d'activité concurrentiel qui a des objectifs mondiaux et que l'employeur a donc respecté ses devoirs en matière de gestion du système de rémunération variable pour l'année 2016.
7. En statuant ainsi, alors qu'il avait constaté que l'un des éléments composant la partie variable de la rémunération, le BRM, était fondé sur des données confidentielles, non portées à la connaissance des salariés en début d'exercice, le conseil de prud'hommes a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'ils déboutent la société Alcatel-Lucent international de ses demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile, les jugements rendus le 18 novembre 2021, entre les parties, par le conseil de prud'hommes de Longjumeau ;
Remet, sauf sur ce point, les affaires et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces jugements et les renvoie devant le conseil de prud'hommes d'Evry ;
Condamne la société Alcatel-Lucent international aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Alcatel-Lucent international et la condamne à payer à Mmes [T], [B] épouse [AK], [BS], [PA] épouse [DX], [WO] et à MM. [C], [X], [A], [V], [Y], [U], [O], [F], [N], [SE], [MU], [GC], [UJ], [YW], [CV], [IH], [GD], [OY], [I] et [H], la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des jugements partiellement cassés ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept septembre deux mille vingt-trois.