LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
SG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 21 septembre 2023
Cassation
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 631 FS-D
Pourvoi n° H 22-12.031
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 SEPTEMBRE 2023
La société [Adresse 3] immobilier, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° H 22-12.031 contre les arrêts rendus les 14 avril 2021 et 3 novembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 3), dans le litige l'opposant à la société Habitat social français, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Aldigé, conseiller référendaire, les observations de Me Balat, avocat de la société [Adresse 3] immobilier, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Habitat social français, et l'avis de M. Sturlèse, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 juillet 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Aldigé, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, MM. David, Jobert, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, conseillers, M. Jariel, Mme Schmitt, M. Baraké, Mmes Gallet, Davoine, M. Pons, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon les arrêts attaqués (Paris, 14 avril 2021 et 3 novembre 2021), la société [Adresse 3] immobilier (la locataire) est cessionnaire depuis le 2 juin 1988 d'un bail commercial consenti par la Ville de [Localité 4] (la bailleresse) le 2 janvier 1985.
2. Le 19 mars 1990, la bailleresse a consenti à la société Habitat social français (l'emphytéote) un bail emphytéotique de cinquante-cinq années à compter du 1er mars 1988, portant sur plusieurs immeubles, dont celui dans lequel sont situés les locaux commerciaux loués.
3. Le 11 mars 2014, l'emphytéote a délivré à la locataire un congé avec offre de renouvellement du bail moyennant un loyer déplafonné, avant de l'assigner, le 13 mai 2015, en fixation du prix du bail renouvelé.
4. Le 15 janvier 2020, la locataire a formé opposition à un arrêt rendu par défaut le 2 octobre 2019.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. La locataire fait grief à l'arrêt du 14 avril 2021 de dire que l'emphytéote a intérêt à agir et que sa demande en fixation du loyer du bail renouvelé est recevable, alors « que les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; qu'en retenant, à l'appui de sa décision, que le contrat de bail emphytéotique conclu entre la Ville de [Localité 4] et la société Habitat social français confère à cette dernière la qualité de bailleur à l'égard de la société [Adresse 3] immobilier, dans le cadre du contrat de bail commercial conclu par celle-ci avec la Ville de [Localité 4], cependant que la société [Adresse 3] immobilier, qui n'est pas partie au contrat de bail emphytéotique conclu entre la Ville de [Localité 4] et la société Habitat social français, ne peut se voir opposer les termes de ce contrat, et notamment ceux conférant à la société Habitat social français la qualité de bailleur à son égard, la cour d'appel a méconnu le principe de la relativité des contrats, expressément invoqué par la société [Adresse 3] immobilier dans ses écritures d'appel et a violé l'article 1165, devenu 1199, du code civil. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
6. L'emphytéote conteste la recevabilité du moyen comme étant nouveau et mélangé de fait.
7. Cependant, la locataire soutenait dans ses conclusions d'appel que le bail emphytéotique ne lui était pas opposable et que l'emphytéote n'avait pas la qualité de bailleur.
8. Le moyen, qui n'est pas nouveau, est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 1165 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
9. Selon ce texte, les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes et ne nuisent point aux tiers.
10. Pour déclarer recevable l'action en fixation du prix du bail renouvelé intentée par l'emphytéote, l'arrêt retient que les parties au bail emphytéotique sont convenues dans l'acte du 19 mars 1990 que l'emphytéote fasse son affaire personnelle de la situation locative des biens et gère directement l'immeuble dans lequel se trouvent les locaux précédemment donnés à bail commercial, en sorte qu'il a la qualité de bailleur à l'égard de la locataire.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
12. En application de l'article 625, alinéa 2, du code de procédure civile, la cassation de l'arrêt du 14 avril 2021 en ce qu'il dit que l'emphytéote a intérêt à agir et déclare recevable sa demande en fixation du loyer du bail renouvelé entraîne, par voie de conséquence, celle de l'arrêt du 3 novembre 2021, qui en est la suite.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que l'emphytéote a intérêt à agir et qu'il déclare recevable sa demande en fixation du loyer du bail renouvelé, l'arrêt rendu le 14 avril 2021 et, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Habitat social français aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Habitat social français et la condamne à payer à la société [Adresse 3] immobilier la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé du 14 avril 2021 et de l'arrêt cassé du 3 novembre 2021 ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-trois.