LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
VB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 septembre 2023
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 616 F-D
Pourvoi n° E 22-18.239
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 SEPTEMBRE 2023
L' établissement public Grand Paris aménagement, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° E 22-18.239 contre l'arrêt rendu le 14 avril 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 7), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [B] [W],
2°/ à Mme [G] [R], épouse [W],
domiciliés tous deux [Adresse 3],
3°/ à la direction départementale des finances publiques, service du Domaine, domiciliée [Adresse 2], défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Djikpa, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de l' établissement public Grand Paris aménagement, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de M. et Mme [W], après débats en l'audience publique du 27 juin 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Djikpa, conseiller référendaire rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. L'arrêt attaqué (Paris, 14 avril 2022) fixe les indemnités revenant à M. et Mme [W] (les expropriés) à la suite de l'expropriation, au profit de l'établissement public Grand Paris aménagement (l'expropriant), de plusieurs parcelles leur appartenant.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches, le deuxième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, le troisième moyen, pris en sa troisième branche, et le quatrième moyen
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
3. L'expropriant fait grief à l'arrêt de déclarer recevables les conclusions des parties, sauf à déclarer irrecevables ses conclusions du 2 février 2022, alors « qu'en considérant que les conclusions déposées hors délai par les époux [W] étaient recevables, comme étant « de pure réplique », cependant que par ces conclusions, ils versaient aux débats de nouvelles pièces à l'appui de leur demande d'indemnité pour dépréciation du surplus, la cour d'appel a violé l'article R 311-26 du code de l'expropriation. »
Réponse de la Cour
4. La cour d'appel a relevé que les conclusions litigieuses, au soutien desquelles venaient les pièces en cause, avaient été déposées par les expropriés le 20 janvier 2022, en réplique aux conclusions du commissaire du gouvernement, appelant incident, qui leur avaient été notifiées le 21 octobre 2021.
5. Ces conclusions et pièces ayant été déposées dans le délai de trois mois à compter de la notification de l'appel incident auxquelles elles répondaient, la cour d'appel a jugé, à bon droit, qu'elles étaient recevables.
Sur le deuxième moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
6. L'expropriant fait grief à l'arrêt d'infirmer partiellement le jugement et de fixer comme il le fait l'indemnité de dépossession, alors :
« 1°/ que si, en principe, l'indemnité de dépossession doit être évaluée selon la législation en vigueur au jour de l'ordonnance portant transfert de propriété, l'article L 322-2 alinéa 2 in fine du code de l'expropriation, dans sa rédaction résultant de l'article 9 de la loi, dite Elan, n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, est d'application immédiate ; qu'en relevant, par motifs réputés adoptés du jugement entrepris, qu'« à la date de l'ordonnance d'expropriation emportant transfert de propriété, les dispositions de la loi ELAN n'étaient pas applicables, qu'à cette date étaient seules applicables les dispositions des articles L 213-4 a et L 213-6 du code de l'urbanisme » et que « les dispositions dérogatoires du code de l'urbanisme priment sur l'application du principe général de détermination de la date de référence de l'article L 322-2 du code de l'expropriation, en ce compris ses dérogations issues de la loi dite ELAN pour les biens situés en ZAC qui sont postérieures à la date de l'ordonnance d'expropriation portant transfert de propriété », la cour d'appel a violé le texte précité, par refus d'application ;
2°/ que lorsque les biens expropriés sont situés, à la date du jugement entrepris, à la fois dans une zone d'aménagement concerté et dans une zone soumise au droit de préemption urbain, doivent être appliquées les dispositions spécifiquement prévues par l'article L 322-2 alinéa 2 in fine du code de l'expropriation, dans sa rédaction résultant de la loi, dite Elan, n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, selon lesquelles lorsque le bien est situé à l'intérieur du périmètre d'une zone d'aménagement concerté la date de référence est fixée à la date de publication de l'acte créant la zone si elle est antérieure d'au moins un an à la date d'ouverture de l'enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique ; qu'en considérant que, dans cette hypothèse, il convenait de faire prévaloir les articles L 213-6 et L 213-4 a) du code de l'urbanisme et de fixer la date de référence à celle à laquelle était devenue exécutoire la dernière révision du plan local d'urbanisme délimitant la zone dans laquelle le bien exproprié était situé, la cour d'appel a violé l'article L 322-2 alinéa 2 in fine du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, dans sa rédaction résultant de la loi, dite Elan, n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, par refus d'application, et les articles L 213-6 et L 213-4 a) du code de l'urbanisme, par fausse application. »
Réponse de la Cour
7. L'indemnité de dépossession devant être évaluée selon la législation en vigueur au jour de l'ordonnance portant transfert de propriété, les dispositions de l'article L. 322-2, alinéa 2 in fine, du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, issues de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, n'étaient pas applicables à l'évaluation des parcelles litigieuses, expropriées par ordonnance du 27 novembre 2017.
8. Par dérogation à l'article L. 322-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, lorsque le bien exproprié est soumis au droit de préemption urbain, il résulte de la combinaison des articles L. 213-4, a), et L. 213-6 du code de l'urbanisme que la date de référence prévue à l'article L. 322-2 précité est, pour les biens non compris dans une zone d'aménagement différé, la date à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, révisant ou modifiant le plan local d'urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien.
9. La cour d'appel, qui a constaté que les parcelles expropriées étaient soumises au droit de préemption urbain depuis le 29 septembre 2017, en a exactement déduit que la date de référence était celle définie par les articles du code de l'urbanisme.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
11. L'expropriant fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que c'est à l'exproprié qui revendique la qualification de terrain à bâtir qu'il incombe de l'établir et, à cet effet, en premier lieu, d'établir le caractère constructible de la zone dans laquelle est situé le bien exproprié ; que le Premier juge avait retenu qu'à la date de référence, les parcelles expropriées étaient classées dans une zone, AU 2, destinée à être urbanisée, qu'elles étaient destinées à recevoir une urbanisation uniquement dans le cadre d'un aménagement d'ensemble, supposant la réalisation de réseaux, et qu'elles ne pouvaient donc pas être considérées comme étant situées dans une zone constructible, de sorte que la qualification de terrain à bâtir ne pouvait qu'être écartée ; qu'en se bornant à énoncer que « rien n'indique? que sa constructibilité est conditionnée à un plan d'aménagement d'ensemble », la cour d'appel, qui ne pouvait retenir la qualification de terrain à bâtir, supposant que la zone soit constructible, sans se prononcer sur le point de savoir si sa constructibilité était subordonnée à la réalisation d'une opération d'aménagement d'ensemble, a violé l'article L 322-3 du code de l'expropriation, ensemble l'article 1353 du code civil ;
2°/ qu'en relevant que rien n'indique que la constructibilité de la zone dans laquelle était situé le bien exproprié soit conditionnée à la réalisation d'une opération d'aménagement d'ensemble, sans répondre au moyen qui lui était soumis par Grand Paris Aménagement pris de ce que, dans d'autre litiges, intéressant également Grand Paris Aménagement, la même zone, AU 2 du plan local d'urbanisme de la commune d'[Localité 4], [Adresse 5], elle avait retenu que sa constructibilité était subordonnée à la réalisation d'une opération d'aménagement d'ensemble, de sorte qu'elle ne pouvait pas être considérée comme constructible et, partant, se voir reconnaître la qualification de terrain à bâtir, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L 322-3 du code de l'expropriation, ensemble l'article 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
12. La cour d'appel, interprétant souverainement les dispositions du plan local d'urbanisme, a retenu que rien n'indiquait que la zone était inconstructible ou que sa constructibilité était conditionnée à un plan d'aménagement d'ensemble et que la superficie minimale des terrains constructibles, pas plus que l'emprise au sol ou la hauteur maximale des constructions n'étaient réglementées, de sorte que la condition de situation des parcelles dans un secteur désigné comme constructible permettant de leur conférer la qualification de terrains à bâtir était remplie.
13. N'étant pas tenue de procéder à une recherche inopérante relative à de précédentes décisions rendues dans des litiges intéressant d'autres parties, elle a ainsi légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'établissement public Grand Paris aménagement aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'établissement public Grand Paris aménagement et le condamne à payer à M. et Mme [W] la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze septembre deux mille vingt-trois.