LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
VB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 septembre 2023
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 620 F-D
Pourvoi n° R 21-23.673
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 SEPTEMBRE 2023
La société Sud Ingénierie, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° R 21-23.673 contre l'arrêt rendu le 1er juillet 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (Chambre 1-3), dans le litige l'opposant à la société Acte Iard société anonyme à directoire et conseil de surveillance, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de la société Sud Ingénierie, de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Acte Iard après débats en l'audience publique du 27 juin 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 1er juillet 2021), rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 26 novembre 2020, pourvoi n° 19-16.797), la société civile immobilière l'Estaque (la SCI l'Estaque) a confié la conception et la réalisation d'un bâtiment à usage industriel à la société Sud ingénierie, qui avait souscrit auprès de la société Acte IARD une assurance « responsabilité civile bâtiment et génie civil ».
2. La réception des travaux, réalisés en sous-traitance, est intervenue avec réserves.
3. La société Sud ingénierie, condamnée à payer à la SCI l'Estaque une certaine somme au titre des travaux de reprise, a demandé à bénéficier de l'extension de garantie prévue à l'article 1.111 de la convention spéciale « code 2 sous-traitants » aux termes de laquelle « se trouvent garanties les conséquences de la responsabilité encourue par l'assuré du fait des travaux donnés en sous-traitance. »
4. La société Acte IARD ayant dénié sa garantie en se prévalant, notamment, des dispositions de l'article 7.111 des conditions générales excluant « les dépenses engagées pour la réalisation ou la finition du marché de l'assuré », la société Sud ingénierie l'a assignée en exécution du contrat.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. La société Sud ingénierie fait grief à l'arrêt de rejeter l'ensemble de ses demandes, alors :
« 1°/ qu'une clause d'exclusion de garantie ne peut être formelle et limitée dès lors qu'elle doit être interprétée ; qu'est ambigüe la clause d'exclusion de garantie, prévue à l'article 7.111 des conditions générales du contrat d'assurance, selon laquelle « sont exclus des garanties accordées par les titres 3 et 4 [?] les dépenses engagées pour la réalisation ou la finition de l'objet du marché de l'Assuré » ; que cette clause peut notamment être interprétée comme visant exclusivement les sommes directement engagées par l'assuré pour réaliser ou finir la construction et non les indemnités que l'assuré peut être condamné à verser en réparation de travaux mal exécutés ; qu'il en est d'autant plus ainsi que, dans une autre clause – l'article 7.112 des conditions générales – l'exclusion des indemnités compensant des dommages est expressément stipulée en sus des dommages eux-mêmes et des dépenses engagées pour la réparation des dommages ; qu'en retenant cependant que la clause 7.111 des conditions générales du contrat d'assurance était formelle et limitée, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances ;
2°/ qu'une clause d'exclusion de garantie ne peut être formelle et limitée dès lors qu'elle doit être interprétée ; qu'est ambigüe la clause d'exclusion de garantie, prévue à l'article 7.111 des conditions générales du contrat d'assurance, selon laquelle « sont exclus des garanties accordées par les titres 3 et 4 [?] les dépenses engagées pour la réalisation ou la finition de l'objet du marché de l'Assuré » ; que cette clause peut notamment être interprétée comme s'appliquant exclusivement aux dépenses engagées pour les travaux réalisés par l'assuré lui-même et non par ses sous-traitants ; qu'en retenant cependant que la clause 7.111 des conditions générales du contrat d'assurance était formelle et limitée, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances ;
3°/ qu'une clause d'exclusion de garantie ne peut être formelle et limitée dès lors qu'elle doit être interprétée ; qu'est ambigüe la clause d'exclusion de garantie, prévue à l'article 7.111 des conditions générales du contrat d'assurance, selon laquelle « sont exclus des garanties accordées par les titres 3 et 4 [?] les dépenses engagées pour la réalisation ou la finition de l'objet du marché de l'Assuré » ; que cette clause peut notamment être interprétée comme excluant uniquement les garanties accordées par les titres 3 et 4 des conditions générales et non celles prévues par une extension de garantie, relative aux sous-traitants, annexée au contrat d'assurance ; qu'en retenant cependant que la clause 7.111 des conditions générales du contrat d'assurance était formelle et limitée, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances ;
4°/ que toute exclusion de garantie doit être formelle et limitée ; qu'elle ne doit pas aboutir à vider de sa substance une extension de garantie en la privant du supplément de garantie offert par rapport à la garantie de base initialement souscrite ; qu'en l'espèce, le contrat de base prévoyait, à l'article 3.221 des conditions générales, qu'étaient garanties « les conséquences pécuniaires de la responsabilité encourue par l'Assuré [?] en raison des dommages corporels, matériels et immatériels causés du fait des travaux donnés en sous-traitance » ; que l'extension de garantie relative aux sous-traitants souscrite par la société Sud ingénierie remplaçait cette disposition par une clause 1.111 aux termes de laquelle « se trouv[ai]ent garanties les conséquences pécuniaires de la responsabilité encourue par l'Assuré du fait des travaux donnés en sous-traitance » ; que, pour décider que la clause d'exclusion de garantie prévue à l'article 7.111 des conditions générales du contrat d'assurance, excluant « des garanties accordées par les titres 3 et 4 [?] les dépenses engagées pour la réalisation ou la finition de l'objet du marché de l'Assuré », « ne vid[ait] pas l'extension de garantie « sous-traitant » de sa substance », la cour d'appel a retenu que « la garantie resta[i]t acquise pour les dommages causés aux biens, aux ouvrages voisins? » ; qu'en statuant ainsi, cependant que la garantie des dommages causés aux biens et aux ouvrages voisins était déjà prévue par le contrat de base, ce dont il résultait que l'exclusion privait de tout effet l'extension de garantie relative aux sous-traitants qui n'offrait plus de garantie supplémentaire par rapport au contrat de base, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances.
5°/ que pour décider que la garantie n'était pas due, le tribunal s'est appuyé, en première instance, sur l'exclusion « de l'article 7 soit « Objet des engagements contractuels de l'Assuré » » ; que cependant, cette disposition ne constitue pas une clause d'exclusion mais seulement le titre d'une partie contenant plusieurs clauses d'exclusion énumérées de 7.111 à 7.114 ; qu'en adoptant ce motif du jugement, la cour d'appel a dénaturé l'article 7 des conditions générales du contrat d'assurance, violant le principe de l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
6°/ qu'une clause d'exclusion de garantie ne peut être formelle et limitée dès lors qu'elle doit être interprétée ; qu'est ambigüe une clause excluant de la garantie l' « Objet des engagements contractuels de l'Assuré » ; qu'en adoptant les motifs par lesquels le tribunal a retenu que l'article 7 des conditions générales du contrat d'assurance excluait de la garantie « l'objet des engagements contractuels de l'assuré » et que cette clause était « formelle et limitée », la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
6. La cour d'appel a constaté, par motifs propres et adoptés, que le contrat de responsabilité civile garantissait les conséquences pécuniaires de la responsabilité de l'assuré en raison des dommages corporels, matériels et immatériels causés aux tiers dans l'exercice de ses activités professionnelles d'entrepreneur de bâtiment, même s'il avait donné les travaux en sous-traitance en application de la convention spéciale intitulée « code 2 sous-traitant », sous réserve des exclusions, notamment de l'article 7 des conditions générales.
7. Puis, ayant relevé que l'article 7.111 des conditions générales excluait des garanties les dépenses engagées pour la réalisation ou la finition de l'objet du marché de l'assuré et que l'extension de garantie « sous-traitant » restait acquise pour les dommages causés aux biens et aux ouvrages voisins, elle a exactement retenu, par ces seuls motifs, que cette clause ne donnait pas lieu à interprétation et qu'elle ne vidait pas l'extension de garantie de sa substance.
8. Ayant ainsi fait ressortir le caractère formel et limité de cette clause d'exclusion, elle en a déduit à bon droit que celle-ci s'appliquait à l'indemnité judiciaire correspondant aux dépenses nécessaires à la finition des travaux réalisés en sous-traitance et que la garantie de la société Acte IARD n'était pas due.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
10. La société Sud ingénierie fait le même grief, alors « que l'assureur est tenu d'éclairer l'assuré sur l'adéquation des risques couverts par les stipulations du contrat d'assurance, fussent-elles claires et précises, à sa situation personnelle ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que l'assureur n'était « pas tenu d'attirer l'attention de l'assuré sur la clause d'exclusion litigieuse qui était claire et précise » et que l'assuré ne prouvait pas avoir « sollicité la garantie des travaux de finition des ouvrages ayant donné lieu à des réserves, qu'ils aient été exécutés par l'entreprise ellemême ou par un sous-traitant » ; qu'en se déterminant par ces motifs impropres, cependant que la société Sud ingénierie avait souscrit une extension de garantie spécifique afin de couvrir sa responsabilité du fait des travaux donnés en sous-traitance, de sorte qu'il incombait à l'assureur de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle, compte tenu de l'exclusion de la garantie en cas de condamnation de l'assuré à réparer l'inexécution ou la mauvaise exécution des travaux par les sous-traitants, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
11. Ayant, d'une part, constaté que la société Sud ingénierie ne prouvait pas avoir sollicité la garantie des travaux de finition des ouvrages ayant donné lieu à des réserves, que ceux-ci aient été exécutés par l'entreprise elle-même ou par un sous-traitant et, d'autre part, exactement retenu que la clause d'exclusion litigieuse étant claire et précise, l'assureur n'était pas tenu d'attirer l'attention de l'assuré sur son étendue, la cour d'appel a pu en déduire que la société Acte IARD n'avait pas manqué à son obligation de conseil.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Sud ingénierie aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze septembre deux mille vingt-trois.