LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 septembre 2023
Cassation
Mme MARTINEL, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 845 F-D
Pourvoi n° K 21-19.459
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 SEPTEMBRE 2023
La société Itaju, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° K 21-19.459 contre l'arrêt rendu le 12 mai 2021 par la cour d'appel de Nîmes (4e chambre commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Lyonnaise de banque, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ à la société [G] Stephan, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], prise en qualité de mandataire judiciaire de la société Itaju,
3°/ à la société Selarl de Saint Rapt et [H], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], prise en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Itaju, désigné par jugement du 20 avril 2021 du tribunal judiciaire d'Avignon, anciennement mandataire judiciaire de cette société,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de la société Itaju, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Lyonnaise de banque, et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 juin 2023 où étaient présents Mme Martinel, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 12 mai 2021) et les productions, la société Lyonnaise de banque (la banque) a consenti, par deux actes notariés des 21 janvier 2014 et 3 octobre 2016, deux prêts à la société Itaju (la société).
2. Après lui avoir adressé plusieurs mises en demeure, la banque a notifié à la société, par lettre du 10 avril 2019, la déchéance du terme des prêts puis lui a délivré, par actes du 20 septembre 2019, deux commandements de payer valant saisie immobilière.
3. Par jugement du 17 décembre 2019, un tribunal judiciaire a, sur requête déposée par la société le 21 octobre 2019, ouvert une procédure de sauvegarde à son profit, désignant M. [H] administrateur judiciaire et M. [G], mandataire judiciaire.
4. La banque a formé tierce opposition à ce jugement, faisant valoir que la société était en état de cessation des paiements.
5. Par jugement du 22 septembre 2020, le tribunal a déclaré la déchéance du terme non acquise et confirmé le jugement du 17 décembre 2019.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
6. La société fait grief à l'arrêt de recevoir la banque en sa tierce opposition, de rejeter sa demande de sursis à statuer, de dire qu'elle était en état de cessation des paiements lorsqu'elle a sollicité son placement sous sauvegarde de justice, d'ordonner la rétractation du jugement d'ouverture de sauvegarde judiciaire rendu par le tribunal judiciaire d'Avignon le 17 décembre 2019, d'ouvrir une procédure de redressement judiciaire, de fixer la date de sa cessation des paiements au 29 septembre 2019, de fixer la durée de la période d'observation à 6 mois, de désigner la Selarl [G] Stephan, prise la personne de M. [G], mandataire judiciaire et la Selarl de Saint Rapt et [H], prise en la personne de M. [H], administrateur judiciaire et de renvoyer l'affaire devant le tribunal judiciaire d'Avignon pour la poursuite de la procédure, alors :
« 1°/ que la cessation des paiements est caractérisée par l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible ; qu'un créancier doit, pour procéder à une saisie immobilière, être muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible ; que le fait pour le débiteur de ne pas contester un commandement de payer valant saisie avant d'être assigné par son créancier devant le juge de l'exécution ne vaut pas reconnaissance de sa part de l'exigibilité de la créance et ne le prive pas du droit de la contester par la suite ; qu'en l'espèce, pour dire que la société Itaju était en état de cessation des paiements lorsqu'elle a sollicité son placement sous sauvegarde de la justice, ordonner la rétractation du jugement d'ouverture de sauvegarde judiciaire rendu par le tribunal judiciaire d'Avignon le 17 décembre 2019 et ouvrir une procédure de redressement judiciaire, la cour d'appel a énoncé que les commandements de payer valant saisie immobilière signifiés le 20 septembre 2019 par la société Lyonnaise de banque n'avaient été contestés par la SCI Itaju ni dans leur principe ni dans leur montant ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à justifier de l'exigibilité de la créance, contestée par la société débitrice, et par là-même de son état de cessation des paiements, la cour d'appel a violé les articles L. 111-2, L. 311-2 et R. 321-3 du code des procédures civiles d'exécution, ensemble les articles L. 620-1 et L. 631-1 du code de commerce ;
2°/ que la cessation des paiements est caractérisée par l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible ; qu'un créancier doit, pour procéder à une saisie immobilière, être muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible ; que le défaut de paiement par le débiteur dans les huit jours de la signification d'un commandement de payer valant saisie a pour seul effet de permettre la poursuite de la procédure à fin de vente de l'immeuble et l'assignation du débiteur à comparaître à une audience du juge de l'exécution ; qu'en l'espèce, pour dire que la société Itaju était en état de cessation des paiements lorsqu'elle a sollicité son placement sous sauvegarde de la justice, ordonner la rétractation du jugement d'ouverture de sauvegarde judiciaire rendu par le tribunal judiciaire d'Avignon le 17 décembre 2019 et ouvrir une procédure de redressement judiciaire de la SCI Itaju, la cour d'appel a énoncé que l'absence de régularisation des commandements signifiés le 20 septembre 2019 dans le délai imparti de 8 jours rendait ces sommes exigibles ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à justifier de l'exigibilité de la créance et par là-même de l'état de cessation des paiements de la société Itaju à la date d'ouverture de la procédure de sauvegarde, la cour d'appel a violé les articles L. 111-2, L. 311-2 et R. 321-3 du code des procédures civiles d'exécution, ensemble les articles L. 620-1 et L. 631-1 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 620-1 du code de commerce, 1134, devenu 1103, du code civil et L. 311-2 du code des procédures civiles d'exécution :
7. Selon le premier de ces textes, il est institué une procédure de sauvegarde ouverte sur demande d'un débiteur mentionné à l'article L. 620-2 qui, sans être en cessation des paiements, justifie de difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter. Aux termes du deuxième, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Il résulte du dernier de ces textes que seul le créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l'exécution forcée sur les biens de son débiteur.
8. Pour rétracter le jugement du 17 décembre 2019 et ouvrir une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société, l'arrêt retient que les commandements de payer valant saisie immobilière n'ont été contestés par la société, ni dans leur principe, ni dans leur montant et qu'il n'est pas non plus justifié de la régularisation de ces commandements dans le délai imparti de huit jours, rendant ainsi ces sommes exigibles. Il en déduit que, sans qu'il y ait lieu d'examiner la validité des mises en demeure des 8 janvier 2019 et 22 février 2019 et l'exigibilité de la créance à ces dates comme l'invitent à le faire les parties en cause, la société était, à l'expiration de ce délai, en état de cessation des paiements puisque se trouvant dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible et ce, dès le 29 septembre 2019, soit antérieurement à la saisine du tribunal.
9. En se déterminant ainsi, alors que la délivrance, sur le fondement d'un acte de prêt notarié, d'un commandement de payer valant saisie immobilière n'a pas pour effet de déroger aux stipulations du contrat relatives à l'exigibilité de la créance dont le recouvrement est poursuivi, la cour d'appel, qui n'a pas vérifié si, au jour du jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde, les sommes réclamées par la banque au titre de chacun des deux prêts étaient devenues exigibles conformément aux stipulations contractuelles, n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Condamne la société Lyonnaise de banque aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Lyonnaise de banque et la condamne à payer à la société Itaju la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze septembre deux mille vingt-trois.