LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 septembre 2023
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 538 F-D
Pourvoi n° D 22-13.753
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 28 JUIN 2023
1°/ La société Carrefour France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ la société Carrefour hypermarchés, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
3°/ la société CSF, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° D 22-13.753 contre l'arrêt rendu le 5 janvier 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige les opposant à la société Vania expansion, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat des sociétés Carrefour France, Carrefour hypermarchés et CSF, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Vania expansion, et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 juin 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 janvier 2022), le « groupe » Carrefour comprend notamment la société Carrefour France, société holding, et les sociétés Carrefour hypermarchés et CSF (les sociétés Carrefour), qui achètent les produits distribués dans les magasins à cette enseigne.
2. La société Vania expansion (la société Vania) a pour activité le commerce de produits d'hygiène féminine.
3. Le 23 janvier 2017, se fondant sur une décision de la cour d'appel de Paris du 27 octobre 2016 rejetant le recours formé contre la décision n° 14-D-19 du 18 décembre 2014 par laquelle l'Autorité de la concurrence a dit que la société Vania avait enfreint les dispositions de l'article 81, paragraphe 1, du Traité CE, devenu l'article 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), et de l'article L. 420-1 du code de commerce, en participant, entre le 22 janvier 2003 et le 3 février 2006, à une entente unique, complexe et continue sur le marché français de l'approvisionnement en produits d'hygiène, qui visait à maintenir ses marges par une concertation sur les prix de ces produits pratiqués à l'égard de la grande distribution, les sociétés Carrefour ont assigné la société Vania en réparation du préjudice découlant de ces pratiques.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième, cinquième et septième (en réalité sixième) branches
Enoncé du moyen
5. Les sociétés Carrefour font grief à l'arrêt de dire que la réalité du préjudice allégué par elles n'est pas démontré et de rejeter en conséquence leurs demandes de dommages et intérêts, alors :
« 2°/ que l'application effective de l'article 101 du TFUE , qui relève de l'ordre public, impose que les règles de procédure ne rendent pas excessivement difficile, sinon impossible, l'exercice des recours fondés sur le droit de l'Union ; qu'en subordonnant le succès de l'action indemnitaire des sociétés Carrefour à la preuve du fait négatif tenant à ce qu'elles n'avaient pas répercuté sur les consommateurs le surcoût consécutif aux pratiques anticoncurrentielles illicites que la cour d'appel a constaté, lorsque ces pratiques ressortissaient à une période qui n'était plus couverte par l'obligation de conservation des documents comptables, la cour d'appel a mis à la charge des demanderesses à l'indemnisation une preuve impossible ou du moins excessivement difficile à rapporter, méconnaissant ainsi le principe d'effectivité de l'article 101 du TFUE, ensemble, l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux et l'article 1240 du code civil ;
3°/ que la circonstance que la victime d'une pratique anticoncurrentielle ait répercuté en aval le manque à gagner qui en a résulté ne remet pas en cause l'existence du préjudice qu'elle a subi en raison de ce manque à gagner ; qu'en retenant qu'en l'espèce "l'existence d'un dommage certain lié à l'entente n'est pas démontré", motif pris que les demanderesses à l'indemnisation ne rapportaient pas la preuve de n'avoir pas répercuté le "préjudice de diminution des marges arrières due à l'entente" que la cour d'appel a constaté, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquence légale de ses propres constatations a violé l'article 1240 du code civil ;
4°/ que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ; qu'ayant constaté que les agissements anticoncurrentiels de la société Vania avait entrainé pour les sociétés Carrefour un "préjudice de diminution des marges arrières due à l'entente", la cour d'appel qui a néanmoins refusé de l'indemniser en retenant qu'il n'était pas établi que les surcoûts ayant occasionné ces manques à gagner n'avaient pas été répercutés sur les consommateurs, a violé l'article 4 du code civil ;
5°/ qu'après avoir constaté l'existence, pour les distributeurs, d'un manque à gagner sur les marges arrière consécutif aux pratiques anticoncurrentielles sanctionnées, la cour d'appel ne pouvait débouter purement et simplement les sociétés Carrefour de leurs demandes d'indemnisation au motif qu'il n'était pas établi qu'elles n'avaient pas répercuté sur les consommateurs ce surcoût, sans constater que la répercussion du surcoût qu'elle supposait était d'un montant équivalent à celui engendré par le manque à gagner sur les marges arrière avéré, seule constatation de nature à neutraliser l'existence du préjudice invoqué, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 1240 du code civil ;
6°/ qu'en retenant qu'il convenait d'établir, pour faire la preuve du préjudice consécutif aux pratiques illicites, que le surcoût subi ensuite des pratiques anticoncurrentielles avait été répercuté, par les sociétés Carrefour, sur les consommateurs, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la répercussion du surcoût n'était pas inenvisageable dès lors qu'elle était neutralisée par la baisse du volume des ventes induite par la hausse des prix, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
6. En premier lieu, c'est exactement qu'après avoir retenu qu'un lien direct existait entre la perte de marge-arrière des sociétés Carrefour et l'entente sanctionnée, la cour d'appel a précisé que, pour établir l'existence du préjudice, il lui appartenait de vérifier si le distributeur avait, en tout ou en partie, répercuté sur les consommateurs les manques à gagner résultant de l'entente prohibée sur les marges-arrière, afin de ne pas consacrer un enrichissement sans cause du fait de l'allocation de dommages et intérêts.
7. En second lieu, l'arrêt retient que les sociétés Carrefour versent aux débats outre un rapport établissant une analyse contrefactuelle comparant la valeur des marges-arrière pendant l'entente et après l'entente, les valeurs annuelles nettes des achats ainsi que les taux de marge-arrière et de leurs valeurs absolues. Il ajoute que, même à admettre la difficulté de rapporter cette preuve en raison de l'absence de conservation des données, ces sociétés ne produisent aucun élément permettant de vérifier le défaut de répercussion.
8. L'arrêt relève que l'étude économique produite compare les marges-arrière réalisées pendant la période de l'entente avec celles de la seule année 2007, établit une corrélation discutable entre la valeur des marges-arrière qu'auraient réalisées les sociétés Carrefour avec les produits Vania et le chiffre d‘affaires total des sociétés Carrefour tous produits confondus et n'apporte aucun autre élément, comptable ou non, permettant d'exclure une répercussion du manque à gagner sur la marge-avant.
9. Il ajoute que la méthode subsidiaire d'évaluation du préjudice retenue par cette étude ne repose que sur une corrélation parfaite entre la valeur des marges-arrière réalisées par les sociétés Carrefour avec les produits Vania et l'évolution des taux moyens de marge-arrière constatée par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des Fraudes.
10. En cet état, la cour d'appel, qui n'était tenue ni de procéder aux recherches invoquées par les cinquième et sixième branches que ses constatations et énonciations rendaient inopérantes ni de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, et a estimé, sans imposer des règles de preuve rendant excessivement difficile l'exercice des recours fondés sur le droit de l'Union européenne, que les sociétés Carrefour ne rapportaient pas la preuve du préjudice causé par l'entente sanctionnée, n'a pu que rejeter leur demande de dommages et intérêts.
11. Le moyen, qui manque en fait en sa quatrième branche, n'est pas fondé pour le surplus.
12. Et en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation de l'article 101, paragraphe 1, du TFUE, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de la question préjudicielle suggérée par les sociétés Carrefour.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés Carrefour France, Carrefour hypermarchés et CSF aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Carrefour France, Carrefour hypermarchés et CSF et les condamne à payer à la société Vania expansion la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du six septembre deux mille vingt-trois.