LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
SH
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 30 août 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 521 F-D
Pourvoi n° A 22-13.405
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 30 AOÛT 2023
1°/ M. [O] [T],
2°/ Mme [N] [X], épouse [T],
tous deux domiciliés [Adresse 2],
3°/ la société [T] Consulting, dont le siège est [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° A 22-13.405 contre l'arrêt rendu le 22 novembre 2021 par la cour d'appel de Colmar (1re chambre civile-section A), dans le litige les opposant à la société Eurex Alsace, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Alt, conseiller, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de M. et Mme [T] et de la société [T] Consulting, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Eurex Alsace, après débats en l'audience publique du 31 mai 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Alt, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 22 novembre 2021), en 2009, envisageant d'acquérir une entreprise, la société [T] Consulting a sollicité les services de la société Eurex Alsace, expert-comptable.
2. Le 12 novembre 2009, afin de fournir à la société [T] Consulting les moyens de cette acquisition, M. [T], son associé unique et gérant, lui a fait apport de 800 parts de la société Ergo, réalisant à cette occasion une plus-value. Un rapport du commissaire aux comptes de la société [T] Consulting en date du 30 octobre 2009 précisait que l'opération d'apport serait soumise au régime de faveur de suspension d'imposition des plus-values prévu à l'article 150-0 B du code général des impôts.
3. Constatant que les conditions de la suspension de l'imposition sur la plus-value réalisée prévues à cet article n'étaient pas réunies dès lors qu'à la date de l'apport, la société [T] Consulting relevait du régime de l'impôt sur le revenu de l'associé unique, l'administration fiscale a adressé à M. et Mme [T] une proposition de rectification, puis leur a notifié deux avis d'imposition au titre de l'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux de 2009.
4. M. et Mme [T] et la société [T] Consulting ont alors assigné la société Eurex Alsace en paiement de dommages et intérêts.
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
5. M. et Mme [T] font grief à l'arrêt d'infirmer le jugement sauf en ce qu'il avait rejeté l'action en responsabilité de la société [T] Consulting et ordonné l'exécution provisoire et, statuant sur les chefs infirmés et y ajoutant, de débouter M. et Mme [T] de leur demande en indemnisation présentée à l'encontre de la société Eurex Alsace, alors « qu'un tiers à un contrat peut mettre en cause la responsabilité d'un des contractants, sur le fondement délictuel ou quasi délictuel, lorsqu'une inexécution contractuelle lui a causé un dommage ; qu'en retenant, pour les débouter de leur demande, que M. [T] n'avait à aucun moment, lors du contrôle fiscal, invoqué une faute de la société Eurex Alsace pour justifier le défaut de déclaration des plus-values résultant de la cession des parts sociales, ou encore, qu'en l'absence d'information de la société Eurex Alsace sur le régime fiscal applicable, M. [T] devait procéder lui-même à des vérifications pour connaître le régime fiscal applicable aux plus-values réalisées dans l'opération d‘apports et d'acquisition de la société Lutz, la cour d'appel, qui a statué à la faveur d'une motivation totalement inopérante à écarter un lien de causalité entre la faute de la société Eurex Alsace et le préjudice subi par les époux [T], a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1165, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1240, anciennement 1382, du code civil ».
Réponse de la Cour
Vu les articles 1382, 1147 et 1165 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
6. Il résulte des deux premiers de ces textes que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage, et du troisième que le paiement de l'impôt mis à la charge d'un contribuable à la suite d'une rectification fiscale constitue un dommage indemnisable s'il est établi que, dûment informé ou dûment conseillé, il n'aurait pas été exposé au paiement de l'impôt rappelé ou aurait acquitté un impôt moindre.
7. Pour rejeter l'action en responsabilité de M. et Mme [T] à l'encontre de la société Eurex Alsace, l'arrêt retient qu'il n'existe aucun lien de causalité entre le manquement au devoir de conseil commis par la société Eurex Alsace à l'encontre de la société [T] Consulting et le redressement fiscal subi par M. et Mme [T], dès lors que, pendant la procédure de redressement, M. [T] n'a pas invoqué une faute de la société Eurex Alsace pour justifier le défaut de déclaration de la plus-value et que l'absence d'information de la société Eurex Alsace sur le régime fiscal applicable aurait dû inciter M. [T] à procéder lui-même à des vérifications.
8. En se déterminant ainsi, par une motivation impropre à écarter tout lien de causalité entre la faute de la société Eurex Alsace, dont elle avait constaté l'existence, et le préjudice subi par M. et Mme [T], la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il déboute M. et Mme [T] de leur demande en indemnisation présentée à l'encontre de la société Eurex Alsace, les condamne au paiement des dépens et rejette leurs demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 22 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne la société Eurex Alsace aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Eurex Alsace et la condamne à payer à M. et Mme [T] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente août deux mille vingt-trois.